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Régime de crise

Baden-Baden
Festspielhaus
10/23/2020 -  et 21 (Bad Kissingen), 22 (Bamberg) octobre 2020
Edward Elgar : Concerto pour violoncelle en mi mineur, opus 85
Anton Bruckner : Symphonie n° 4 « Romantique »

Sol Gabetta (violoncelle)
Bamberger Symphoniker, Jakub Hrůsa (direction)


(© Andrea Kremper)


Soixante musiciens sur scène pour une grande symphonie de Bruckner, ce n’est évidemment pas assez. Et pourtant en ce moment, entre deux déferlantes de virus, et a fortiori avant une nouvelle fermeture des salles pour plusieurs semaines, même cet effectif modeste est ressenti comme un luxe. Remercions donc le vaste Festspielhaus de Baden-Baden de nous avoir donné l’occasion, le temps d’une soirée, d’écouter un orchestre qui sonne avec ce qui ressemble à un réel volume symphonique. La consolation est brève, mais elle fait un bien immense.


Pour autant, la situation est loin d’être satisfaisante. D’abord parce qu’il n’y a que cinq cents personnes disséminées dans l’auditorium, et que l’acoustique s’en trouve moins généreuse. Et puis le manque de cordes graves (cinq violoncelles et cinq contrebasses, pas plus) n’est pas anodin, mais ce qui l’est moins encore, c’est la distance qui sépare chaque pupitre, espacement préjudiciable à la cohésion de la petite harmonie, comme si chacun jouait pour soi sans vraiment entendre ce que fait son voisin, mais aussi au timbre des cordes, comme si l’air supplémentaire qui circule étouffait une partie du son. Il y a ici plus de vingt violons mais dès les premiers traits de la Quatrième Symphonie « Romantique » de Bruckner, on a l’impression de découvrir le paysage de trop loin, comme si les musiciens ne parvenaient pas tout de suite à trouver le volume adéquat. Et pourtant les Bamberger Symphoniker sont plutôt en forme ce soir, à l’exception du trompettiste Markus Mester, perceptiblement fatigué, ou manquant tout simplement d’entraînement, dans une partie très exposée. En revanche, Andreas Kreuzhuber, au poste stratégique de cor solo, parvient à traverser toute la symphonie sans accident, et son entrée, d’autant plus remarquée que le soutien des cordes est trop discret, s’impose majestueusement.


Et puis il y a aussi les excellentes idées du chef tchèque Jakub Hrůsa, qui nous offre une lecture brucknérienne particulière, riche en couleurs et en rebonds. Pour une fois on ressent vraiment cette musique comme issue du même terroir rustique que certaines pages de Dvorák et Brahms. Ce n’est pas là une simple question de transparence de la masse instrumentale, mais bien d’impulsions très précisément réglées et d’un soin particulier du détail (le Trio du Scherzo, par exemple, fourmille de petits influx nerveux sans cesse relancés, pour un résultat délicieux). Et puis on apprécie aussi une intelligente vision d’ensemble, particulièrement utile dans le quatrième mouvement, page tellement longue et segmentée qu’elle donne souvent l’impression de ne plus vouloir en finir, du moins sous des directions moins créatives et originales. Hrůsa a manifestement beaucoup d’idées et sait les défendre : un beau parcours brucknérien, voire un domaine d’excellence insoupçonné pour ce chef en pleine ascension.



(© Andrea Kremper)


Orchestre à peine moins fourni pour le Concerto pour violoncelle d’Elgar en première partie, donc là un effectif plus habituel, encore que toujours un peu déficitaire en cordes graves, ce qui fait beaucoup ressortir les cuivres derrière. Un déséquilibre qui rend a contrario encore plus difficile à gérer une écriture d’orchestre plutôt chargée, ce qui peut jouer au détriment de la partie soliste. Sol Gabetta avait déjà joué ce concerto au Festspielhaus de Baden-Baden en 2014, avec Simon Rattle et l’Orchestre philharmonique de Berlin. On la retrouve cette fois perceptiblement assagie, du moins en ce qui concerne l’agitation physique. Balancements d’épaules et grandes oscillations de chevelure sont devenus moins fréquents, mais la sonorité paraît aussi un peu moins généreuse, au point de paraître parfois insuffisante pour ce concerto très brahmsien. En revanche, l’interprétation s’est enrichie en nuances et en détails, même dans l’Allegro molto, pourtant pris à vive allure. Dans un répertoire plutôt éloigné de ses territoires habituels, Jakub Hrůsa accompagne efficacement sa soliste d’un soir, en soulignant là encore beaucoup de détails de texture intéressants, et en restant d’un goût très sûr dans les quelques spécificités britanniques si typiquement elgariennes qu’il faut mettre en valeur ici ou là.


En bis, une courte pièce jouée entièrement en pizzicati. Pour les curieux, il s’agissait du Cinquième Capriccio pour violoncelle seul d’Evaristo Felice Dall’Abaco.


Nouveau confinement annoncé dans toute l’Allemagne dès le 2 novembre, fermeture générale qui va malheureusement concerner aussi toutes les salles de spectacle, Festspielhaus de Baden-Baden y compris. On notera au passage, au cours des allocutions quasi simultanées d’Angela Merkel et d’Emmanuel Macron une différence de taille. La chancelière allemande, tailleur strict sur fond gris bleu, visage fermé et fatigué, a cité en tout premier lieu les «théâtres, opéras et salles de concert» dans sa liste des fermetures annoncées. En revanche, pas le moindre mot d’Emmanuel Macron concernant la culture. Il y a parfois des oublis officiels qui en disent plus long que tout un discours.



Laurent Barthel

 

 

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