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Sibelius sur les sommets

Geneva
Victoria Hall
09/23/2020 -  et 24 septembre (Lausanne)
Eric Tanguy: Makta
Frédéric Chopin: Concerto pour piano n° 2, opus 21
Jean Sibelius: Symphonie n° 4, opus 63

Maria-João Pires (piano)
Orchestre de la Suisse Romande, Daniel Harding (direction)


D. Harding (© Decca)


Une des conséquences inattendues de la crise sanitaire a été de libérer les agendas des musiciens, ceux-ci étant habituellement remplis des années en avance. Genève a pu ainsi réassembler la distribution de La Cenerentola. Krystian Zimerman et, pour ce concert, Maria-João Pires et Daniel Harding font leurs débuts avec l’Orchestre de la Suisse Romande.


Le public ne s’y est pas trompé. La salle du Victoria Hall était à capacité pour suivre les directives de l’Office fédéral de la santé publique et il y avait à l’extérieur de nombreux mélomanes qui cherchaient des billets affiche à la main. Dans la salle, le silence attentif du public en disait long.


Makta d’Eric Tanguy est une œuvre écrite en 2015 pour célébrer Sibelius. On y trouve des éléments l'évoquent sans l’imiter pour autant: un solo de violoncelle comme dans la Quatrième Symphonie, une dynamique assez large et surtout une certaine pulsation qui n'est pas étrangère à celle du compositeur finlandais. Daniel Harding fait sonner avec beaucoup de soin l’orchestre, faisant ressortir la lisibilité et en équilibrant avec beaucoup de succès les différents pupitres.


Cette première pièce permet de voir le rapport qui s’établit entre les musiciens et leur chef. L’OSR a beaucoup travaillé ces dernières saisons sous l’impulsion de son nouveau directeur musical. Une nouvelle génération d’instrumentistes a été engagée. Des progrès significatifs ont été réalisés. Cela permet de faire venir pour cette saison des chefs prestigieux comme Manfred Honeck, Myung-Whun Chung ou pour cette soirée Daniel Harding. Dans cette salle dont l’acoustique est parfois délicate, le chef anglais impressionne par la qualité du son qu’il obtient de ses musiciens. L’orchestre a de suite plus de couleurs et de dynamique. Harding est attentif à intervenir «quand il le faut». Il trouve un équilibre entre laisser les musiciens jouer mais de temps en temps battre quelques mesures plus précisément ou donner l’impulsion. Le rapport avec eux est remarquable et on sent à quel point ils adhérent à une baguette d’une telle qualité.


Les concertos de Chopin seraient, dit-on, des œuvres dont l’orchestration manquerait de subtilité. Dans la foulée de la pièce de Tanguy, on se surprend de découvrir dans l’introduction le soin apporté ici et là au phrasé ainsi qu'au caractère dramatique de l’œuvre. A nouveau, l’empreinte du chef se fait entendre. Maria-João Pires a-t-elle ou non pris sa retraite ? C’est en tout cas une joie de retrouver la pianiste portugaise à Genève mais les passages du Maestoso qui demandent un peu de bravoure semblent lui poser quelques difficultés que l’on ne lui connaissait pas. La dynamique est peu réduite et quelques petits passages un peu... escamotés. Mais on retrouve la qualité du cantabile qu’on lui connaît dans un Larghetto central plein de poésie ainsi que dans le bis, «Le Jardin féerique» de Ma mère l’Oye de Ravel, qu’elle donne à quatre mains avec le chef pour le plus grand plaisir du public.


La Quatrième Symphonie de Sibelius est un chef-d’œuvre exigeant d’une rare richesse. Karajan disait que c’est une des rares pièces qui «finissent mal», au même titre que la Sixième Symphonie de Mahler. Comme l’ont fait certains chefs pour leurs débuts avec l’OSR, Daniel Harding aurait pu choisir soit une œuvre soit plus facile, soit une œuvre moins risquée qui fait partie du répertoire de prédilection de l’orchestre. Qu’il ait choisi cette symphonie, qui n’a pas été jouée à Genève depuis au moins quinze ans, en dit long sur la qualité du musicien.


Et quelle exécution... La continuité des différentes sections est réalisée avec beaucoup d’attention, facilitant la compréhension de l’architecture de l’œuvre. Les tempi sont fluides et la musique avance. Les musiciens, et en particulier les cordes graves, trouvent des couleurs sombres qu’ils maintiennent le long de l’œuvre. Le solo de violoncelle réalisé par le jeune Aram Yagubyan est plein d’intensité. Les solos de Nora Cismondi et Michel Westphal sont de toute beauté. Stimulés par le chef, les musiciens, très concentrés, ne relâchent pas leur concentration.


Voici en fin de compte une des plus belles symphonies que l’OSR nous ait donnée ces dernières années. L’agenda de Daniel Harding doit être bien rempli mais ce serait juste formidable s’il pouvait prendre l’habitude d’inscrire l’OSR dans la liste des orchestres qu’il dirige. Suivant les directives, les cordes ont passés toute la soirée à jouer tout en gardant leur masque ainsi que l’a fait le public. Mais dans ces conditions, c’est un privilège – et aussi un certain devoir – d’entendre de la musique vivante et les musiciens nous le rendent tellement bien.



Antoine Lévy-Leboyer

 

 

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