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Sombres désirs

Nice
Opéra
02/28/2020 -  et 1er, 3, 5 mars (Nice), 21, 24, 26 avril (Toulon), 2, 4, 7, 9 (Marseille), 23, 25 (Avignon) octobre 2020
Piotr Ilyitch Tchaïkovski : La Dame de pique, opus 68
Oleg Dolgov (Hermann), Alexander Kasyanov (Tomski, Zlagator), Serban Vasile (Le Prince Eletski), Elena Bezgodkova (Lisa), Eva Zaïcik (Pauline, Milovzor), Marie-Ange Todorovitch (La Comtesse), Artavazd Sargsyan (Tchekalinski), Nika Guliashvili (Sourine), Guy Bonfiglio (Naroumov), Christophe Poncet de Solages (Tchaplitski), Nona Javakhidze (La Gouvernante), Anne-Marie Calloni (Macha, Prilepa), Jackson Carroll (danseur)
Chœur de l’Opéra de Nice, Giulio Magnanini (chef de chœur), Chœur de l’Opéra de Toulon, Christophe Bernollin (chef de chœur), Chœur d’enfants de l’Opéra de Nice, Philippe Négrel (chef de chœur), Orchestre Philharmonique de Nice, Győrgy Győriványi Ráth (direction musicale)
Olivier Py (mise en scène), Pierre-André Weitz (décors, costumes), Bertrand Killy (lumières)


(© Dominique Jaussein)


On doit à la Région Sud (le nom «commercial» de la région PACA) l’initiative d’une grande coproduction entre les quatre principales institutions lyriques (Nice, Toulon, Marseille et Avignon) du sud-est de la France: La Dame de Pique (1890) de Tchaïkovski y sera ainsi présentée jusqu’en octobre dans chacune de ces villes, avec le même plateau vocal et la mise en scène d’Olivier Py – natif de Grasse. On notera qu’une «petite forme» a déjà été présentée à Toulon l’an passé avec Pomme d’Api de Jacques Offenbach et Le Singe d’une nuit d’été de Gaston Serpette – un spectacle soutenu par le même intérêt commun et qui tournera lui aussi dans la région, jusqu’en mai prochain. En attendant, il faut se précipiter pour découvrir ou redécouvrir l’avant-dernier ouvrage lyrique de Tchaïkovski à l’Opéra de Nice – une institution qui continue ainsi de promouvoir l’art du grand maître russe, se souvenant d’avoir jadis accueilli la création française de son autre chef-d’œuvre, Eugène Onéguine (voir la dernière production niçoise en 2017).


Les inquiétudes liées à la progression du coronavirus dans l’Italie voisine n’auront pas découragé les spectateurs à venir en nombre dans le superbe théâtre rebâti en 1885 sur le modèle de la Scala de Milan: l’atmosphère électrique est palpable, culminant à l’entracte lorsque plusieurs spectateurs manifestent leur mécontentement vis-à-vis de la mise en scène volontiers provocatrice d’Olivier Py. Rien de bien méchant pourtant, tant le trublion français essaie d’étoffer le livret par une mise en miroir logique et cohérente avec la vie de Tchaïkovski – une idée déjà représentée ailleurs, par Stefan Herheim notamment, à Amsterdam et Londres (voir ici). La scénographie très sombre de Pierre-André Weitz, véritable œuvre d’art à elle toute seule, donne un écrin splendide aux tourments d’Hermann, entre hallucinations et délires: les errances d’un jeune homme dévêtu à ses côtés (magnifiquement interprétées par la grâce féline du danseur Jackson Carroll) donnent à voir toute la frustration de son désir refoulé, tandis que la Comtesse et Lisa apparaissent en hauteur, comme d’inaccessibles et improbables fantasmes de vie rangée. L’échec du mariage de Tchaïkovski, la rupture avec sa protectrice Nadejda von Meck ou les tentatives de suicide sont évidemment au cœur de ces visions cauchemardesques et souvent énigmatiques. Pour autant, Py n’en oublie pas quelques facéties lorsqu’il s’amuse à croquer Catherine II sous les traits d’un travesti nymphomane (en lien avec son appétit bien connu pour la chose masculine), tout en enrichissant l’action de péripéties truculentes, tel que le feu d’artifice passé de main en main avant de retomber comme un soufflet. Seule la transposition au temps de la Russie soviétique déçoit quelque peu par son manque de pertinence, en dehors des aspects visuels marqués par une photographie noir et blanc de toute beauté.


Au-delà de cette belle réussite plastique, toujours animé par la direction d’acteur très vivante de Py, le plateau vocal réuni – en grande partie russophone – donne beaucoup de satisfactions, y compris pour les seconds rôles, très bien distribués. On doit à Oleg Dolgov une incarnation intense dans son rôle d’Hermann, décisive tout au long de la soirée, et ce malgré un timbre parfois un rien voilé. A ses côtés, Marie-Ange Todorovitch compose une superlative Comtesse, dramatiquement investie et superbe de couleurs vocales parfaitement projetées. Malgré un aigu parfois peu en place dans les accélérations, Elena Bezgodkova (Lisa) s’impose par ses graves splendides, mais c’est peut-être plus encore Eva Zaïcik qui charme par son chant vibrant et précis. On mentionnera enfin le parfait Serban Vasile, qui donne beaucoup de style à son Prince Eletski, tandis qu’Alexander Kasyanov assure l’essentiel, même si on pourra être déçu par une interprétation un peu raide et des graves qui manquent de noirceur.


Si les chœurs réunis pour l’occasion n’évitent pas quelques décalages dans les passages ardus, c’est surtout l’admirable direction de Győrgy Győriványi Ráth, directeur musical de l’Orchestre philharmonique de Nice depuis 2017, qui séduit par son attention aux nuances et sa clarté toute française – que l’on pourra toutefois trouver un rien extérieur au tourbillon émotionnel du maître russe. On retrouvera le chef hongrois les 3 et 4 avril prochains dans l’éclat du Premier Concerto pour piano de Tchaïkovski, associé à la Première Symphonie d’Ernő Dohnányi (1877-1960) – un compatriote défendu avec constance par Ráth depuis plusieurs années.



Florent Coudeyrat

 

 

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