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Saluto à la France !

Avignon
Opéra Confluence
01/17/2020 -  et 19 janvier 2020
Gaetano Donizetti : La Fille du régiment
Anaïs Constans (Marie), Julien Dran (Tonio), Marc Labonnette (Sulpice), Julie Pasturaud (La marquise de Berkenfield), João Fernandes (Hortensius, La duchesse de Crakentorp)
Chœur de l’Opéra Grand Avignon, Orchestre régional Avignon-Provence, Jérôme Pillement (direction musicale)
Gilles et Corinne Benizio (mise en scène, adaptation, conception scénographique et costumes), Jacques Rouveyrollis (lumières), ID SCENES (vidéo), Julien Meyer, Julien Cano (vidéastes)


J. Dran, A. Constans (© Cédric et Mickaël/Studio Delestrade)


C’est quasiment avec la même équipe que celle de la création de cette production (au festival d’O à Montpellier en juillet 2018) que l’Opéra Grand Avignon reprend en ce mois de janvier La Fille du régiment de Donizetti réglée par Corinne et Gilles Benizio (Shirley & Dino), avant qu’elle parte pour Liège avec d’autres interprètes.


Dans la salle provisoire en bois de l’Opéra Confluence, à l’acoustique assez réverbérée (sauf une fosse assez sourde), les projections vidéo d’ID SCENES permettent de pallier efficacement l’absence de cintres. Le premier acte a lieu dans une église où Shirley apparaît en Vierge flottant dans les airs, plus tard les projections nous plongent dans un salon du château de Berkenfield, où les deux metteurs en scène apparaissent dans des tableaux représentant des portraits d’ancêtres tandis qu’une statue se dégourdit les jambes. Les lumières parfois trop crues de Jacques Rouveyrollis gagneraient à être plus contrastées, et les poursuites devraient être plus précises. Les rares changements de décors, notamment celui où apparaît le campement du régiment, sont l’occasion pour Dino d’abord, puis pour Shirley & Dino d’apporter leur touche de fantaisie au milieu de cet opéra comique, leur intervention culminant sur un duo de Véronique de Messager où Shirley chante délicieusement faux, apportant ainsi un parallèle amusant à la leçon de chant où Anaïs Constans fera de même.


Les deux metteurs en scène ont procédé à un sérieux réaménagement du texte parlé qui maintient l’attention sans heurter le spectateur; ainsi la marquise de Berkenfield devient une véritable nymphomane, tandis que son serviteur Hortensius, habituellement compassé, devient un double de Dino physiquement, et un personnage plus complexe, souffre-douleur presque ambigu, parlant plusieurs langues. La transposition de l’action dans l’Italie des années cinquante, visuellement intéressante, ne va hélas pas plus loin, et seule la tenue militaire de Marie apporte le bleu-blanc-rouge qui manque au «Salut à la France!» dans un régiment aux costumes ultramontains. Seules les origines italiennes de Gilles Benizio semblent justifier cette transposition. Le texte est émaillé de fines plaisanteries, la duchesse de Crackentorp, souvent confiée à une chanteuse en fin de carrière, est ici campée par le même João Fernandes qui joue Hortensius: excellente idée, puisqu’il est capable d’incarner brillamment d’abord un bas-bleu teuton en habit de chasse, puis une duchesse vamp au déhanché de top model. Il serait vain d’énumérer tous les gags et effets textuels, mais ce Sulpice porté sur le rhum et répétant sans cesse ses pseudo-exploits militaires nous ravit, comme la marquise qui raconte ses aventures avec le capitaine Robert au son du thème de Love Story de Francis Lai qu’elle commande au maestro... Cependant les metteurs en scène réussissent mieux les passages comiques que les moments tendres et nostalgiques où leur inspiration s’étiole. La scène du campement est la mieux réglée, quand le chœur au complet est sollicité, alors que «Il faut partir» et «Pour me rapprocher de Marie» échouent à apporter le nécessaire contrepoint d’émotion à une histoire bien troussée, faute de mise en perspective.


La distribution est vocalement très équilibrée. La Marie d’Anaïs Constans crève l’écran, boudeuse et bourrue quand il le faut, immature et charmante à la fois. Son soprano se rit des difficultés de la partition, très charnu dans le grave et le médium, agile dans les vocalises, éclatant dans l’aigu. Sa projection, presque excessive, impressionne. Son évolution vocale la portera sans doute vite vers d’autres rôles, mais en attendant il est rare qu’on puisse bénéficier d’une telle voix dans ce rôle trop souvent confié à des instruments trop pointus. Son chevalier servant, Julien Dran, est un jeune premier de grande prestance physique, même si la mise en scène en fait un maladroit compulsif. Vocalement on est encore à la fête: son ténor est lui aussi d’une richesse inaccoutumée dans ce contexte, ses reflets dorés se parant d’une lumière éclatante dans l’aigu, particulièrement dans la ribambelle attendue des neuf contre-ut de «Pour mon âme», à laquelle il en ajoute deux en répétant «militaire et mari». Mais dans «Pour me rapprocher de Marie», c’est son sens du legato qui lui permet de provoquer l’émotion, le suraigu étant ici superflu. Marc Labonnette est un Sulpice sonore et bonhomme, tandis que Julie Pasturaud nous régale par son mezzo chaud et cuivré, totalement égal sur tout l’ambitus, aux aigus pleins de lumière. La marquise est ici délivrée des voix fatiguées auxquelles elle est trop souvent confiée et sa composition dramatique nous ravit tout autant. On brûle de l’entendre dans un rôle encore plus consistant. João Fernandes enfin joue de toutes les couleurs de sa souple basse chaude pour incarner les deux personnages «charnières» comme son texte le lui fait dire, dans des envolées qui rompent un instant l’illusion théâtrale: bravissimo!


Le Chœur de l’Opéra Grand Avignon remplit son rôle avec efficacité et beaucoup d’à-propos dramatique, quand on ne lui fait pas faire des ronds de jambes de Folies-Bergère, mais on reste vraiment sceptique devant la curieuse idée qui consiste à transformer le chœur d’hommes du régiment en chœur mixte, qui déséquilibre les tonalités notamment dans la scène précédant «Pour mon âme». En fosse, Jérôme Pillement dirige un Orchestre régional Avignon-Provence à la cohésion moyenne, aux cuivres peu élégants. Ses tempi manquent parfois de souplesse pour correspondre au phrasé des chanteurs, que, du moins, il ne couvre jamais. Mais cela ne gâte pas vraiment une production au charme réel, qui pourra encore évoluer pour atteindre sa pleine mesure.



Philippe Manoli

 

 

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