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Récital de J.-F. Neuburger

Paris
Fondation Louis Vuitton
12/05/2019 -  
Salvatore Sciarrino: Perduto in una città d’acque
Thomas Adès: Darknesse Visible
Jean-Frédéric Neuburger: Etudes pour piano n° 4, n° 5 et n° 6 (création)
Pierre Boulez: Sonate pour piano n° 2

Jean-Frédéric Neuburger (piano)


J.-F. Neuburger (© Carole Bellaïche)


Si la grève des transports, jointe à l’exigence du programme, contraint malheureusement Jean-Frédéric Neuburger à se produire devant une salle aux deux tiers vide, le public est rapidement hypnotisé par son charisme hors du commun. Il faut dire qu’on a rarement entendu l’intimidante Deuxième Sonate (1948) de Boulez (1925-2016) interprétée de manière aussi limpide. «Il a collaboré étroitement» avec l’auteur de Pli selon pli, nous apprend le programme. A moins de faire tourner les tables, on ne sait si ce dernier lui adressa le même compliment que Ravel à Robert Casadesus («Vous devez être compositeur pour jouer ainsi»), mais ôtez lui la partition des yeux qu’il pourrait vous expliciter la configuration sérielle qu’il a sous les doigts. Frappent dans le premier mouvement – noté «Extrêmement rapide» – l’irruption volcanique des figures et la soudaineté des déplacements. Sans chercher à rendre cette musique plus aimable qu’elle ne l’est, Neuburger réussit le tour de force d’allier une lisibilité extraordinaire à une fulgurance haletante. Chaque événement occupe une portion de temps dûment calibrée par sa gestique coupante, l’oreille anticipant plusieurs mesures à l’avance ce que la main va exécuter. Peut-être un rien atomisée à force de précision, la trajectoire du final se referme sur une très émouvante coda aux réminiscences schoenbergiennes.


Pinailleur, on pourra trouver qu’une telle exactitude dans le rendu polyphonique escamote une part du mystère de Darknesse Visible (1992), l’un des chefs-d’œuvre du Britannique Thomas Adès (né en 1971) et du piano contemporain. Inspirée d’une chanson de Dowland, la pièce procède par de fascinants brouillages harmoniques et de fragiles tremolos, comme si on l’observait à travers un verre dépoli.


Le titre debussyste «Pour les sonorités opposées» conviendrait bien à Perduto in una città d’acque (1991) de Salvatore Sciarrino (né en 1947), dont la fragilité et le jeu sur les résonances constituent une parfaite entrée en matière. Le pianiste français en tâte les nuances infimes, soigne l’étagement des registres avec un art accompli de la pédalisation.


Les Etudes n° 4, n° 5 et n° 6, commande de la Fondation Louis Vuitton, nous rappellent qu’en plus d’être pianiste et professeur au CNSM de Paris, Jean-Frédéric Neuburger (né en 1986) est un compositeur recherché (Christoph von Dohnányi et le Symphonique de Boston ont récemment créé son œuvre Aube). La partition dans la tête, il en assure la première mondiale avec cette même probité qu’il met dans tous les répertoires (de Czerny à Barraqué en passant par Hérold): la Quatrième Étude oppose unissons péremptoires et notes répétées cantonnés dans le grave, avant que ne sourd douloureusement une sorte de choral, tel un esclave de Michel-Ange se libérant de sa gaine de marbre. «Parenthèse lumineuse dans le cycle», la capricieuse Cinquième trouve des accents dignes de Messiaen (notes perlées dans l’aigu) tandis que la très virtuose Sixième, «sèche et mécanique», semble renouer avec le pianisme motorique fière de ses marteaux de Bartók (Allegro barbaro) et de Prokofiev (Toccata) par sa rythmique véhémente et son tempo d’une rapidité à couper le souffle. Un vent de folie (octaves arpégées balayant toute l’étendue du clavier, progressions chromatiques) emporte les dernières mesures, levier à d’irrépressibles salves d’applaudissements.


En bis, l’Étude Désordre (1985) de György Ligeti – dédiée (malicieusement) à Pierre Boulez – parachève ce récital mémorable qui témoigne de l’éclectisme bienvenu dont fait preuve la programmation de la Fondation Louis Vuitton.



Jérémie Bigorie

 

 

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