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Le Prince Igor, enfin!

Paris
Opéra Bastille
11/28/2019 -  et 1er , 4*, 7, 11, 14, 17, 20, 23, 26 décembre 2019
Alexandre Borodine : Le Prince Igor
Ildar Abdrazakov (Prince Igor), Elena Stikhina (Iaroslavna), Pavel Cernoch (Vladimir), Dmitry Ulyanov (Prince Galitski), Dimitry Ivashchenko (Kontchak), Anita Rachvelishvili (Kontchakovna), Adam Palka (Skoula), Andrei Popov (Ierochka), Vasily Eimov (Ovlour), Marina Haller (La nourrice), Irina Kopylova (Une jeune Polovtsienne)
Chœurs de l’Opéra national de Paris, José Luis Basso (chef des chœurs), Orchestre de l’Opéra national de Paris, Philippe Jordan (direction musicale)
Barrie Kosky (mise en scène), Rufus Didwiszus (décors), Klaus Bruns (costumes), Franck Evin (lumières), Otto Pichler (chorégraphie)


(© Agathe Poupeney/Opéra national de Paris)


Un événement: Le Prince Igor entre à Bastille. Et « au répertoire de l’Opéra », comme l’affirme le programme? Certes, mais ce n’est pas une première: en 1969, on avait vu à Garnier une production du Bolchoï. Le problème de sa représentation explique peut-être ce vide: laissé inachevé par Borodine, complété par Glazounov et Rimski-Korsakov, écrit sur un livret problématique, Igor constitue un défi pour les chefs et les metteurs en scène.


Barrie Kosky ne l’a pas relevé, lui dont a beaucoup aimé La Belle Hélène en allemand, L’Ange de feu, le Pelléas et l’Orphée aux enfers. Il est parti, d’abord, de prémisses discutables: pour aider un public français peu familier de l’Histoire russe et lui faire apprécier l’universalité du sujet, la transposition à l’époque actuelle s’imposerait. Double erreur: on peut apprécier Igor sans connaître l’Histoire russe et en percevoir aussitôt l’universalité – ce qui pourrait d’ailleurs s’étendre à beaucoup de livrets d’opéra.


Mais pourquoi pas, après tout? Situer le Prologue dans une église aux murs couverts d’or en habillant les personnages de costumes contemporains permet d’associer la Russie de jadis à celle d’aujourd’hui. Admettons ensuite que le palais du dissolu Galitski devienne villa de nouveau riche de l’ère Poutine – décor à la Tcherniakov, avec piscine intérieure, où une soldatesque avinée et en rut viole une religieuse. Que le camp de Kontchak soit une sinistre geôle suintant du sang des tortures, voire que les fameuses Danses polovtsiennes soient exécutées par des prisonniers russes réduits à l’état de larves.


C’est la fin qui gêne. Non qu’on interdise à Kosky de la situer sur une route où Igor et Iaroslavna se retrouvent comme des migrants. Ou plutôt ne se retrouvent pas: Igor est ici un opéra de l’échec, d’un couple trop marqué par les épreuves, d’un souverain ayant tout raté, d’un peuple déraciné prêt à se donner au premier démagogue venu. Et, au rebours du livret et de la musique, l’opéra ne s’achève pas sur le retour d’Igor, mais sur le dérisoire couronnement d’Ovlour, le transfuge devenu frère de l’Innocent de Boris Godounov, dans une scène de farce carnavalesque. Le metteur en scène avait averti: il fallait « qu’on comprenne l’histoire [...] sans se référer à l’argument ».


On admire en général le directeur de la Komische Oper berlinoise pour son imagination débordante et la pertinence de sa direction d’acteurs. Or on sent ici plus de métier que d’inspiration, avec un deuxième acte assez poussif, une direction d’acteurs peu tendue et redondante, une incapacité à susciter l’émotion ou l’empathie. Et les treillis ont plus que fait leur temps, maintenant...


Au plateau et à la fosse de rehausser le spectacle. Fidèle à une certaine tradition, Philippe Jordan omet le troisième acte, le moins borodinien, tout en maintenant le monologue d’Igor, un des morceaux non retenus par Rimski et Glazounov, dont l’orchestration retenue est celle de Pavel Smelkov. Désormais intermède symphonique, l’Ouverture, elle, précède le dernier acte, ce qui est ici discutable étant donné le dénouement choisi par le metteur en scène. Le début manque de souffle, surtout le premier acte, rien moins que débridé, mais on se régale déjà des couleurs de l’orchestre. Tout change ensuite, la baguette s’embrase: le théâtre est là, jusqu’au quatrième acte, dramatiquement problématique pourtant, avec un deuxième plein d’atmosphère, sensuelle ou sauvage, aux Danses polovtsiennes magnifiques. Philippe Jordan tel qu’on aimerait l’entendre plus souvent, à la tête d’un orchestre en état de grâce – ou parfois d’ébriété, dont les solistes seraient tous à citer.


Distribution de haut vol, d’une homogénéité presque parfaite. Seul le Vladimir éperdu de Pavel Cernoch, dont l’aigu manque de souplesse et de nuances, se situe un cran au-dessous. Les clés de fa rivalisent de beauté vocale et stylistique: Igor poignant et princier d’Ildar Abdrazakov, Galitski truculent de Dmitry Ulyanov, Kontchak ambigu, à la fois cruel et magnanime, de Dimitry Ivashchenko, dont le grave pourrait seulement être plus profond. A peine regrette-t-on que les timbres ne soient pas davantage différenciés – c’est la pierre d’achoppement des distributions d’Igor. Mauvaise Eboli hier, Anita Rachvelishvili est une Kontchakovhna à se damner, par l’opulence capiteuse d’une voix ici suprêmement conduite, irrésistible séductrice aux graves abyssaux. Mais la plus émouvante reste peut-être la Iaroslavna d’Elena Stikhina, toute de lumière inquiète ou blessée, modèle de phrasé aussi châtié qu’expressif. Parfaits bouffons d’Adam Palka et Andrei Popov, Ovlour très subtilement caractérisé de Vasily Efimov. Chœur magnifique – passons sur quelques décalages avec l’orchestre.



Didier van Moere

 

 

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