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A prendre ou à laisser

Baden-Baden
Festspielhaus
11/03/2019 -  
Wolfgang Amadeus Mozart : Requiem en ré mineur, K. 626
Sandrine Piau (soprano), Paula Murrihy (mezzo-soprano), Sebastian Kohlhepp (ténor), Evgeny Stavinsky (basse)
musicAeterna Byzantina, musicAeterna, Teodor Currentzis (direction)


(© Alexandra Muravyeva)


«Teodor Currentzis ne peut rien interpréter comme tout le monde [...]. Place donc aux détails proéminents, aux articulations chorales caricaturales et aux effets vocaux sur-expressifs (on blanchit, on amenuise, on gonfle, on chuchote…). Bref tout le monde ici semble animé de la même frénésie hyperkinétique, provoquée par on ne sait trop quel excitant survitaminé [...].
La discographie du chef s’enrichit là d’un objet narcissique intéressant, mais on doute que notre perception du
Requiem de Mozart en sorte grandie.»


Voici l’essentiel ce que j’écrivais en 2011 dans les colonnes de la revue Opéra Magazine, à propos de l’enregistrement du Requiem de Mozart dirigé par Teodor Currentzis, réalisé à Novossibirsk et publié chez Alpha. Presque dix ans après, le concert live à Baden-Baden allait-il permettre de corriger l’impression laissée par ce disque médiocrement noté? De prime abord l’ambiance annonce une interprétation d’esprit plus religieux : éclairages tamisés, musiciens et choristes tous attifés, excepté chef et solistes, de longues robes noires qui les font ressembler à des popes orthodoxes, chœur aligné en une seule rangée des trois côtés, sur des praticables surélevés, et puis encore d’autres voix cachées en coulisse: celles du chœur masculin musicAeterna Byzantina, chargé d’introduire le concert.


Donc à l’heure dite l’éclairage baisse encore et dans une semi-pénombre résonne un introitus grégorien, Requiem aeternam, puis, nettement moins familier à nos oreilles, un chœur de liturgie grecque Exedysan Me Ta Imatia Mou. Interprétation mystérieuse, par ces voix invisibles, auxquelles se superposent sans miséricorde les quintes de toux du public. Mieux vaut sans doute que cette toilette bronchique de début de concert se fasse sur ces musiques d’attente plutôt que sur le début du Requiem de Mozart!


Cela dit, après cette dizaine de minutes de recueillement imposé, l'introduction du Requiem de Mozart à l’orchestre ne nous fait pas davantage d’impression que si elle venait nous cueillir à froid. Et même, au contraire, elle tombe à plat. Peut-être en raison de la célérité immédiate du tempo, mais surtout parce que d’emblée Currentzis accentue lourdement l’accompagnement (en l’occurence le balancement de croches des violons et altos à contretemps par rapport à la basse) au détriment des vents (bassons et cors de basset, a priori quand même nettement plus intéressants). Finalement on arrive à la célèbre entrée de la soprano (ravissante Sandrine Piau, mais voix toujours menue) en ayant l’impression de n’avoir rien entendu passer de saillant jusque là. Fâcheux ! Kyrie ensuite, d’emblée dansant voire joyeux : au demeurant une curieuse façon de solliciter humblement la clémence de l’éternel (le texte latin du Requiem a quand même un sens commun que l’interprétation de Currentzis donne souvent l’impression d’ignorer). Même problème pour le Rex tremendae majestatis, qui toutefois s’est un peu empesé par rapport au disque, où il était d’un guilleret franchement ridicule. Le Dies Irae, lui, est évidemment traité avec une surenchère de couleurs et de raucités totalement expressionniste : là au moins on est en phase avec le sens du texte, et puis même si tout le monde braille ou écrase péniblement ses cordes aux limites du possible, l’instant de souffrance masochiste paraît d’autant plus court que tout va très vite.


Attention toutefois au reproche souvent fait à Currentzis de prendre beaucoup de libertés avec le texte mozartien : ce n’est jamais vrai. Rien n’est rajouté, et quand bien même certaines accentuations paraissent monstrueuses, on retrouve toujours dans la partition les signes qui les autorisent. Simplement tout paraît surligné, outrancier, exagéré... Souvent le résultat reste acceptable, parfois l’interprétation fait quand même assez pacotille (faut-il vraiment faire chuchoter pppppp les sopranos et altos dans le Confutatis, là où la partition indique simplement sotto voce ?). Et puisqu’on en est à citer la partition, notons que Currentzis paraît utiliser pour l’essentiel la version Süssmayer la plus traditionnellement usitée, et non les révisions musicologiques ultérieures (Beyer, Levin, voire plus récemment Dutron). A l’exception de la conclusion du Lacrymosa, où tout d’un coup les cordes bariolent l’Amen fugué d’incongrues percussions col legno : un effet de glas franchement intrusif, qui nous fâcherait davantage si on ne savait pas que de toute façon ce passage n’est pas de Mozart (c’est un ajout proposé par Robert Levin).


Quatuor de solistes disparate, avec deux solides voix masculines, une mezzo plutôt charpentée et tout en haut les luminosités de vitrail de la soprano, mais de toute façon, dans le Requiem de Mozart, ces solistes ont assez peu à faire, ce qui évite aussi à Currentzis d’avoir à descendre trop souvent du podium pour déplier sa longue silhouette en accordéon juste sous le nez des chanteurs. Interminable silence à la fin, mais pas tellement parce que le public est ému (on pourra certainement tout dire à propos de cette interprétation, mais certainement pas qu’elle nous ouvre des abîmes métaphysiques), en fait simplement parce que le chef, en restant ostensiblement les bras levés, se débrouille pour que personne n’ose applaudir. Somme toute une soirée terriblement fabriquée, mais assez efficace en son genre parce qu’elle interpelle, fait réfléchir, impose de prendre position. Difficile ensuite d’écouter le Requiem de Mozart de la même façon qu’auparavant. Donc même si tout cela paraît très discutable, on peut rester preneur.



Laurent Barthel

 

 

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