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Les héros sont au rendez-vous

Berlin
Philharmonie
10/31/2019 -  et 1er*, 2 novembre 2019
Richard Strauss: Don Quixote, opus 35
Ludwig van Beethoven: Symphonie n° 3 «Héroïque» en mi bémol majeur, opus 55

Ludwig Quandt (violoncelle), Amihai Grosz (alto)
Berliner Philharmoniker, Zubin Mehta (direction)


Z. Mehta


Fatigué lui? C’est pourtant le souvenir que nous avions eu de Zubin Mehta (né en avril 1936, et qui a donc franchi l’honorable cap des 83 ans) lorsque nous l’avions entendu ici, à Berlin, à la tête de ce même orchestre, il y a quelques mois. Et pourtant, c’est lui qui emmena ensuite les Berliner Philharmoniker pour une représentation d’Otello de Verdi au Festival de Baden-Baden puis à la Philharmonie de Berlin en avril dernier. Si le vénérable chef indien a récemment dû annuler ses prochains engagements musicaux en Italie (au Mai musical de Florence et à Palerme en décembre prochain), il n’en a pas moins dirigé une tournée d’adieux avec le Philharmonique d’Israël il y a quelques semaines (voir ici et ici). De même, il a évidemment répondu présent à Los Angeles, pas plus tard que la semaine dernière, pour y diriger l’orchestre maison (dont il fut le directeur musical de 1962 à 1978) dans la Deuxième Symphonie de Mahler, à l’occasion du centième anniversaire de la prestigieuse phalange. Et c’est de nouveau lui qui, après ces trois habituels concerts berlinois (chaque programme du Philharmonique étant toujours donné trois fois, en principe les jeudi, vendredi et samedi soir), va diriger la semaine prochaine la Huitième de Bruckner à la tête des Berlinois avant d’emmener l’orchestre dans une grande tournée japonaise du 13 au 22 novembre où les deux programmes (celui de ce soir et Bruckner) seront joués d’Osaka à Tokyo en passant notamment par Fukuoka et Nagoya. Alors, fatigué Zubin Mehta? Non! Même si son entrée fut lente, le pas était plutôt assuré, le chef s’aidant d’une canne qu’il accrocha au dossier de l’estrade sur laquelle était placée la chaise sur laquelle il s’assit pour diriger ce copieux concert qui affichait complet depuis des semaines.


Ludwig Quandt est premier violoncelle solo des Berliner depuis 1993: autant dire que la partition de Don Quichotte (1897) de Richard Strauss n’a rien pour l’effrayer. Mais comment ne pas se complaire (dans le bon sens du terme) avec un orchestre dont les couleurs et l’esprit s’avèrent d’emblée si viennois: Zubin Mehta, qui a étudié dans la capitale autrichienne et tissé des liens intenses avec le Philharmonique de Vienne, impose d’emblée une atmosphère digne du Rosenkavalier avec des bois d’une finesse (l’entrée de clarinette d’Andreas Ottensamer), des solistes d’une assurance (les premières interventions du violon solo Daniel Strabawa) et des cordes d’une fluidité à se damner. S’appuyant surtout sur les basses de son Ruggieri de 1675, Ludwig Quandt campe un héros haut en couleur, faisant sans doute beaucoup d’efforts sur lui-même pour se laisser aller, lui dont le visage ne laisse habituellement guère transparaître d’émotion particulière… Léger voire frivole dans la Variation 6, fougueux et véhément dans la Variation 7, inquiétant (les pizzicati) dans la Variation 8, douloureux dans la dernière variation (qui rappelle ô combien la mort du héros dans Une vie de héros), il illustra avec beaucoup d’allant et de finesse le héros straussien. Mais c’est peut-être l’alto solo d’Amihai Grosz qui nous aura fait la plus forte impression car, sous son archet, c’est presque Sancho Pança qui domine son maître par la noblesse et la subtilité de l’incarnation (lVariation 3). D’une incroyable distinction, l’alto s’envole et campe un serviteur lui aussi des plus héroïques: quelle musicalité dans le jeu! Evidemment, Mehta met l’ensemble de l’orchestre au diapason de cette très grande distinction musicale, les Berliner alignant pour l’occasion certaines vedettes de l’orchestre, de Stefan Dohr au cor solo à Christhard Gössling au tuba ténor en passant par Mathieu Dufour à la flûte. Pour sa part, le chef n’a guère besoin de faire de fioritures: une main gauche levée à hauteur des yeux et le soliste ou le pupitre démarre, une légère inflexion du buste à droite ou à gauche et les cordes s’envolent, une inspiration de tout son être et c’est l’ensemble de l’orchestre qui s’embrase. Ovation méritée pour les deux solistes et le chef, les bouquets étant remis par l’altiste du rang Julia Gartemann, les applaudissements redoublant lorsque Mehta fit lever l’ensemble de l’orchestre. Aux côtés des phalanges historiques que sont Vienne et Dresde, Berlin continue sans nul doute de s’affirmer comme un orchestre straussien de tout premier ordre.


Le temps pour le personnel de la Philharmonie d’enlever pendant l’entracte une bonne partie des chaises et des pupitres, de remonter certains pans de la scène et nous voilà face à Beethoven avec, là aussi, une œuvre de circonstance: l’Héroïque, que l’orchestre n’avait pas donnée depuis le mois d’octobre 2015, lorsque Simon Rattle avait réalisé une intégrale des symphonies avec les Berliner Philharmoniker. Qu’on ne demande pas ce soir à Zubin Mehta d’adopter les options baroquisantes en vogue depuis plusieurs années: c’est la tradition qui sera bel et bien présente! Mais quand elle est si bien défendue, comment ne pas succomber? L’orchestre fait ronfler ses huit contrebasses, les trois cors (Stefan Dohr, Sarah Willis et Stefan de Leval Jezierski) affirment leur superbe avec, presque, insolence, les bois s’amusent dans leur dentelle orchestrale... Si les effectifs choisis ont parfois conduit à un léger déséquilibre sonore (mais, que peut le hautbois de Jonathan Kelly face au pupitre des contrebasses?), le premier mouvement nous emporte. Joué sans reprise, ayant étrangement subi deux légers décalages entre les premiers violons et le reste de l’orchestre, il illustra avec aplomb la figure napoléonienne de la symphonie. Dans la Marcia funebre. Adagio assai, Mehta n’opte ni pour les épanchements excessifs (on aura remarqué l’usage extrêmement modéré du vibrato, notamment chez les violoncelles) ni pour la grandiloquence, mais pour une sorte de dignité du discours qui fut parfaitement assumée par un orchestre dont la clarté nous frappa en dépit d’effectifs conséquents. Les vents s’amusent dans le troisième mouvement avant que le Finale ne s’emballe. Mehta ne laisse jamais, ici comme auparavant, l’orchestre en roue libre alors qu’on pourrait s’y attendre dans ce type de pièces si connues. Au contraire, veillant là aussi à ne pas laisser s’aggraver un début de décalage, il met tout le monde d’accord en un geste millimétré mais impérieux, son profil aquilin se tournant alternativement vers les premiers et les seconds violons pour entraîner le Philharmonique dans une conclusion qu’on aurait sans doute souhaité plus vive, mais qui n’en couronna pas moins une prestation du plus haut niveau.


Le site de Zubin Mehta
Le site de l’Orchestre philharmonique de Berlin



Sébastien Gauthier

 

 

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