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Baden-Baden
Festspielhaus
10/06/2019 -  
Ludwig van Beethoven : Concerto pour piano n° 4, opus 58 – Concerto pour hautbois en fa majeur (fragment), H. 12 – Symphonie n° 7 en la majeur, opus 92
Karel Schoofs (hautbois)
Rotterdams Philharmonisch Orkest, Lahav Shani (piano et direction)


L. Shani (© ManoloPress/Michael Bode)


Quand on découvre Lahav Shani pour la première fois, ce qui a été le cas pour nous ce soir, on ne risque plus de l’oublier, alors qu’il s’agit pourtant d’un tout jeune musicien d’à peine trente ans, qui a gardé des allures d’étudiant sage. Les prédispositions musicales précoces de Lahav Shani, né à Tel-Aviv en 1989, n’ont pas débouché sur une carrière d’enfant prodige mais bien sur un véritable apprentissage de fond (encore que d’une grande versatilité : piano, contrebasse, direction d’orchestre...). Très vite des parrainages ont pesé lourd : Zubin Mehta, Daniel Barenboim, un premier prix au concours direction d’orchestre Gustav Mahler à Bamberg, en 2013, où le jury a remarqué son «instinctive musicalité naturelle» et sa «surprenante maturité»... Et depuis les orchestres se bousculent pour l’adopter : principal chef invité des Wiener Symphoniker dès 2017, directeur musical de l’Orchestre philharmonique de Rotterdam dès 2018, et enfin directeur musical de l’Orchestre philharmonique d’Israël à partir de 2020. On notera que pour ce dernier poste, à pourvoir après le départ de Zubin Mehta qui l’occupait depuis un demi-siècle, Lahav Shani a été préféré à des candidats qui s’appelaient rien moins que Pablo Heras-Casado, Manfred Honeck, Vladimir Jurowski et Gianandrea Noseda. Peut-être aussi parce que les musiciens de l’Orchestre philharmonique d’Israël ont tous vu Lahav Shani grandir et faire ses classes ici, à Tel-Aviv, se produire avec eux en soliste, les diriger, voire jouer de la contrebasse dans leurs rangs, et l’ont pris d’affection.


Au Philharmonique de Rotterdam, le charme a opéré de façon plus immédiate mais pas moins unanime : un seul concert avec l’orchestre a suffi pour nommer Lahav Shani au poste laissé vacant par Yannick Nézet-Séguin. Les raisons de ce coup de foudre? On ne tarde pas à les comprendre, en voyant arriver sur la scène du Festspielhaus de Baden-Baden ce jeune homme à la démarche décidée, costume de ville sombre et chemise à col ouvert : une tranquille assurance, celle déjà d’un vrai chef doté d’un autorité naturelle, et pourtant sans la moindre pose. Piano installé frontalement devant l’orchestre, sans couvercle, dispositif qui nous rappelle les souvenirs encore vifs d’autres pianistes-chefs capables d’affronter cet exercice du concerto dirigé depuis le clavier : Ashkenazy, Barenboim, Eschenbach, Perahia... et assurément Shani ne dépare pas ce lignage-là, avec de surcroît l’audace de s’attaquer à un concerto particulièrement complexe à gérer dans ses rapports de force : le Quatrième de Beethoven. Une confrontation qui ne donnera lieu à aucun fléchissement : partie soliste dominée avec une belle hauteur de vue, toucher lumineux et raffiné, emprise sur l’orchestre cependant totale, relayée si besoin par des chefs d’attaque qui interagissent avec le soliste comme en musique de chambre (très belle osmose entre le chef et son premier violon, Marieke Blankestijn). Le classique affrontement de titans de l’Andante en acquiert une densité autre, plus consensuelle, mais pas moins émouvante. Pour un chef-d’œuvre de ce calibre, tout au plus peut-on noter quelques défauts d’achèvement des fins de phrases au piano dans les mouvements rapides, les mains de Lahav Shani paraissant parfois trop pressées de quitter les touches pour diriger. Et puis aussi un relatif déséquilibre entre une partie soliste au toucher davantage raffiné que puissant et un effectif de cordes un peu trop généreux. Mais vraiment des réserves minimes, en regard de la maîtrise dont fait preuve Lahav Shani au cours de cette exécution constamment passionnante et pleine de vie.


Pas de bis d’orchestre à la fin du concert, mais entre les deux pièces de résistance du programme quand même une petite friandise : le deuxième mouvement d’un Concerto pour hautbois composé par Beethoven à l’âge de 22 ans. Non, il ne s’agit pas vraiment de ce concerto disparu, qu’on sait avoir existé et que tous les hautboïstes en mal de répertoire rêvent de voir retrouver un jour, mais, à défaut, d’un mouvement isolé reconstitué à partir d’esquisses éparses par deux musicologues, Cees Nieuwenhuizen et Jos Van der Zanden (pourquoi le nom du second a-t-il disparu du programme ? mystère...). Assurément rien de fortement caractéristique là-dedans, mais une ambiance qui rappelle effectivement celle d’autres œuvres de jeunesse beethovéniennes (le plaisant Septuor avec vents par exemple). En l’état une suite d’agréables phrases, que le hautbois de Karel Schoofs détaille comme autant de cantilènes belliniennes d’une jolie suavité.


Impression décisive en seconde partie, avec le début de la Septième Symphonie de Beethoven : Lahav Shani édifie un majestueux portique, que la grande distinction de son du Philharmonique de Rotterdam taille dans un marbre digne des Propylées. Et discours magistralement tenu ensuite, pour ce Beethoven très classique de facture, au sens où il s’inscrit directement dans le sillage des plus grands : Furtwängler, Klemperer, Karajan... Pas de sonorités émaciées, pas de petits détails insolites qui émergent çà et là pour réveiller l’attention du chaland, pas de petites révérences maniérées sous le prétexte de paraître historiquement informé, pas de tempi bousculés pour fabriquer artificiellement un quelconque sentiment d’urgence, et même, dans l’Allegretto, un tempo ouvertement posé, qui prend crânement le risque de susciter quelques commentaires condescendants. Rien qu’une lecture évidente où tout procède de tout, avec un sens de l’agogique assez époustouflant pour un interprète aussi jeune. Qu’un musicien de cette nouvelle génération qui a tant baigné déjà dans la multitude d’approches possibles de ce répertoire aujourd’hui, ait le courage d’aborder Beethoven avec ce sens aigu de l’essentiel, en faisant superbement fi des modes et des coquetteries du moment, est en soi déjà extraordinaire. Pour le reste, maintenant que les fondamentaux sont en place avec autant de maîtrise, les éléments d’une personnalité plus affirmée auront largement la possibilité de se développer avec les années. Mais dès à présent les concerts de Lahav Shani sont à ne pas manquer : respect de la musique et bonheur de jouer ensemble y vont de pair, en toute simplicité. Et en ces temps de fausses valeurs artificiellement fabriquées c’est tout à fait réconfortant.



Laurent Barthel

 

 

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