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Révélation

Bruxelles
Koninklijke Vlaamse Schouwburg
09/05/2019 -  et 27, 29 septembre, 2, 4, 6 octobre 2019
Benjamin Attahir: Le Silence des ombres (création)
Julia Szproch (Tintagiles, Alladine), Raquel Camarinha (Ygraine, Marie, Astolaine), Clémence Poussin (Bellangère, Marthe, Sœur de Palomides), Renaud Delaigue (Aglovale, Ablamore), Morgane Heyse/Gwendoline Blondeel*/Sarah Théry (Servantes, Sœurs de Palomides), Pierre Derhet (Un paysan, Palomides), Sébastien Dutrieux (L’Etranger, Médecin), Luc Van Grunderbeeck (Le vieillard)
Orchestre de chambre de la Monnaie, Benjamin Attahir (direction)
Olivier Lexa (mise en scène, vidéo), Milena Forest, Clémentine Gomez Geil, Charlotte Hermant, Arnaud Mathieu, Léa Pelletier, Gabrielle Ritz, Marco Sanchis, Lynn Scheidweiler, Charlotte Seegmüller (décors, costumes), Alexander Koppelmann (lumières), Simon Van Rompay (vidéo)


(© GianMaria De Luca)


En cet automne, place à la nouveauté. La Monnaie débute sa saison avec deux créations, Macbeth Underworld de Pascal Dusapin, in loco, et Le Silence des ombres de Benjamin Attahir (né en 1989), au Théâtre royal flamand, de plus petites dimensions. Le compositeur s’engage dans un projet ambitieux en mettant en musique les Trois petits drames pour marionnettes (1894) de Maeterlinck, soit trois œuvres en une, plus exactement deux opéras, La Mort de Tintagiles et Alladine et Palomides, séparés par un bref mélodrame parlé, Intérieur.


Bien entendu, l’atmosphère dans lequel baigne cet ouvrage évoque Pelléas et Mélisande, voire Ariane et Barbe-Bleue, mais sur le plan musical, cet opéra présente bien plus de divergences que de points communs avec ceux de Debussy et Dukas. Cet ancien pensionnaire à la Villa Médicis recourt à une formation de chambre, ce qu’impose, de toute façon, la fosse, de petite taille, et l’effectif présente la particularité de ne comporter aucun violon, ce qui confère une couleur sombre à la musique, mais bien les autres instruments du quatuor, trois altos et trois violoncelles, ainsi que deux contrebasses, de nombreuses percussions, un pupitre de bois divers et étoffé, avec notamment un hautbois d’amour, un saxhorn et un serpent, pour évoquer subtilement la musique orientale, en particulier dans Alladine et Palomides, et même un piano, une harpe et, pour l’originalité, un accordéon, intervenant par touches discrètes – dix-neuf musiciens, en tout.


Malgré l’économie des moyens, cette composition efficacement pensée pour le chant et le théâtre réserve des moments intenses et fulgurants, en plus de conférer du relief à ce texte faussement simple et de constamment captiver par son raffinement, son imagination et son expressivité. Le métier suscite l’admiration, par sa maîtrise de l’écriture et de la forme, par sa capacité, aussi, à exprimer les tourments des personnages avec justesse, en plus d’installer un climat. La sophistication et la richesse de cette musique ne compromettent en aucun moment son naturel, et celle-ci épouse merveilleusement les contours du texte parlé dans Intérieur. Benjamin Attahir, qui assure en personne la direction musicale de ce spectacle, obtient de l’Orchestre de chambre de la Monnaie un jeu vif et précis, ainsi que de beaux alliages de timbres. Cette prestation de haut vol n’évoque rien de moins que Britten interprétant ses propres œuvres. Il faut absolument retenir le nom de ce compositeur.


La mise en scène s’intègre harmonieusement avec la musique, ce qui témoigne d’un authentique travail d’équipe. Olivier Lexa parvient à regrouper les trois parties dans un dispositif unique, en occupant excellemment l’espace, le plus souvent obscure, et en faisant subtilement revenir des éléments de la première et de la deuxième pièce dans la troisième. La partie médiane, bien qu’émouvante, offre un moment de répit, de toute beauté. Elle se déroule sur trois niveaux, grâce à l’appui de la vidéo, un moyen fréquent à l’opéra mais remarquablement utilisé dans cette production. Impeccable de crédibilité et d’intensité, la direction d’acteur rehausse la puissance du texte et montre toute l’intensité et la violence des relations entre les personnages, remarquablement caractérisés – la première partie se termine, ainsi, sur un formidable climax qui ne peut laisser personne indifférent. Si les lumières portent la signature d’un professionnel aguerri, Alexander Koppelmann, le décor et les costumes résultent du remarquable travail collectif d’étudiants de La Cambre, la célèbre école bruxelloise d’arts visuels.


La distribution est idéale, la plupart des chanteurs incarnant plusieurs rôles, avec au moins un point commun : une maîtrise impeccable du français, condition essentielle pour Maeterlinck. Il faut saluer, parmi les jeunes interprètes, la fraîcheur et la sensibilité de Julia Szproch, et plus encore la grâce incarnée de Raquel Camarinha, soprano à la prononciation précise, à la présence magnifique et à la voix, certes légère, mais ferme et séduisante. Renaud Delaigue en impose par son verbe clair et son port altiers et atteint la perfection par la noblesse de sa ligne de chant, tandis que Pierre Derhet, avec un toute autre tempérament, fait valoir d’authentiques qualités de diction et de conduite de la ligne. Les autres chanteurs se révèlent également excellents, mais il ne faut pas omettre d’applaudir les comédiens, Sébastien Dutrieux et Luc Van Grunderbeeck, absolument magistral dans le rôle du vieillard.


La longueur constitue en fin de compte le seul défaut, tout relatif, de ce spectacle débordant de talent: trois heures, tout de même, une durée inhabituelle pour un nouvel opéra, encore plus pour le premier d’un compositeur, mais cela n’a que de peu d’importance en regard du niveau. Contre toute attente, cette création se révèle encore plus intéressante que Macbeth Underworld.



Sébastien Foucart

 

 

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