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Musique maestro!

Paris
Opéra Bastille
09/27/2019 -  et 28, 30 septembre, 1er, 3, 4, 6, 8, 10, 11, 13, 15 octobre 2019
Jean-Philippe Rameau : Les Indes galantes
Sabine Devieilhe (Hébé, Phani, Zima), Julie Fuchs (Emilie, Fatime), Jodie Devos (l’Amour, Zaïre), Florian Sempey (Bellone, Adario), Edwin Crossley-Mercer (Osman, Ali), Mathias Vidal (Valère, Tacmas), Alexandre Duhamel (Huascar, Don Alvar), Stanislas de Barbeyrac (Don Carlos, Damon), Compagnie Rualité
Maîtrise des Hauts-de-Seine, chœur d’enfants de l’Opéra national de Paris/Chœur de chambre de Namur, Thibaut Lenaerts (chef des chœurs), Orchestre Cappella Mediterranea, Leonardo García Alarcón (direction)
Clément Cogitore (mise en scène), Bintou Dembélé (chorégraphie), Alban Ho Van (décors), Wojciech Dziedzic (costumes), Sylvain Verdet (lumières), Katherina Lindekens (dramaturgie musicale), Simon Hatab (dramaturgie)


J. Fuchs (© Little Shao/Opéra national de Paris)


Les Indes galantes (1735), opéra-ballet en un prologue et quatre entrées, de Jean-Philippe Rameau invitent au voyage, inévitablement, à la rêverie sans doute aussi... De la première entrée («Le Turc généreux») aux «Sauvages» (quatrième entrée), de la plus faible troisième entrée («Les Fleurs - Fête persane») à la plus multicolore deuxième («Les Incas du Pérou»), on vient écouter Les Indes Galantes comme on viendrait faire un tour du monde des émotions, des couleurs et des paysages. On en sera en partie pour ses frais avec cette nouvelle production où la musique, heureusement, rattrape une mise en scène dont on aura cherché, souvent en vain, l’intérêt au fil de ces trois heures trente de spectacle.


Les premières images sont neutres. Autour d’un large cratère fumant (cercle qui servira tout au long de l’opéra de centre de référence scénique), Hébé, en perruque peroxydée, apparaît en trench tendance et réveille des corps qui se contorsionnent confusément à ses pieds, dans un vague halo gris. Echo volontaire ou non à la Fashion Week qui s’achève cette semaine à Paris, elle s’affirme comme une sorte de directrice artistique surveillant ensuite l’habillement de mannequins qui se font photographier par des flashs éclatant en mesure avec la musique, la scène hyper moderniste n’étant que peu troublée par l’arrivée d’un joueur de musette pour illustrer sans grande surprise le passage «Musettes, résonnez dans ce bruyant bocage» (scène 2). La Première entrée se veut également symbolique, un immense bras mécanique suspendu sortant des tréfonds du cratère une épave de barque, les danseurs étant cette fois-ci grimés en migrants cherchant un peu de chaleur sous des couvertures de survie dorées. Que penser ensuite de ces quatre légionnaires (aux apparitions récurrentes, dont les casques font davantage penser au groupe français de musique électronique Daft Punk) qui arrivent sur scène pour, peut-être, illustrer l’arrivée des conquistadores dans la deuxième entrée consacrée aux «Incas du Pérou»? Etait-il nécessaire ensuite de prendre prétexte du fait que Tacmas doive apparaître déguisé en marchande du Sérail pour situer l’action dans une sorte de peep show comme on en trouve par exemple dans le lugubre quartier rouge d’Amsterdam, où des prostituées attendent leurs clients dans des cabines transparentes aux néons fatigués? De même, dans cette même entrée, avouons que la symbolique du manège (surgi là encore des tréfonds du cercle central qui servait au début du spectacle de cratère), qui n’aura d’ailleurs eu d’utilité que pendant quelques minutes aux enfants présents sur scène, nous aura échappé. Enfin, on attendait autre chose de la dernière entrée où, en lieu et place des «Sauvages», on aura plutôt eu droit à des sauvageons dont la danse lors du célèbre air «Forêts paisibles» ressemblait davantage à une joute des rues, sweets à capuche et vociférations aidant. Une barque pour le chœur des matelots, des strip-teaseuses pour le Sérail, des bandes de jeunes pour les Sauvages: l’imagination n’était guère au rendez-vous et tout cela aura, somme toute, été assez conventionnel. Si les costumes sont quelconques (on passe de certaines robes aux couleurs assez froides aux habits bien connus de certains jeunes de banlieue en passant par des tenues de chantier aux bandes phosphorescentes), le jeu des éclairages fut en revanche plus intéressant, permettant d’attirer le regard de façon assez originale, quitte à ce que les spectateurs doivent parfois plisser les yeux lorsque certains projecteurs furent directement pointés vers la salle.


Côté scénographie, le jeu des acteurs (parfois requis pour danser en même temps qu’ils chantaient) est assez limité même si l’on doit excepter la sensualité de Jodie Devos dans le rôle de Zaïre dans «Fête des fleurs» et la rage à peine contenue de Florian Sempey lorsqu’il incarne le personnage d’Adario chez les «Sauvages». Il faut dire que la mise en scène ne leur laisse guère de place, la danse étant finalement le spectacle premier de cette production, avant même la musique et le chant. Certains passages sont certes excellents et confinent même au merveilleux: la scène 2 des «Incas du Pérou», lorsque Phani est seule et chante accompagnée d’un danseur qui virevolte autour d’elle, ses pieds semblant à peine toucher terre, ou ces danseurs marchant au ralenti (dans la même entrée) au moment de la fête du Soleil. Mais avouons que, finalement, la danse s’avère bien trop présente, trop visible et, à force de ne vouloir laisser aucun temps mort et meubler le moindre instant, son omniprésence finit par tourner à vide, les numéros s’enchaînant les uns aux autres sans que l’on n’établisse aucune hiérarchie entre les passages qu’il importait de souligner et ceux qui pouvaient plus facilement passer au second plan. Au-delà du nivellement (et parfois de l’ennui) qui s’installe, reconnaissons sans peine que les danseurs et danseuses de la Compagnie Rualité sont exceptionnels et que les performances physiques ainsi que certains visuels sont impressionnants. Pour autant, nous avons le souvenir de représentations d’opéras baroques où la danse, notamment contemporaine, s’imposait de façon beaucoup plus convaincante: on est loin de la magie des Paladins en mai 2004 au Châtelet (le génie de la compagnie Montalvo-Hervieu dans un spectacle repris deux ans plus tard!) ou du spectacle plus classique, mais dans une optique véritablement merveilleuse, de Blanca Li, dans la désormais légendaire production des Indes galantes qui avait été donnée à l’Opéra Garnier en octobre 2003, sans parler des haletants numéros de danse et d’acrobatie qui avaient illustré Alcione au printemps 2017 de Marin Marais à Versailles.


Heureusement, la face strictement musicale de ces Indes galantes aura été à la hauteur de l’événement! Côté chanteurs, ne tergiversons pas: le trio féminin fut exceptionnel. A commencer par Sabine Devieilhe, qui fut irréprochable dans le rôle d’Hébé, qu’elle chantât seule ou en duo avec Amour («Traversez les plus vastes mers»); si son interprétation de Phani a quelque peu manqué de caractérisation (avec des aigus un peu durs de temps à autre), son incarnation de Zima fut en revanche excellente. On vient d’évoquer un de ses personnages: Jodie Devos fut un Amour et, surtout, une Zaïre irréprochable. Figure centrale de la troisième entrée («Les Fleurs - Fête persane»), elle imposa par sa présence, son chant et son charme cette esclave d’Ali aimée de Tacmas: l’air «Amour, Amour, quand du destin j’éprouve la rigueur» (scène 3), accompagné en fosse par la flûte enjôleuse de Serge Saitta, fut un des plus beaux moments de la soirée. On connaît et on aime Julie Fuchs: une fois encore, elle nous aura comblé! Si elle fut une très belle Emilie, c’est surtout sa Fatime qui nous aura ravi, contribuant avec Jodie Devos à rendre son lustre à celle qui reste l’entrée la plus faible de l’œuvre (soulignons à ce titre le quatuor conclusif de la scène 7, magnifique!).


L’équipe masculine nous laissa une impression plus contrastée. Florian Sempey a la force de ses personnages et son chant en impose: servi par des graves profonds et bénéficiant d’une excellente prononciation (ce qui fut le cas de la plupart des chanteurs, il est vrai tous francophones!), son incarnation de Bellone (assez brève somme toute) et surtout d’Adario dans «Les Sauvages» fut au diapason de l’ambiance souhaitée même si le fameux duo «Forêts paisibles» avec Zima nous aura quelque peu déçu, mais sans doute en raison de l’orchestre plus que du chant. On y reviendra. Edwin Crossley-Mercer fut un cran en deçà de ses coreligionnaires: pourtant doté d’une très belle voix, son timbre assez caverneux rendit son élocution souvent confuse, le passage d’Osman à Ali ne changeant par ailleurs pas grand-chose dans son jeu. Grand habitué de ce répertoire, Mathias Vidal fut une fois encore excellent (mais quand ne l’est-il donc pas?), tout spécialement dans le rôle de Valère, parvenant par ailleurs à doter le personnage de Tacmas (un travesti) d’une grande sensibilité et d’une non moins véritable finesse alors que d’aucuns auraient pu en faire une caricature. Vraie révélation de l’équipe, Alexandre Duhamel qui incarna un magnifique Huascar dans «Les Incas du Pérou». Son air «Le dieu de nos climats dans ce beau jour m’inspire» (scène 3) fut magnifique en dépit d’un léger vibrato qu’il maitrisa néanmoins sans coup férir. Quant à Stanislas de Barbeyrac, il ne donna guère d’épaisseur au personnage de Don Carlos, réussissant en revanche beaucoup mieux celui de Damon à la dernière entrée.


Si la Maîtrise des Hauts-de-Seine fut très bonne, que de fleurs à envoyer au Chœur de chambre de Namur! Il fut omniprésent et omnipotent pourrait-on dire, tant la variété de ses couleurs, la finesse de son élocution, la qualité de son engagement furent patents. Dès le Prologue, on goûta son «Hâtez-vous, hâtez-vous» avec délectation, ses interventions ultérieures ayant toutes été marquées du sceau de la plus parfaite justesse. Dès son entrée dans la fosse, Leonardo García Alarcón fut chaleureusement applaudi, certains spectateurs lançant même déjà quelques bravos à celui qui a fait ses débuts à l’Opéra de Paris avec l’Héliogabale de son cher Cavalli en septembre 2016! Et le fait est qu’il fut l’étoile de cette soirée, épaulé bien entendu par un Orchestre Cappella Mediterranea où l’on croise les noms bien connus de Florence Malgoire au poste de premier violon, Marie-Ange Petit aux percussions, Serge Saitta (un des flûtistes attitrés de William Christie aux Arts Florissants) ou Jean Beaugiraud au hautbois. Les couleurs là encore furent exceptionnelles, le chef argentin veillant à faire constamment avancer le discours, dirigeant le plus souvent à mains nues, tenant de temps à autre une baguette, alternant avec une réactivité de premier ordre de la part des musiciens gestes millimétrés et précis et grandes circonvolutions des bras. Dommage, de fait, que «La Danse du grand calumet de la paix» et le célébrissime passage «Forêts paisibles» qui suit aient été joués de façon étrangement si étale, sans rythme, sans truculence, cette soudaine platitude ayant néanmoins été saluée par un tonnerre d’applaudissements (pour notre part, on se souvient encore de cet exceptionnel passage lors de la représentation que nous avions entendue au Festival de Sablé-sur-Sarthe voilà deux ans). Quel dommage surtout (mais qui donc a pu avoir cette idée saugrenue? S’il en est encore temps pour les futures représentations, revenir sur ce choix serait des plus opportun...) que les artistes, à commencer par les danseurs, aient débuté les saluts durant la chaconne concluant l’opéra, une grande partie du public applaudissant de fait à tout rompre tandis qu’une autre, plus hésitante, ne savait pas très bien si cela allait s’arrêter ou non et, donc, alternait entre applaudissements et regard gênés à droite et à gauche! De fait, nous voilà avec une dizaine de minutes de musique en moins: rageant et de quoi atténuer l’impression tout de même positive d’une soirée à écouter peut-être avant tout les yeux fermés, le public de l’Opéra Bastille ayant néanmoins accueilli par une standing ovation l’ensemble de l’équipe pour cette première des Indes galantes.


Le site de Clément Cogitore
Le site de Sabine Devieilhe
Le site de Julie Fuchs
Le site de Jodie Devos
Le site de Florian Sempey
Le site d’Edwin Crossley-Mercer
Le site de Mathias Vidal
Le site d’Alexandre Duhamel
Le site de Stanislas de Barbeyrac
Le site de La Maîtrise des Hauts-de-Seine
Le site du Chœur de chambre de Namur
Le site de l’Orchestre Cappella Mediterranea et de Leonardo García Alarcón
Le site de Bintou Dembélé et de la compagnie Rualité



Sébastien Gauthier

 

 

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