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Ecrit sur la neige

Aix-en-Provence
Grand Théâtre de Provence
09/24/2019 -  et 3, 4, 5 (Paris), 9 (Martigues), 17, 18 (Metz) octobre, 20 (Brugge), 22, 23 (Bruxelles), 28 (Dole) novembre 2019, 11, 12 janvier (Nantes), 17 (Angers), 19, 20 (Bordeaux), 24, 26 (Rennes), 31 (Lanester) mars, 3, 4, 5 (Marseille), 27, 28 (Rouen) avril 2020
Winterreise
Angelin Preljocaj (chorégraphie), Franz Schubert (musique)
Thomas Tatzl (baryton), James Vaughan (pianoforte), Ballet Preljocaj
Constance Guisset (scénographie), Eric Soyer (lumières)


(© Jean-Claude Carbonne)


Après l’avoir créée la saison dernière à Milan pour le Ballet du Teatro alla Scala et reprise en juillet dernier avec les danseurs de sa compagnie au Festival Montpellier Danse et au Festival Bolzano Danza (Italie), le chorégraphe français Angelin Preljocaj inscrit Winterreise, sa dernière pièce conçue sur le cycle éponyme de Franz Schubert, au répertoire du Ballet Preljocaj pour une tournée qui commencera à Paris cette semaine au Théâtre des Champs Elysées.


Ce n’est pas la première fois qu’Angelin Preljocaj tutoie les sommets de la musique: les concertos pour piano de Mozart ont été le substrat musical de son ballet Le Parc créé en 1994 pour les danseurs du Ballet de l’Opéra de Paris (qui sera repris en décembre à l’occasion du départ à la retraite de la danseuse étoile Eleonora Abbagnato); les symphonies de Mahler pour son admirable Blanche-Neige (2004); Prokofiev, bien sûr, en 1996 pour Roméo et Juliette, devenu un ballet culte; et même Les Quatre Saisons de Vivaldi (2005) et La Stravaganza pour des pièces crées en 1997 par le New York City Ballet. Il s’agissait (hormis pour les concertos de Mozart) de musiques enregistrées constituant pour ainsi dire un fond sonore choisi avec beaucoup de soin grâce à l’énorme culture musicale du chorégraphe. Le Voyage d’hiver de Schubert sur des poèmes de Wilhelm Müller est un cycle de vingt-quatre lieder qui illustre le désespoir d’un homme quittant un soir la maison de sa bien-aimée pour des motivations et une destination inconnues, ce qui ouvre des possibilités d’interprétation multiples, un véritable champ d’investigation pour un chorégraphe. L’hiver est autant dans la tête du voyageur que dans le paysage et les poèmes de Müller, qui allait mourir peu avant Schubert, déjà touché par la syphilis au moment de sa composition. Le sens du temps y est aboli, la musique d’une économie totale et le désespoir au détour de chaque vers.


On imagine bien la difficulté, certaine pour le chorégraphe, mais aussi pour le spectateur de se plier à ce double niveau de lecture qu’heureusement ne vient pas tripler un surtitrage comme cela devient la règle à l’opéra et même dans les récitals de chant. Le chanteur et le pianiste sont bien présents en contrebas de la scène et vivent ce sinistre et vibrant voyage avec mission de transmettre une histoire au public. Sur scène, douze danseurs donnent vie avec un raffinement chorégraphique extrême, dans une scénographie dépouillée de Constance Guisset magnifiée par les éclairages d’Eric Soyer, au projet d’Angelin Preljocaj. Le chorégraphe n’a pas tenté d’illustrer le texte au pied de la lettre. Cà et là se glissent quelques allusions visuelles comme dans «La Tête blanche» («Der Greise Kopf»), «La Poste» («Die Post»), «Le Poteau indicateur» («Der Wegweiser») et «Les Faux Soleils» («Die Nebensonnen»), qui sont plutôt des occasions de donner un peu de couleur à un spectacle sombre, car la neige y est grise comme cendre, les tenues noires et les éclairages froids. Tout dans la chorégraphie est fait pour que l’action avance, on y retrouve moins qu’ailleurs le vocabulaire propre de Preljocaj qui se veut plus proche de la danse romantique. Les magnifiques danseurs du Ballet Preljocaj sont en phase totale avec cette vision avec laquelle ils ne font qu’un.


Si quelques silences donnent lieu à un petit supplément de liant entre groupes de lieder, rien ne va ralentir cette marche inexorable vers... la mort? Car dans la dernière vignette, intitulée «Le Joueur de vielle» («Der Leiermann»), dont le texte illustre autant l’engourdissement des doigts du musicien que celui du paysage, Preljocaj, faisant revenir les six couples du début, les hommes désespérément en noir, les femmes en blanc comme des mariées, propose une possible réponse au postulat de départ de «Bonne nuit» («Gute Nacht»): le jeune homme qui ne peut s’attacher part car la mère de la jeune fille amoureuse parle de mariage. Mais les femmes recouvrent vite les hommes de cette cendre neigeuse, pour les enterrer? Terrible interrogation et ultime image d’une stimulante chorégraphie.


Il serait intéressant de comparer le spectacle où les musiciens sont sur scène avec les représentations qui seront données avec la musique enregistrée, certains soirs de la tournée, pour savoir dans quelle mesure l’oreille distrait l’œil et vice versa. Le baryton-basse autrichien Thomas Tatzl donnait beaucoup de relief aux lieder avec une grande voix projetant bien dans la grande salle aixoise, malgré quelques aigus un peu tendus et un accompagnement au pianoforte plutôt linéaire de James Vaughan, qui apportait peu de couleurs au chanteur.



Olivier Brunel

 

 

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