About us / Contact

The Classical Music Network

Paris

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Michele Mariotti réinvente l’orchestre de La Traviata

Paris
Palais Garnier
09/12/2019 -  et 15, 18, 21, 24, 26, 28 septembre, 1er, 4, 6, 9, 12, 16 octobre 2019
Giuseppe Verdi : La traviata
Pretty Yende*/Zuzana Marková (Violetta Valéry), Catherine Trottmann (Flora Bervoix), Marion Lebègue (Annina), Benjamin Bernheim*/Atalla Ayan (Alfredo Germont), Ludovic Tézier*/Jean-François Lapointe (Giorgio Germont), Julien Dran (Gastone), Christian Helmer (Barone Douphol), Marc Labonnette (Marchese d’Obigny), Thomas Dear (Dottor Grenvil), Luca Sannai (Giuseppe), Enzo Coro (Domestico), Olivier Ayault (Commissionario)
Chœurs de l’Opéra national de Paris, José Luis Basso (chef des chœurs), Orchestre de l’Opéra national de Paris, Michele Mariotti*/Carlo Montanaro (direction musicale)
Simon Stone (mise en scène), Bob Cousins (décors), Alice Babidge (costumes), James Farncombe (lumières), Zakk Hein (vidéo)


L. Tézier, B. Bernheim (© Charles Duprat/Opéra national de Paris)


Le classicisme historiciste de Benoît Jacquot n’avait guère marqué. Simon Stone, lui, ancre l’opéra dans l’aujourd’hui numérique d’un Paris contemporain, l’hôtel de Violetta devenant une boîté de nuit branchée dont on verra également les poubelles. Tweets et SMS défilent, en langage du moment – « Désolé, ça va pas trop, là » –, et saturent parfois un décor pivotant à l’abstraction très design, où l’on voit, sur un fond blanc, aussi bien la statue de Jeanne d’Arc place des Pyramides, symbole des beaux quartiers où gravite Violetta, que, au deuxième acte, une chapelle, symbole de la purification... ou une vache, traite par Violetta pendant qu’Alfredo charrie de la terre dans une brouette. Comme si l’Australien voulait inventer une sorte de néoréalisme – avec relevés bancaires, courrier médical, etc. Plus de courtisane tuberculeuse en quête de reconnaissance et de rachat : l’héroïne est une reine de la mode et des réseaux sociaux, qui donne son nom à un parfum et que rattrape un cancer dont elle mourra à l’hôpital malgré une ultime chimiothérapie. Elle menace toujours le mariage de la sœur d’Alfredo... mais avec une princesse saoudienne, de quoi changer totalement la perspective.


On pourrait jusque-là suivre Simon Stone. Mais l’entreprise tourne court. La perpétuelle rotation du décor, loin de créer un vertige, lasse très vite. La multiplication tape-à-l’œil des images, au premier acte, détourne de la musique. Tout cela sent d’ailleurs le déjà-vu plus que la nouveauté – on compte désormais les productions ne recourant pas à un usage obstiné de la vidéo. Et, surtout, l’homme de théâtre s’en tient curieusement à une direction d’acteurs très convenue, créant même des moments creux d’un irrépressible ennui, comme le duo avec Germont, pivot de l’opéra, où les deux personnages marchent le long du décor ou restent figés. Il faut attendre la fête – sans doute un peu partouze – chez Flora, quand Alfredo jette l’argent gagné au jeu au visage de Violetta, pour avoir un vrai moment de théâtre, où s’éprouve une tension. La fin passe assez bien aussi : Violetta disparaît à travers un nuage, comme si elle entrait dans un au-delà rédempteur. Tout cela est en tout cas plastiquement très beau, notamment grâce aux éclairages de James Farncombe, mais reste en deçà des enjeux de l’œuvre. Et l’on a surtout l’impression d’avoir vu des tableaux vivants.


Le public gratifie Pretty Yende d’une standing ovation, conquis par la sincérité et l’intensité du jeu de cette Violetta capable de subtils pianissimi, en particulier au dernier acte. L’amateur de beau chant, même si elle en tire le meilleur parti possible, regrette malgré tout une voix trop légère, même à Garnier, et l’absence de colorations qui feraient passer dans le chant la tragédie de Violetta. On se souviendra davantage de Marina Rebeka ou d’Ermonela Jaho. Ses partenaires, en revanche, sont magnifiques. Emission haute et souple, Benjamin Bernheim séduit par l’élégance naturelle du phrasé, Alfredo de classe en rien gêné par les tensions de la scène du jeu, nuançant à la fin «Parigi, o cara» avec une délicatesse raffinée. Que dire de Ludovic Tézier, malheureusement bien peu aidé par le metteur en scène, sinon qu’il est le plus grand baryton Verdi du moment, par la somptuosité du timbre, la splendeur de l’aigu, la noblesse de la ligne, Germont impérieux ou attendri? Les seconds rôles sont parfaits.


Nonobstant les décalages avec le chœur inhérents à beaucoup de premières, Michele Mariotti nous rappelle que La Traviata reste aussi un opéra de chef. Pleine de courbes subtiles, sa direction réinvente l’orchestre de Verdi, dont elle détaille les couleurs jusque dans des passages où l’orchestre ne semble pourtant qu’accompagner – les simples accords des cordes sous «Ah, fors’è lui» par exemple. On se régale de la beauté de la pâte sonore, à la fois dense et fluide – l’orchestre de l’Opéra est en état de grâce. Aucun narcissisme pour autant : s’il fait chanter l’orchestre, Mariotti n’oublie jamais le théâtre, avec un final du deuxième acte haletant, mené de main... de maestro.



Didier van Moere

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com