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Tel qu’en lui-même

Salzburg
Grosses Festspielhaus
08/18/2019 -  
Arnold Schönberg : Drei Klavierstücke, opus 11 – Sechs kleine Klavierstücke, opus 19
Luigi Nono : ...sofferte onde serene...
Ludwig van Beethoven : Sonates pour piano n° 31 en la bémol majeur, opus 110, et n° 32 en ut mineur, opus 111

Maurizio Pollini (piano), André Richard (régie sonore)


M. Pollini (© Marco Borrelli)


Sitôt le rideau refermé au Grosses Festspielhaus, sur un Simon Boccanegra d’après-midi qui ne marquera pas durablement les mémoires, Salzbourg dispose encore d’autres cartouches pour ce même dimanche d’août. Avec le soir non seulement une représentation d’Alcina de Haendel, mais aussi ce récital de Maurizio Pollini, à nouveau au Grosses Festspielhaus. Une surabondance de l’offre vraiment caractéristique du Festival de Salzbourg aujourd’hui. Rien qu’un petit coup d’œil sur le planning des Wiener Philharmoniker en dit long, par exemple celui du 17 août : concert avec Riccardo Muti dès 11 heures du matin (Requiem de Verdi), opéra avec Enrique Mazzola à 15 heures (Orphée aux Enfers d’Offenbach), et à nouveau opéra avec Ingo Metzmacher à 19 heures 30 (Œdipe d’Enesco) : quel rythme ! La vieille ville en acquiert quelques aspects cocasses, les cortèges de smokings, robes longues, et musiciens avec étuis d’instruments, tentant à toute heure de la journée de se frayer un chemin au travers de foules touristiques nettement plus décontractées dans leurs stéréotypes vestimentaires, et surtout d’une densité devenant franchement étouffante à certains moments.


A 20 heures 30, donc, retour au Grosses Festspielhaus, pour une soirée étonnamment intime, en dépit des dimensions du lieu. Rideau de fer baissé, piano installé sur le plancher qui recouvre la fosse d’orchestre : l’endroit, par son gigantisme, doit paraître relativement intimidant pour le soliste, cela dit, dans cette salle énorme et pleine à craquer, on n’éprouve vraiment aucune difficulté à appréhender tous les détails du jeu pianistique, sans le moindre déficit en acuité. De même que les nombreux bruits parasites que Pollini surajoute depuis quelques années à son jeu (chantonnements, petits borborygmes bizarres, gémissements indistincts...) passent eux aussi très bien. Heureusement, à mesure que la concentration de l’interprète augmente, ils se font plus rares.


La silhouette du pianiste italien, à 77 ans maintenant, s’est modifiée, davantage voûtée, et son profil paraît encore plus émacié. Sa sonorité en revanche reste inchangée, immédiatement reconnaissable, avec de surcroît la plus-value d’un instrument magnifique (un de ces Steinway d’élite complètement transfigurés, réglés et modifiés à grands frais par la firme Fabbrini de Pescara). Dès les Klavierstücke opus 11 de Schoenberg qui ouvrent le programme, on est saisi par la plénitude du timbre et la subtilité des hiérarchies de dynamique : une approche analytique à l’extrême, sans doute pas la seule possible pour ces pièces atonales mais encore empreintes d’un post-romantisme diffus. Ici c’est bien davantage le caractère visionnaire de l’écriture qui ressort que ses relents brahmsiens. Un art de l’épure qui fait encore davantage ressortir le caractère aphoristique des Klavierstücke opus 19, où tout un monde semble pouvoir être parcouru en quelques accords mystérieux, que Pollini enchaîne sans jamais paraître traîner ou même simplement infléchir les phrasés vers davantage d’expressionnisme. Tout reste droit: Pollini ne narre rien, se contente d’exposer, avec un sens incomparable de la beauté sonore, une musique sculpturale « qui va toute nue ».


La fin de la première partie va plus loin encore dans l’exploration des résonances et des dynamiques avec ...sofferte onde serene... de Luigi Nono. Dédicataire de cette pièce, Maurizio Pollini l’a beaucoup popularisée au cours de sa carrière, et même si aujourd’hui d’autres pianistes la jouent, il en demeure indiscutablement l’interprète de référence. Pour l’exécution, plusieurs enceintes acoustiques sont disposées en hauteur, sur de longs mats, autour du piano, et un ingénieur prend place au milieu du parterre pour coordonner la bande magnétique (des enregistrements d’improvisations de Maurizio Pollini au piano, complètement retravaillés par Nono dans un studio d’électronique milanais). Depuis sa création en 1977, la magie de cette pièce reste intacte, et pouvoir l’écouter une fois encore par son dédicataire est un grand privilège : un Pollini démultiplié, diffracté, certes physiquement présent au piano, avec son jeu toujours caractéristique, mais en constante interférence avec de fantomatiques métamorphoses, glas funèbres de cloches, ambiance morbide d’une Venise hivernale où les sons semblent étouffés par la brume et les clapotis de la lagune. Temps suspendu, magistrale invitation au rêve, et tout cela par un pianiste qui pour l’occasion porte des lunettes (comme il joue d’habitude par cœur, on ne l’avait jamais vu muni de ce genre d’accessoire) et parcourt du regard la large partition posée sur le piano avec une permanente et scrupuleuse humilité.


Seconde partie tout Beethoven, avec au lieu de la Sonate «Hammerklavier» annoncée initialement, les Trente-et-unième et Trente-deuxième Sonates. Des choix là encore tout à fait typiques de Pollini, mais décidément, quel autre festival que Salzbourg pourrait aujourd’hui se risquer à un programme aussi peu grand public et vendeur, même par un tel pianiste ? Et en remplissant de surcroît une énorme salle jusqu’au dernier fauteuil ! Bravo, et ce d’autant plus que le Beethoven de Pollini reste d’un accès sinon ardu du moins sans concession. Le compositeur note « Con amabilità » sur le premières mesures de l’opus 110, indication qui ne paraît guère interprétée ici dans le sens d’une quelconque décontraction. Même dans cette exposition qui pourrait paraître encore ludique, Pollini ne s’intéresse déjà plus qu’aux grands blocs d’une architecture à construire. Et d’ailleurs les colonnes parfois titubent un peu, en particulier dans le bref Allegro molto, où quelques fautes de doigts manquent d’induire de petites catastrophes, évitées de justesse. Vrai moment d’inquiétude, heureusement dissipé par l’Adagio et ses développements fugués, où l’on retrouve le plus grand Pollini, celui qui domine son sujet avec une impériosité qui coupe court à toute discussion. L’accomplissement de l’Opus 111 paraît encore plus fascinant, culminant dans une Arietta prodigieuse, coulée d’un seul bloc, sans césures entre les variations, fascinant voyage au cœur d’un matériau sonore constamment changeant, d’une indescriptible richesse. Dernières mesures decrescendo, avec ce merveilleux rappel du thème que Pollini détaille avec exactement la même sûreté dans le calibrage infinitésimal qu’il accordait auparavant à la dernière ligne de ...sofferte onde serene.... Retour à nouveau au silence, mais définitif cette fois. Pollini se lève, salue longuement, n’accorde aucun bis. Mais comment rajouter quoi que ce soit, après une aussi souveraine conclusion ?



Laurent Barthel

 

 

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