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Savall et les sonorités beethovéniennes

Paris
Philharmonie
06/04/2019 -  et 6 (Hamburg), 7 (Barcelona) juin 2019
Ludwig van Beethoven : Symphonies n° 1 en ut majeur, opus 21, n° 2 en ré majeur, opus 36, et n° 4 en si bémol majeur, opus 60
Académie Beethoven 250 et Le Concert des Nations, Jordi Savall (direction)


J. Savall


Jordi Savall dans Rameau, Monteverdi ou Marin Marais? Oui, sans aucun doute. Jordi Savall dans Bach, Vivaldi ou Telemann? Oui, bien sûr. Jordi Savall dans Guillaume Dufay, Laïla Djân ou quelque pièce orientale et anonyme du XIIIe siècle? Oui, naturellement. Mais Jordi Savall dans Beethoven? Il y a de quoi rester quelque peu circonspect même si son unique enregistrement beethovénien à ce jour (une Héroïque gravée en janvier 1994 au château de Cardona, à la tête du Concert des Nations déjà) frappe toujours par le renouveau qui innerve la partition et reste donc une version hautement recommandable parmi celles gravées sur instruments d’époque.


Alors, est-ce le nom de Jordi Savall ou la curiosité qui a ce soir attiré autant de public, de telle sorte que la Philharmonie était totalement remplie? Toujours est-il que l’on aura assisté à une véritable démonstration stylistique et musicologique grâce à une vision ô combien renouvelée de ce pont-aux-ânes que sont les symphonies de Beethoven, deux cent cinquantième anniversaire de sa naissance oblige. On ne peut pas dire que ce soit la fraîcheur, terme assez facile auquel on ne cesse de recourir pourtant, qui aura caractérisé cette soirée. Non pas que l’interprétation, on va y revenir, ne fût pas légère ni enlevée mais, pour avoir entendu ces mêmes œuvres jouées par exemple par les Orchestres philharmoniques de Berlin ou de Vienne, force est de constater que, sous certaines baguettes, ce discours enlevé et aérien existe également avec des phalanges symphoniques traditionnelles. Peut-on avancer, en revanche, que c’est l’appréhension globale de l’œuvre qui imprime la marque du chef catalan? Certes mais, là encore, un Carlos Kleiber qui dirige la Quatrième ou la Pastorale (deux disques Orfeo à chérir, notamment le second), un Karajan qui mène tambour battant une Héroïque ou une Septième (disque Palexa) ou, aujourd’hui, un Rattle qui vous prend à la gorge avec la Huitième sont tout aussi convaincants et vous laissent tout autant un souvenir indélébile! Non, si ces éléments sont certes importants, c’est avant tout l’attention portée aux sonorités qui aura fait tout le sel de cette soirée.


Même si le basson a eu quelques ratées (dont un départ une mesure trop tôt, totalement à découvert dans le mouvement conclusif de la Quatrième), même si quelques sons sont restés coincés dans la flûte de Marc Hantaï (excellent tout au long de la soirée), même si les cordes ne surfent pas sur un legato auquel nous sommes généralement habitués, le Concert des Nations fut exemplaire! Epaulé par de jeunes musiciens professionnels sélectionnés au fil de diverses «académies», l’ensemble frappe avant tout par sa vivacité. Conduit, une fois n’est pas coutume, par Jakob Lehmann au premier violon et non par Manfredo Kraemer (bel et bien présent mais à ses côtés «seulement»), l’orchestre d’une bonne quarantaine de musiciens aborde la seconde partie du premier mouvement de la Première Symphonie (l’Allegro con brio) avec un élan incroyable, jouant sur les arêtes tranchantes et sur la forte dynamique de la partition, le jeu sur instruments anciens ne permettant certes pas de bénéficier d’une totale rondeur tout en étant éclipsée par une urgence de chaque instant. Idem pour le mouvement conclusif de la Deuxième Symphonie, tout bonnement jouissif! Dans les mouvements lents, Jordi Savall (qui, de façon inaccoutumée, tenait une baguette et ne dirigeait donc pas à mains nues) révèle dans ces symphonies à la fois tout l’héritage de Haydn et tout ce qu’il possède de culture baroque. Pris en général à bonne allure, l’Andante cantabile con moto de la Première bénéficie de très beaux contrastes entre les notes liées et détachées, les archets survolent les cordes plus qu’ils ne les caressent, la tendresse enveloppe le Larghetto de la Deuxième.


Mais ce dont le public aura surtout bénéficié, c’est de timbres propres à cette interprétation. Car les timbales de l’immuable Pedro Estevan (pilier de l’ensemble au même titre qu’Alba Roca chez les violons, Balázs Máté au violoncelle solo ou Paolo Grazzi au premier hautbois) ne singent à aucun moment ce que tant d’autres font au sein d’ensembles baroques; les interventions du percussionniste espagnol sont toujours subtiles, méritant presque de temps à autre d’être davantage mises en valeur. De même, la première clarinette de l’excellent Francesco Spendolini, veloutée comme jamais, exquise dans l’Adagio introductif de la Quatrième Symphonie ou la légère réserve, mais si bien faite, des cors dans le Larghetto de la Deuxième. On bénéficie ainsi non pas d’un «décapage», là aussi un mot à la mode pour les interprétations sur instruments anciens, mais bel et bien d’une vraie et authentique vision de ces symphonies: sans doute le meilleur compliment à faire aux artistes de cette soirée enthousiasmante! En bis, l’Ouverture Coriolan que Jordi Savall, humaniste comme on le sait, dédia aux victimes de la place Tian’anmen où se déroulèrent les célèbres manifestations il y a tout juste trente ans.


Suite du cycle au cours de la saison prochaine, dans la même salle avec les mêmes interprètes: les Troisième et Cinquième le 15 octobre 2019, les Sixième et Septième le 2 juin 2020.


Le site de Jordi Savall et du Concert des Nations



Sébastien Gauthier

 

 

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