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Une Passion passionnante

Normandie
Deauville (Salle Elie de Brignac)
05/04/2019 -  
Johann Sebastian Bach: Johannes-Passion, BWV 245
Stuart Jackson (ténor, L’Evangéliste), Thomas Stimmel (baryton, Vox Christi), Marie Perbost (soprano), Alex Potter (alto), Thomas Hobbs (ténor), Stephan MacLeod (basse, Pilate)
La Chapelle harmonique, Valentin Tournet (viole de gambe et direction)


(© Stéphane Guy)


Alors que le festival «Livres&Musiques», consacré cette année à l’Irlande, bat son plein, le vingt-troisième festival de musique de Pâques ne programme pas pour son dernier concert, après Pâques, de musique irlandaise ou inspirée par la lande irlandaise mais la Passion selon saint Jean de Johann Sebastian Bach (1685-1750 et non 1775 comme on le lit dans le programme et dans tous les documents et affiches ayant trait au festival grâce au «miracle» du copier-coller).


La version proposée est celle de 1725. On ne commentera pas ce choix qui n’intéresse à vrai dire que les musicologues, sachant que les différences entre les versions de la Saint Jean sont quand même assez ténues ou en tout cas plus limitées que pour d’autres œuvres revues par leur auteur.


On sera en revanche critique sur la fausse bonne idée consistant à séparer les deux parties de la Passion comme cela se faisait à l’époque par un sermon. Ce soir, c’est Jean-Parfait Cakpo, le curé de la paroisse Saint-Thomas de la Touques, dont dépend l’église Saint-Augustin de Deauville, qui le prononce, comme s’il fallait des commentaires sur la passion pour un public n’ayant pas nécessairement la foi. De plus, on fait appel à un prêtre catholique alors qu’il existe une paroisse évangélique du Pays d’Auge, un temple et un pasteur à Deauville, dont on peut imaginer qu’il aurait pu lire quelque texte de... Luther. On ne sait s’il a été contacté pour cette prestation. Ce que l’on sait, c’est que le curé, juché comme en chaire sur la tribune servant normalement à la mise aux enchères de yearlings, en chasuble de surcroît, s’adresse pendant largement plus de cinq minutes à ses «frères et sœurs» non pour commenter Isaïe comme prévu mais pour évoquer le scandale du procès truqué, la lâcheté des politiques et grands prêtres et dire qu’il faut chanter la Passion pour dominer ses passions, et pratiquer la compassion. On peut évidemment adhérer sur le fond et estimer que ce type d’intervention participe à une approche historiquement étayée et même œcuménique de l’œuvre de Bach, en relevant au passage que le Cantor a été parfaitement et de longue date récupéré par l’Eglise catholique, mais n’était-ce pas de trop dans l’enceinte d’une salle de concert? Un simple sur-tritrage n’aurait-il pas été préférable pour illustrer le chef-d’œuvre du «cinquième évangéliste» comme le dénomma si joliment Jean Delumeau?


Examinons plutôt le résultat musical.


Il est de tradition d’achever le festival avec des concertistes nombreux, des effectifs quasiment symphoniques, bref en apothéose. On pouvait cependant craindre que le plateau de ce soir soit trop imposant pour la salle. Il n’en a heureusement rien été. La Chapelle harmonique, née en 2017 de la réunion d’un chœur et d’un orchestre sur instruments anciens, est à la hauteur des enjeux. Le violoncelle de la basse continue est un peu hésitant au début mais manifeste par la suite un tact constant nonobstant la durée de l’œuvre. Les attaques des cordes, dans les mains de jeunes musiciens, manquent parfois de netteté mais l’ensemble orchestral tient parfaitement la distance. Le chœur à l’évidence expérimenté, d’où s’extraient les solistes, est de son côté vraiment remarquable. Malgré son effectif limité, il impressionne fortement dans les chœurs initial et final. Le seul bémol concernerait la soprano, souvent incertaine, notamment dans les aigus, et à la projection un peu poussive. Elle paraît même fatiguée dans l’air «Zerfliesse, mein Herze». Stuart Jackson, qui chante depuis la tribune, est pour sa part un Evangéliste d’exception. Sa voix de velours comme sa retenue nous prennent à maintes reprises à la gorge. Il est absolument poignant lors de reniement de Pierre. Quant au chef, Valentin Tournet (né en 1996), il manifeste un sens musical, une maturité, une autorité confondants pour sa jeunesse. C’est sans doute parce qu’il n’est pas impressionné par le monument qu’il impressionne. Avec une infinie délicatesse, il n’hésite pas à prendre la viole de gambe pour accompagner le soliste dans l’air d’alto «Es ist vollbracht!». Le silence sépulcral de la salle qui suit le choral final est alors évoquant. Il témoignait déjà, avant les applaudissements nourris du public, de sa parfaite réussite. Le talent de La Chapelle harmonique et de Valentin Tournet devrait rapidement bénéficier d’une ample reconnaissance après une telle réalisation.


Superbe soirée en définitive, commencée pour une fois à l’heure grâce à une retransmission télévisuelle en direct sur Culturebox et devant une salle comble. Et pari tenu une nouvelle fois par le directeur artistique du festival, Yves Petit de Voize!


Rendez-vous seulement l’année prochaine pour un vingt-quatrième festival? Nullement puisque se profile déjà à l’horizon un dix-huitième Août musical (à partir du 27 juillet) tout à fait prometteur et regroupant bon nombre d’artistes entendus lors du festival de Pâques de cette année ou des années antérieures.


Le concert en intégralité sur le site de France Télévision:






Stéphane Guy

 

 

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