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Mérite d’être sauvé de l’oubli

Nancy
Opéra
05/02/2019 -  et 5, 7, 9, 12 mai 2019
Bernard Herrmann: Wuthering Heights
Layla Claire (Catherine Earnshaw), John Chest (Heathcliff), Thomas Lehman (Hindley Earnshaw), Nelly Dean (Rosie Aldridge), Alexander Sprague (Edgar Linton), Kitty Whately (Isabella Linton), Johnny Herford (Mr. Lockwood), Andrew McTaggart (Joseph)
Chœur de l’Opéra national de Lorraine, Merion Powell (cheffe de chœur), Orchestre symphonique et lyrique de Nancy, Jacques Lacombe (direction musicale)
Orpha Phelan (mise en scène), Madeleine Boyd (décors, costumes), Matt Haskins (lumières)


L. Claire, A. Sprague, K. Whately (© C2 images)


Compositeur culte du cinéma américain, Bernard Herrmann (1911-1975) a signé la musique d’œuvres majeures: Citizen Kane d’Orson Welles, L’Aventure de Madame Muir de Joseph Mankiewicz, Le jour où la Terre s’arrêta de Robert Wise, entre autres. Mais c’est surtout avec Alfred Hitchcock que la collaboration sera la plus fructueuse: Sueurs froides, La Mort aux trousses, Psychose, Les Oiseaux, ou encore Le Rideau déchiré, pour ne citer que les plus célèbres. Cette copieuse collaboration lui vaudra la reconnaissance d’Hollywood dont il recevra deux Oscars. Vers la fin de sa carrière il écrira encore la musique de Fahrenheit 451 et La Mariée était en noir de Truffaut, et sa dernière partition, pour Taxi Driver de Scorsese. Herrmann s’est également essayé à la comédie musicale (The King of the Schnorers en 1968), avec moins de bonheur. Dans son œuvre «classique», très peu jouée, pour ne pas dire «pas du tout», on trouve une symphonie, deux poèmes symphoniques (November Dusk et The Forest), une cantate (Moby Dick), et son seul opus lyrique, Les Hauts de Hurlevent (1951), d’après le roman d’Emily Brontë (1847).


Outre les moments de grandeur hollywoodienne, on se laisse porter par certaines pages assez sensuelles et atmosphères troublantes. On trouve surtout dans cette partition l’indéniable talent d’un compositeur rompu à la musique de film; musique efficace, expressive, facilement audible et qui capture bien l’ambiance violente et mystérieuse de ce tumultueux roman. L’écriture vocale, absente de toute acrobatie, reste dans une métrique assez horizontale, au risque de créer parfois quelques moments de monotonie.


Comme pour le film de William Wyler (1939), le livret de Lucille Fletcher suit assez fidèlement la première partie de l’œuvre d’Emily Brontë et se termine à la mort de Catherine Earnshaw. La technique narrative est également celle de l’analepse puisqu’on retrouve dans l’opéra les personnages de Mr. Lockwood et de Nelly Dean, les conteurs de l’histoire.


Le décor de Madeleine Boyd a vraiment beaucoup d’allure. De longues lattes de bois ondulantes évoquent les molles collines du Yorkshire d’où surgissent des intérieurs, ou quelques pièces de mobilier qui les suggèrent. Les folles sarabandes de la nature, illustrant celles des protagonistes, sont soulignées par les éclairages de Matt Hatkins, tantôt violemment contrastés, tantôt fardant le décor de teintes poudrées et blêmes. La mise en scène, portée par une équipe talentueuse, rend justice au climat de «pureté sauvage et de satanisme» (Emily Brontë) de l’œuvre littéraire.


La distribution est entièrement anglophone et on se délecte d’entendre la langue anglaise chantée de façon si naturelle et sans accroc. La direction d’acteurs est soignée et, de toute évidence, chacun connaît bien les personnages du roman. Si l’on s’attendait aux regards ahuris de Merle Oberon ou ceux tourmentés et cruels de Laurence Olivier, on sera déçu. L’incarnation de Layla Claire rattache Catherine à une modernité, certes relative, mais crédible. Et la froide acidité du timbre de sa voix fait merveille. Le baryton John Chest en Heathcliff est irréprochable dans cette palette de sentiments si variés qui sont ceux du rôle. La voix passe de la noirceur glaçante à l’enjôlement cauteleux avec une facilité confondante qui rendrait presque le personnage attachant. Thomas Lehman (Hindley Earnshaw), dresse un portrait juste du frère haineux et déboussolé, tandis qu’Alexander Sprague en Edgar Linton incarne la rigidité flegmatique du gentleman anglais avec habileté et une voix de ténor au timbre séduisant. Rosie Aldridge et Johnny Herford, respectivement en Nelly Dean et Mr. Lockwood, sont eux aussi caractérisés conformément au roman.


Le chef canadien Jacques Lacombe aborde cette partition avec une grande énergie et l’Orchestre symphonique et lyrique de Nancy fait preuve de solidité, rendant toute la quintessence d’une partition qui ne manque pas de panache.


Depuis sa création en 1951, l’œuvre a été peu donnée et seulement à Londres en 1966 en version de concert, à Portland en 1982 dans une version scénique réservée à une poignée de privilégiés, ou plus récemment à Montpellier en 2010, également en version de concert. On se réjouit donc de cette initiative de l’Opéra national de Lorraine qui offre la création scénique en France d’une œuvre dont les mérites devraient susciter plus d’intérêt. On peut l’espérer si l’on en juge par l’accueil triomphal que le public a réservé à cette production.



Christian Dalzon

 

 

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