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Mahler sublimé

Paris
Philharmonie
03/18/2019 -  et 14, 21 mars 2019 (London)
Antonín Dvorák : Concerto pour violon en la mineur, opus 53, B. 108
Gustav Mahler : Symphonie n° 4 en sol majeur

Sally Matthews (soprano), Isabelle Faust (violon)
London Symphony Orchestra, Bernard Haitink (direction)


B. Haitink (© Todd Rosenberg)


La dernière fois que nous avions vu Bernard Haitink diriger, c’était au début du mois de décembre 2017 à Berlin, à la tête du Philharmonique: Mahler déjà (la Neuvième), Mahler encore pourrait-on dire... Le chef néerlandais nous était apparu particulièrement fatigué et c’est donc avec une vraie joie teintée d’une réelle émotion que nous l’avons vu entrer sur scène ce soir, certes d’un pas lent, mais en relativement bonne forme. Même s’il lui a fallu diriger une partie du concert assis et revenir en coulisse appuyé sur une canne que lui a discrètement tendue le premier violoncelle, au moment des saluts de chacune des deux parties du concert, Bernard Haitink assume sans coup férir ses quatre-vingt-dix ans, fêtés pas plus tard que le 4 mars dernier.


Avant de prendre une année sabbatique au sortir des grands festivals de l’été prochain (Salzbourg et Lucerne), Bernard Haitink effectue là une brève tournée franco-britannique avec un programme associant deux compositeurs qu’il n’a évidemment pas fréquentés avec la même assiduité au fil de son immense carrière. Le Concerto pour violon (1879-1880) de Dvorák ne fait pas partie des plus joués parmi les grands concertos du répertoire alors que c’est une pure merveille; et quand c’est Isabelle Faust qui prend l’archet, comment ne pas succomber? La soliste déploie, comme à son habitude, un jeu d’une limpidité et d’une élégance dignes de tous les éloges; la dimension technique du concerto disparaît dès le premier mouvement au profit d’une large péroraison plus romantique que véritablement tchèque, l’interprétation nous rappelant en plus d’une occasion le Concerto de Brahms, auquel Dvorák était d’ailleurs très lié. Le soutien orchestral conduit par Haitink est large, puissant mais d’une grande clarté, et joué dans un tempo retenu, marque de fabrique désormais du chef amstellodamois; usant d’une gestique minimaliste (une légère inflexion du buste suffisant à faire partir les premiers violons, l’index de la main gauche en imposant suffisamment aux bois), Haitink déploie un tapis de velours qui sert de parfait écrin au violon d’Isabelle Faust dans l’Adagio ma non troppo. Le jeu de la soliste distille une très grande mélancolie (la transition entre les deux premiers mouvements où elle dialogue seule avec la flûte et le hautbois) qui n’hésite pas ensuite à virer vers un dramatisme poignant (le dialogue cette fois-ci avec le cor solo), sans jamais se départir d’une poésie exceptionnelle. Le Finale est également joué avec une très grande élégance, peut-être trop même, là où l’on aurait pu avoir davantage d’accents rauques propres à illustrer le folklore tchèque. Isabelle Faust n’en donne pas pour autant de version suave, son archet parfois rageur faisant des merveilles. Couvant presque du regard et par son attitude Haitink au moment des saluts et du retour en coulisses, la violoniste donna en bis l’Adagio «Malinconia» de la Deuxième Sonate d’Eugène Ysaÿe: superbe conclusion de la première partie du concert, sous les yeux du chef d’orchestre, resté sur scène derrière les premiers violons pour écouter une des plus talentueuses violonistes actuelles.


Bernard Haitink et Gustav Mahler: une longue histoire, un vieux couple pourrait-on dire! Mais c’est cette fréquentation sans discontinuer depuis son deuxième enregistrement discographique – une Première Symphonie à la tête de l’Orchestre royal du Concertgebouw d’Amsterdam, en 1961 – qui lui permet justement de dire l’essentiel. Et c’est ce qui s’est passé ce soir avec une Quatrième Symphonie (1899-1900) qui restera dans les mémoires. Dès le premier mouvement, l’Orchestre symphonique de Londres fait preuve d’une transparence sonore admirable, conduit par un chef dont le geste reste précis et la baguette directrice. Le climat délicatement champêtre s’épanouit avec une évidence mise en lumière tant par les tutti que par les solistes de l’orchestre, à commencer par Katy Wooley au cor solo (qui va d’ailleurs bientôt prendre le même poste au sein de l’Orchestre d’Amsterdam). Dans le deuxième mouvement (In gemächlicher Bewegung, ohne Hast), c’est bien entendu l’instrument volontairement désaccordé de George Tudorache, violon solo pour l’occasion, qui fut exemplaire au milieu de cordes dont l’ampleur et la cohésion le disputaient à la stridence démoniaque d’une petite harmonie en grande forme. Mais c’est certainement le troisième mouvement (Ruhevoll) qui restera comme le moment le plus intense de ce concert. Véritable aristocrate de la direction d’orchestre, Haitink l’aborda avec une sérénité qui n’appartient qu’aux grands chefs. L’entrée des violoncelles, l’apparition du hautbois, les interventions millimétrées des bassons: tout était idoine pour distiller une intensité dramatique comme on l’aura rarement entendue dans cette œuvre, Haitink dirigeant le mouvement avec une bienveillance à laquelle nul musicien ne semble pouvoir résister. Les moments de violence ne furent pas gommés pour autant, loin de là: les pizzicati des contrebasses, lancés avec une force incroyable à la fin du grand tutti qui précède le retour des seules cordes, trahirent à eux seuls toute la complexité de cette musique, rendue ici de façon exemplaire. Dommage que ce mouvement ait été émaillé par un nombre assez considérable de toux intempestives... Remplaçant Anna Lucia Richter, Sally Matthews ne convainc pas immédiatement dans le dernier mouvement: un vibrato très prononcé, pas toujours bien maîtrisé, une voix peut-être pas assez ingénue pour déclamer le texte issu du célèbre Knaben Wunderhorn. Heureusement, cela s’améliore par la suite, la soprano sachant pouvoir se reposer sur la direction attentive d’un Haitink conduisant un orchestre en état de grâce.


Les derniers accords des contrebasses permirent au public de retenir son souffle avant de se lever, comme on pouvait s’y attendre, pour saluer un chef immense et dont la fatigue pouvait enfin se faire jour. A l’instar de Victor Hugo à propos de Job, on avait envie de dire à propos de Bernard Haitink à la fin de ce concert: «Tombé, il est gigantesque»...


Le site de l’Orchestre symphonique de Londres



Sébastien Gauthier

 

 

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