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Avec Aziz Shokhakimov, Chostakovitch tel qu’en lui-même Paris Maison de la radio 03/06/2019 - Dimitri Chostakovitch : Concerto pour piano n° 1, opus 35 – Symphonie n° 10, opus 93 Andrei Korobeinikov (piano), Alexandre Baty (trompette)
Orchestre philharmonique de Radio France, Aziz Shokhakimov (direction)
A. Shokhakimov
Pour un peu, on se réjouirait de la défection de Youri Temirkanov – des raisons de santé, pourtant. On a en effet découvert, à la tête d’un Philhar conquis, un chef magnifique, le trentenaire Aziz Shokhakimov, actuel directeur de l’Orchestre national d’Ouzbékistan – qu’il dirigeait déjà à treize ans... Le Premier Concerto pour piano de Chostakovitch révèle d’emblée une baguette très sûre, pleine d’énergie mais capable d’un lyrisme intense à travers le mouvement lent, où Andrei Korobeinikov déploie dans l’effusion une superbe palette de couleurs, où Alexandre Baty sertit les phrases de la trompette dans un legato de rêve. A l’unisson du chef et de cordes fouettées, ils font exulter le final, qui déborde de panache et d’humour – les dernières mesures sont bissées.
La Dixième Symphonie peut se mesurer aux meilleures qu’il nous a été donné d’entendre. Le Moderato initial impressionne par la maîtrise de la masse et de la forme, avec une sonorité sombre dont la densité n’est jamais épaisseur, une tension tragique qui étreint – à l’exact opposé du «lissage» de certaines lectures plus «occidentales». L’Allegro prend ensuite à la gorge, entre chevauchée et coup de poing, d’une noirceur d’apocalypse, déchaînement de forces mauvaises implacablement dominé – un portrait de Staline, paraît-il. Lorgnant moins vers Mahler que certains de ses confrères, Shokhakimov ne se départit, pas, pour l’Allegretto, de ce pessimisme ténébreux dont est empreinte son interprétation, notamment dans le tutti où apparaît la signature musicale de Chostakovitch à travers les quatre notes de ses initiales DSCH – ici comme ailleurs, remarquables solos des premiers pupitres de l’orchestre. De la désolation de l’Andante au délire jubilatoire des dernières mesures de l’Allegro, le final, aussi tenu que débridé, confirme à quel point le chef sait, à l’instar du compositeur, construire sa vision. Car il s’agit bel et bien, ici, d’une vision, aux accents d’épopée.
On espère revoir Aziz Shokhakimov, en remerciant celle ou celui qui l’a invité. Si vous n’avez pas assisté au concert, regardez-le diriger, sur YouTube, la Cinquième Symphonie de Prokofiev ou, comme à Paris, l’Opus 35 de Chostakovitch.
Le site d’Aziz Shokhakimov
Didier van Moere
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