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L’orchestre debout

Baden-Baden
Festspielhaus
02/03/2019 -  
Carl Maria von Weber : Euryanthe: Ouverture
Robert Schumann : Manfred, opus 115: Ouverture – Symphonies n° 1 « Le Printemps », opus 38, et n° 3 « Rhénane », opus 97

London Symphony Orchestra, Sir John Eliot Gardiner (direction)


(© Michael Gregonowits)


En novembre dernier, le Festspielhaus de Baden-Baden nous avait présenté un orchestre qui chantait en chœur (le Budapesti Fesztiválzenekar, sous la direction d’Iván Fischer). Place cette fois à un London Symphony qui joue l’intégralité de son concert debout. Quelle sera la prochaine lubie symphonique ? On n’ose l’imaginer...


A l’origine de cette histoire de phalange classique transformée peu ou prou en marching band, c’est évidemment John Eliot Gardiner que l’on retrouve, puisqu’on sait le chef britannique assez obsédé par cette manie de retirer leurs chaises aux musiciens d’orchestre (à part, quand même, aux violoncellistes !), et ce depuis plusieurs années déjà. L’argumentaire le justifiant reste basique : c’est là une pratique qui était relativement courante au 19e siècle (notamment sous la baguette de Mendelssohn au Gewandhaus de Leipzig), par ailleurs la station debout autorise davantage d’ampleur de mouvements des bras aux violons et altos, et aussi l’absence de chaises rapproche les musiciens les uns des autres, ce qui leur permet en principe de mieux s’écouter mutuellement.


Cela c’est la théorie. En pratique, imposer à un orchestre quasi entier une station debout de plus de deux heures d’affilée est quand même une exigence extrême, et il faut sans doute aujourd’hui un chef de la notoriété et de l’ascendant d’un Gardiner pour réussir à la faire accepter, à des musiciens ici d’une moyenne d’âge assez jeune, il faut le souligner. De surcroît, si l’avantage paraît net pour les cordes aiguës (qui sonnent effectivement plus riches et présentes), en revanche pour la petite harmonie les émissions paraissent globalement moins stables, voire on peut noter un nombre anormalement élevé d’accidents de parcours, alors que le London Symphony passe d’habitude pour l’une des phalanges les plus fiables au monde. Bref un bilan mitigé, voire un certain agacement visuel à force de voir tous ces musiciens mal à l’aise sur le plateau, oscillant d’un pied sur l’autre pour éviter les crampes et les fourmis dans les jambes.


Mais la notion de confort est, au sens large, une habitude que Gardiner essaie de toute façon de perturber systématiquement. Il faut d’abord que la musique vive, surprenne, interpelle, bondisse. C’est un parti pris respectable, même s’il implique aussi le risque, surtout sur le vif, de se casser la figure. Ici, vu le niveau technique exceptionnel de la phalange, les cafouillages restent limités, mais à force de faire jouer tout le monde sur le fil du rasoir (la station debout n’est que l’aspect physique le plus immédiatement patent de cette manie), il faut aussi accepter de perdre en finition sonore, voire en cohérence, ce que l’on gagne en vivacité. Jouer la carte d’une extrême transparence, en empêchant les cordes de vibrer et en faisant tout jouer sans appuyer, gomme effectivement les présumées lourdeurs de l’orchestration schumanienne, mais c’est au prix d’une certaine banalisation, le romantisme de la Première Symphonie tournant ainsi à la promenade bavarde en bonne compagnie.


Pour la Symphonie «Rhénane», en seconde partie, l’expression se fait plus dense et convaincante, mais là encore on reste persuadé que les cors feraient preuve de davantage de plénitude si on les laissait jouer tranquillement assis, et plus généralement il nous manque une certaine majesté d’ensemble. On comprend évidemment le concept, un romantisme agreste d’essence sylvestre, dessin embourgeoisé qui refuse la pleine pâte et le flou, à la façon des scènes de genre d’un Spitzweg ou d’un Moritz von Schwind, mais est-ce bien suffisant ? L’Ouverture de Manfred, disséquée à l’extrême, au point de ne plus donner qu’une impression d’écorché anatomique, où tous les tendons et nerfs musicaux sont mis en évidence, peut passionner ou au contraire agacer, en particulier à chaque passage un peu plus modéré où les cordes sont priées d’exhiber leurs sonorités savamment non vibrées, et où surtout le discours fait tout à coup du sur place.


Au cours de cette soirée passionnante et discutable, on se sera davantage laissé convaincre par une Ouverture d’Euryanthe qui fait feu des quatre fers et par l’arachnéen Scherzo du Songe d’une nuit d’été donné en bis. Weber et Mendelssohn s’accommodent-ils mieux de ce type d’approche que Schumann ? La démonstration semble faite.



Laurent Barthel

 

 

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