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Gesticulations ibériques

Lille
Le Nouveau Siècle
11/22/2018 -  et 23 (Lille), 24 (Paris) novembre 2018
Maurice Ravel : Alborada del gracioso
Enrique Granados : Goyescas: Intermezzo
Canizares : Concerto flamenco « Al-Andalus » pour guitare « A la mémoire de Paco de Lucía »
Claude Debussy : Ibéria
Joaquín Turina : Danzas fantásticas, opus 22

Canizares (guitare)
Orchestre national de Lille, Alexandre Bloch (direction)




Alexandre Bloch, 33 ans, est directeur musical en titre de l’Orchestre national de Lille depuis deux saisons déjà, où son rayonnement d’enthousiaste à bon coefficient d’efficacité médiatique rend certainement beaucoup de services, surtout en relais du vétéran Jean-Claude Casadesus (quarante années de présence au même poste !). Son arrivée sur le podium en petites foulées, silhouette dégingandée toute en longs membres maigres emballés dans un costume noir brillant, tellement serré qu’il nous évoque certaines caricatures croquignolettes (ces musiciens signés Hoffnung, longilignes comme des crayons, sous une énorme touffe de cheveux !), nous annonce tout de suite un net changement d’ambiance. En revanche que la modernisation du look affecte aussi la gestique pendant le concert nous dérange davantage. Il y a eu à toutes les époques des chefs plus ou moins agréables à regarder, mais à la nôtre, avec déjà quelques notables sujets d’agacement visuel comme Andris Nelsons ou Christian Thielemann installés à des postes prestigieux, si en plus la jeune génération joue la surenchère, il va falloir bientôt écouter les concerts symphoniques les yeux fermés.


Les nombreuses variations de dynamique et interruptions brutales de flux qui pullulent dans l’Alborada del gracioso permettent d’emblée au chef de nous décliner tout un répertoire d’attitudes bizarres, embrassements nerveux, brassages convulsifs d’air, flexions-extensions des cuisses, accroupissements à presque s’asseoir sur le podium, bascules brutales sur le bord droit ou gauche... Du moins vu de dos, c’est assez difficilement supportable, voire manque de peu de déclencher quelques fous rires involontaires. Si au moins musicalement l’exécution ainsi obtenue, à coups de déhanchements spasmodiques, s’avérait passionnante, mais on reste loin du compte... L’orchestre paraît précautionneux, sans éclat, avec quelques faiblesses patentes dans les cuivres (trompettes et trombones en franche séance de patinage), des violons qui manquent d’homogénéité et un solo de basson aux abonnés absents, sans aucun phrasé intéressant. L’Intermezzo de Goyescas de Granados qui suit ne rachète rien, avec des cordes qui manquent d’épaisseur, et cela même quand Alexandre Bloch se penche vers les violoncelles au point de presque sembler tomber la tête la première dans les pupitres pour tenter d’en arracher une phrase une peu plus chaleureusement engagée. En seconde partie de programme, Ibéria de Debussy paraît davantage travaillé et permet de mettre en valeur quelques solos plus intéressants, flûte et hautbois notamment, mais là encore toute la rangée des cuivres, même s’il n’y a aucun accident bruyant à déplorer, paraît dans une méforme préoccupante. Ce n’est finalement qu’avec les Danses fantastiques de Turina que l’orchestre paraît retrouver sa cohésion et ses réflexes et que tout commence enfin, a fortiori dans l’acoustique pourtant favorable de la salle du Nouveau Siècle heureusement rénovée, à prendre une ampleur symphonique un peu plus captivante. Une amélioration qui rend aussi plus supportable la gestique du chef, qui cependant ne s’est en rien assagie. Et puis arrive un bis assez miraculeux : le quatrième Entracte de Carmen. Tout fonctionne, les cordes ont de l’allant et du corps, la petite harmonie brille, l’Orchestre national de Lille se réveille. Mais que s’est-il passé ?


Est-ce le programme, baptisé « Incandescences espagnoles » et effectivement « tout castagnettes » qui n’a pas inspiré grand monde ? Gageons que ce n’est pas non plus l’accompagnement du Concerto pour guitare écrit par le guitariste flamenco Canizares  qui a pu se révéler fédérateur. Autant la partie soliste est assez expressive et virtuose, et même parfois d’une certaine âpreté de bon aloi, autant ce qui se passe à l’orchestre semble fade, comme si l’accompagnement venait délayer les authentiques effluves d’Espagne dispensés par le soliste dans des flots de parfum bon marché. On se place ici dans le sillage direct du Concerto d’Aranjuez, mais si Joaquín Rodrigo ne brillait pas non plus par sa modernité de langage, lui au moins savait très correctement écrire pour l’orchestre. Mieux vaut se concentrer sur la partie soliste – qu’il faut discrètement amplifier, comme cela s’avère d’ailleurs presque toujours nécessaire quand un guitariste joue un concerto – et que Canizares interprète avec une véritable émotion. Bis explosif : un vif flamenco festif, accompagné de nerveux claquements de mains, au rythme implacablement resserré, envoûtant, qui installe tout à coup au milieu de l’orchestre un pan inattendu et brûlant d’Andalousie, d’une authenticité qui balaye tout.



Laurent Barthel

 

 

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