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Savall triumphans !

Paris
Philharmonie
10/15/2018 -  et 14 (Beaune), 17 (Barcelone) octobre 2018
Antonio Vivaldi : Juditha triumphans devicta Holofernis barbarie, RV 644
Marianne Beate Kielland (Judith), Rachel Redmond (Vagaus), Marina De Liso (Holopherne), Lucía Martin-Cartón (Abra), Kristin Mulders (Ozias)
La Capella Reial de Catalunya, Lluís Vilamajó (chef de chœur), Manfredo Kraemer (concertino), Le Concert des Nations, Jordi Savall (direction)


M. B. Kielland (© Lena Lahti)


Des quatre oratorios composés par Antonio Vivaldi, seul Juditha triumphans (1716) nous est parvenu, Moyses Deus Pharaoni (1714), également sur un texte latin, La vittoria navale (1713) et L’adorazione delli Tre Re Magi (1722), ayant recours à un texte italien, ayant malheureusement tous trois été perdus. Composé sur la base d’un livret de Giacomo Cassetti, l’oratorio se fonde sur le livre de Judith tiré de l’Ancien Testament qui met en scène l’opposition entre l’héroïne, juive, qui libéra la ville de Béthulie assiégée par Holopherne (chapitres 10 à 13). Métaphore de la victoire remportée à l’été 1716 par Venise (Judith) sur les troupes turques (Holopherne) lors du siège de Corfou (l’île appartenait à Venise depuis 1401), cet oratorio met à contribution cinq chanteuses, un chœur et surtout un orchestre dont la diversité instrumentale, aux dires du spécialiste Michael Talbot, n’avait encore guère connu d’équivalent à l’époque.


La Philharmonie de Paris accueillait pour cet oratorio les forces espagnoles du Concert des Nations et de la Capella Reial de Catalunya dirigées par Jordi Savall. La popularité dont jouit le chef catalan ne se dément pas: le public venu en nombre fit un triomphe à une interprétation qui fut, effectivement, des plus réussies.


Commençons par les voix et, à tout seigneur tout honneur, par Marianne Beate Kielland qui tient le rôle de Judith. Si la voix s’avère assez fluette par moments, l’incarnation du personnage est magnifique grâce notamment à un médium somptueux. Dans plusieurs airs accompagnés par des instruments solistes ou l’ensemble des cordes de l’orchestre, notamment le superbe «Transit aetas, volant anni» ou le non moins séduisant «In somno profundo», la mezzo norvégienne sait faire transparaître le caractère assez trempé de l’héroïne même si, parfois, un peu plus de caractérisation aurait été la bienvenue. De caractérisation, Rachel Redmond n’en aura, elle, certes pas manqué! Chantant le rôle de Vagaus, la servante d’Holopherne, elle aura été irréprochable tout au long de la soirée. Véhémente dans l’air redoutable «Armatae face, et angibus» soutenue par un orchestre aux trépidations typiquement «vivaldiennes», démontrant une pureté désarmante dans les aigus («Matrona inimica», son premier air) et une souplesse de chaque instant dans la ligne de chant, elle fut la grande triomphatrice parmi les chanteuses de cette soirée: à juste titre! Dans le rôle d’Holopherne, Marina De Liso fut également très convaincante même si ses interventions furent un brin étales, le caractère emporté et guerrier ne transparaissant guère dans l’air «Nil arma, ni bella» (encore que la reprise fût meilleure, servie par de très belles ornementations) ou dans l’air «Sede, o cara, dilecta speciosa», qui aurait gagné à être plus véhément. Légère déception enfin pour Lucía Martin-Cartón dans le rôle d’Abra, la suivante de Judith, dont les aigus connurent une constante fragilité, rachetée néanmoins par un très beau chant («Non ita reducem»), les rares interventions de Kristin Mulders dans le rôle d’Ozias témoignant du professionnalisme sans faille de la chanteuse. Quant aux douze chanteuses de La Capella Reial de Catalunya, elles furent excellentes à chacune de leurs interventions, ponctuant l’action de superbes moments dont le premier chœur fut sans doute le sommet.


Cordes, orgue, hautbois, flûtes, trompettes, chalumeau, clarinettes, clavecin, timbales: n’en jetez plus! L’orchestre de Vivaldi dans Juditha triumphans est d’une richesse rare, certains opéras du Prêtre roux se contentant par exemple d’un simple orchestre à cordes avec éventuellement quelques instruments à anche double. Dirigeant son ensemble avec une grande économie de moyens, Jordi Savall aura su donner à la musique de Vivaldi toute sa palette de couleurs, grâce il est vrai à des solistes exceptionnels. Si la justesse de Manfredo Kraemer aura parfois été incertaine, sa technique n’en aura pas moins été du plus haut niveau. Et que dire des deux flûtes (dans l’air de Vagaus «Umbrae carae»), des deux hautbois (l’un étant tenu par le virtuose Paolo Grazzi), des deux trompettes absolument irréprochables notamment dans l’extrait du concerto servant d’introduction à l’oratorio, du salmoe dans l’air attendu de Judith «Veni, veni, me sequere fida» (provoquant un léger incident puisque le soliste Lorenzo Coppola ne s’était visiblement pas rendu compte que c’était son tour de jouer, Jordi Savall ayant dû aller le chercher en coulisse, provoquant de fait une légère interruption de la première partie de l’oratorio!), du consort de quatre violes ou de l’extraordinaire mandoline de Rolf Lislevand (accompagnant Judith là encore, dans l’air «Transit aetas, volant anni»)?


L’enchaînement des airs, tous accompagnés avec une extraordinaire recherche de timbres et de mélodies, témoigne à n’en pas douter du chef-d’œuvre qu’est Juditha triumphans. On regrettera tout de même que, contrairement à certains enregistrements passés (on pense bien sûr à son formidable Farnace!), Savall ait parfois opté pour un orchestre un peu trop neutre, là où l’on aurait souhaité davantage d’énergie, voire de «brusqueries» pour nous sortir de ce qui ressemblait parfois à un doux confort: les airs de Judith «Agitata infido flatu» ou d’Abra «Si fulgida per te» auraient sans doute ainsi gagné en opulence.


Pour autant, une incontestable réussite, saluée par une Philharmonie enthousiaste pour qui ce spectacle de plus de trois heures (entracte compris) restera à n’en pas douter comme une très grande soirée baroque offerte par une équipe que l’on a, à chaque fois, plaisir à retrouver.


Le site de La Capella Reial de Catalunya, du Concert des Nations et de Jordi Savall
Le site de Marianne Beate Kielland
Le site de Rachel Redmond
Le site de Lucía Martin-Cartón
Le site de Kristin Mulders



Sébastien Gauthier

 

 

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