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Dégustation sonore

Baden-Baden
Festspielhaus
09/27/2018 -  et 22, 23 (Wien), 25 (Bruxelles), 26 (Luxembourg), 30 septembre, 1er, 2 octobre (Wien) 2018
Franz Berwald : Symphonie n° 3 « Singulière » en do majeur
Anton Dvorák : Symphonie n° 7 en ré mineur, opus 70

Wiener Philharmoniker, Herbert Blomstedt (direction)


(© Stephanie Schweigert)


Herbert Blomstedt ne s’est jamais dispersé au cours de sa longue carrière, avec un goût toujours marqué pour les symphonistes allemands mais aussi les écoles nationales, dont une inclination indéfectible pour les compositeurs nordiques : Nielsen, Sibelius, Berwald... Né aux Etats-Unis mais d’origine et de carrière longtemps scandinave, Blomstedt ne va certainement plus changer ses centres d’intérêt aujourd’hui, du haut des 91 ans qu’il porte admirablement. Autant par la stature, toujours conséquente, à peine un peu voûtée, que par la précision du geste voire une vivacité d’esprit qui transparaît dans chaque indication, au cours d’exécutions dirigées invariablement par cœur. Exceptionnellement pas de symphonie de Bruckner au programme, mais un judicieux doublé Berwald/Dvorák : deux symphonies relativement courtes qui fonctionnent bien ensemble, dans une configuration déjà testée à l’identique par Blomstedt, avec le Philharmonique de Berlin, en 2016.


Les Symphonies de Berwald n’encombrent pas les salles de concert, et pouvoir y écouter les Wiener Philharmoniker permet d’associer le plaisir de la découverte à un régal sonore véritablement gourmand, tant les timbres déployés par la formation viennoise sont envoûtants et savoureux. Davantage que l’infaillibilité de la phalange, parfois prise en défaut en tournée mais assurément pas lors de ce concert-ci, c’est son individualité qui nous saute à l’oreille, avec l’aide de l’acoustique favorable du Festspielhaus de Baden-Baden, pas parfaite (quelques problèmes de transitoires un peu brouillées depuis notre place située au balcon) mais qui permet d'entendre même d’infimes détails. Car Blomstedt réussit à tout contrôler magistralement, y compris un éventail dynamique délibérément cantonné dans une majorité de nuances piano, où chaque subtilité du jeu instrumental ressort avec une présence et une poésie de tous les instants. Et puis cette gestique qui sait à merveille modérer, tempérer, parvient aussi en permanence à inciter les musiciens à s’écouter entre eux, pour créer un tissu sonore aux fascinantes moirures. De subtils alliages entre cordes au timbre fondu, avec à l’arrière-plan une rangée de cuivres jamais agressifs, cors nimbés d’une lumière douce, trombones au timbre légèrement gras et sourd, et une petite harmonie en état de grâce. On n’en identifierait presque plus assez, au fil de cette lecture admirablement « civilisée », la singularité de l’écriture symphonique de Berwald, pourtant si particulière, invraisemblable mélange de Mendelssohn, d’un peu de Schumann, de quelques atavismes populaires, et aussi d’une certaine naïveté abrupte dans l’enchaînement des trouvailles qui n’est pas sans faire penser à Bruckner, parenté que Blomstedt n’hésite en revanche pas à souligner de façon patente. Datée de 1845 sur la partition, cette Troisième Symphonie dite « Singulière » (allusion vraisemblablement à sa structure, où le Scherzo se retrouve emboîté à l’intérieur du mouvement lent, épisode subitement fiévreux annoncé par un coup de timbale triple forte qui surgit de nulle part) dut attendre sa création jusqu’en 1905, dans une version assez notablement remaniée. Berwald était déjà mort depuis presque 40 ans, et comme pour tout compositeur novateur, ses premiers admirateurs ne se sont pas gênés pour corriger des originalités qui passaient alors plutôt pour d’apparentes maladresses. On doit le travail critique en vue de la publication de cette Symphonie « Singulière » restituée dans son état original précisément... à Herbert Blomstedt, en 1965, aux éditions Bärenreiter. Ce qui explique vraisemblablement aussi que ce dernier puisse encore aujourd’hui diriger cette rareté par cœur.


Paysages plus familiers pour nous avec la Septième Symphonie de Dvorák en seconde partie, de même que pour les Wiener Philharmoniker, beaucoup plus proches cette fois de leurs racines Mitteleuropa. Là encore les pupitres font assaut de couleurs automnales qui conviendraient tout aussi parfaitement à Brahms, en accentuant encore plus que d’habitude la proximité de style que l’on peut parfois déceler entre Dvorák et l’auteur du Requiem allemand, en particulier dans cette symphonie-là, d’un ton souvent sombre voire tragique. Ce n’est de loin pas un contresens – en scrutant la partition on y retrouve même, dans le premier mouvement, un thème qui coïncide note pour note, même si le rythme est différent, avec le début du solo de violoncelle du Second Concerto pour piano de Brahms – mais l’œuvre de Dvorák y perd quand même de sa vivacité, en particulier dans les appuis du Scherzo ou dans le développement du thème liminaire très volontaire du premier mouvement. On pourrait dire aussi parfois que Blomstedt brucknérise un peu trop le propos, avec de grands aplats sonores là où on pourrait apprécier davantage de dynamisme dans les accents et une plus grande valorisation de petits détails propices à relancer le discours. Mais ce sont moins des réserves que quelques indications, afin d’essayer de caractériser au mieux une interprétation d’une extrême noblesse, exécution grandiose par un orchestre que la gestique de Blomstedt, à mains nues, toujours sobre, avec parfois quelques effets de balancement plus marqués pour obtenir le bon rythme, porte à son rayonnement maximum. Et quand on connaît la luminosité si spécifique de cette phalange quand elle est à son meilleur, présence sonore impérieuse mais jamais ni criarde ni violente, cette notion de rayonnement acquiert vraiment un sens particulier.


En bis, pour allonger un minutage de concert autrement un peu chiche, Blomstedt se retourne vers le public et annonce d’une voix ferme « Ein Geschenk aus Wien ». Très beau cadeau viennois en effet, puisqu’il s’agit de la Valse de l’Empereur. Inutile de s’étendre sur les réflexes innés que les Wiener Philharmoniker retrouvent immédiatement dans cette musique. En revanche ce que Blomstedt parvient à ajouter, en termes d’architecture et de progression du discours est à proprement parler extraordinaire. On rêverait d’un concert du Nouvel An entier dirigé par ce merveilleux vétéran ! En attendant laissons-nous griser, par un violoncelle solo ensorcelant (Robert Nagy), par une flûte vaporeuse, ineffablement douce quand elle s’élève à la toute fin, au-dessus d’un tapis de cordes soyeuses... sublime conclusion pour un concert d’exception.



Laurent Barthel

 

 

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