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Les vertiges de la passion plombés par une musique ennuyeuse

Paris
Palais Garnier
09/29/2018 -  et 2, 5, 8, 10, 14, 17 octobre 2018
Michael Jarrell : Bérénice (création)
Bo Skovhus (Titus), Barbara Hannigan (Bérénice), Ivan Ludlow (Antiochus), Alastair Miles (Paulin), Julien Behr (Arsace), Rina Schenfeld (Phénice)
Chœurs de l’Opéra national de Paris, Alessandro Di Stefano (chef des chœurs), Orchestre de l’Opéra national de Paris, Philippe Jordan (direction musicale)
Claus Guth (mise en scène), Christian Schmidt (décors, costumes), Linda Redlin (costumes), Fabrice Kebour (lumières), rocafilm (vidéo), Konrad Kuhn (dramaturgie)


B. Skovhus, B. Hannigan (© Monika Rittershaus/Opéra national de Paris)


Après Trompe-la-Mort de Luca Francesconi l’année dernière, Bérénice (figure qui, pour mémoire, fit l’objet du troisième opéra d’Albéric Magnard, daté de 1911) poursuit le cycle des créations que l’Opéra de Paris consacre à la littérature française.


En composant à l’attention des voix de Barbara Hannigan («acrobatique, virtuose») et Bo Skovhus («une bête de scène»), Michael Jarrell (né en 1958) imprime non seulement une torsion au texte racinien – retranchant çà et là quelques mots quand il ne bouscule pas l’hiératisme propre à l’alexandrin au moyen d’une prosodie proche du parler d’aujourd’hui – mais il exacerbe du même coup les sentiments que l’art tout en sourdine du grand tragique français prenait soin de contenir. Si l’on ne s’offusquera pas de cette métamorphose opérée par le livret – un artiste a toute licence de s’approprier une création préexistante pour donner naissance à une nouvelle («Si le grain ne meurt...») –, force est de constater que la psychologie des personnages s’en trouve substantiellement altérée: Bérénice est une boule de désir ignée, une princesse de Judée hystérique (Lulu n’est pas loin) dont les caprices à l’oriental donnent lieu à d’acrobatiques coloratures. Avec un art accompli de conteuse, Barbara Hannigan chante les notes autant qu’elle timbre les mots. Titus est un monarque dépassé par les événements (Lear n’est pas loin), un colosse aux pieds d’argile guetté par la folie et consumé par la passion. La voix du chanteur danois montre quelques signes d’éraillement, mais son charisme emporte tout.


Excellente idée que d’avoir confié à la servante Phénice (compatissante Rina Schenfeld) un texte parlé (et amplifié) en hébreu, la langue des origines à laquelle Bérénice est disposée à renoncer par amour pour Titus. Incarnation sans nuance de la raison d’Etat, Paulin ne connaît que l’impératif, ce que la basse caverneuse d’Alastair Miles symbolise à la perfection. Quant à Antiochus, troisième élément de cette «impossible équation à trois inconnus» (Jarrell), il hérite d’une partie extrêmement tendue où le baryton pourtant aguerri à la musique contemporaine Ivan Ludlow semble peu à l’aise. Il faut dire que la vocalité toute en lignes brisées n’épargne aucun rôle!


A la volonté de Michael Jarrell de transformer la tragédie de Racine en pièce contemporaine répond la mise en scène en huis clos de Claus Guth, qui tire remarquablement parti du potentiel théâtral de notre duo, amené à chanter dans les positions les plus inconfortables. Heureusement pour lui, les costumes taillés large de Christian Schmidt et Linda Redlin le sont davantage. La charge érotique que dégage la direction d’acteur est subtilement infléchie par les lumières de Fabrice Kebour, rendant cet intérieur bourgeois tour à tour intime ou d’une vacuité angoissante. Employée avec parcimonie, la vidéo en noir et blanc nous plonge au cœur de la psyché de tel ou tel personnage quand elle ne se fait pas le relais des grondements oppressants du peuple.


Ce qui se passe en fosse, hélas (interjection racinienne par excellence), laisse dubitatif: «j’aimerais que la musique soit parfois comme une vague, un tsunami qui emporterait tout sur son passage» confie le compositeur dans les notes de programme, le musicologue Philippe Albéra vantant quant à lui l’«artisanat souverain» de son écriture. Las, c’est plutôt l’aspect chaotique qui ressort de cet orchestre monotone cantonné dans les graves et hérissé de stridences lassantes... auquel le geste souple et d’une permanente attention au chant de Philippe Jordan ne peut mais. Si la qualité du plateau vocal et de la scénographie jointe à la durée ramassée (environ quatre-vingt-dix minutes) fait de Bérénice un spectacle sans baisse de tension, l’enregistrement discographique, à supposer qu’il voie le jour, constituerait une épreuve de vérité pour la partition. Pas sûr qu’elle en sortirait grandie.



Jérémie Bigorie

 

 

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