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Une Troisième Symphonie d’anthologie

Berlin
Philharmonie
09/04/2018 -  et 23 août (Amsterdam), 3 septembre (Ljubljana) 2018
Anton Webern : Fünf Sätze für Streichquartett, opus 5 (version pour orchestre à cordes)
Alban Berg : Altenberg-Lieder, opus 4
Anton Bruckner : Symphonie n° 3 en ré mineur (version Nowak, 1887-1889)

Anett Fritsch (soprano)
Koninklijk Concertgebouworkest, Manfred Honeck (direction)


M. Honeck (© Felix Broede)


Lors de la Musikfest 2017, l’Orchestre royal du Concertgebouw d’Amsterdam était venu sous la baguette de son directeur musical d’alors, Daniele Gatti. On ne reviendra pas ici en détail sur les circonstances dans lesquelles il a été prématurément mis fin à son mandat (à la suite d’accusations de supposées agressions sexuelles portées contre lui par deux chanteuses dans le Washington Post du 25 juillet, nouvel avatar des conséquences du mouvement «#MeToo» dans le monde de la musique classique) sans qu’aucune preuve n’ait d’ailleurs été rapportée à ce jour, l’administration de l’orchestre ayant en vérité fait immédiatement jouer une sorte de «principe de précaution», confondant allégrement à cette occasion droit et morale. Bref, la justice est saisie, les procédures se poursuivent mais le mal est fait: Daniele Gatti absent, il a fallu trouver in extremis un nouveau chef pour diriger ce concert qui prenait bonne place au sein de cette nouvelle édition de la Musikfest.


Et c’est Manfred Honeck qui s’y colle, après avoir notamment remplacé au pied levé Yannick Nézet-Séguin à la tête des Berliner Philharmoniker lors du Festival de Baden-Baden en 2017 pour un concert ô combien remarqué: le fait est que le chef autrichien aura une fois encore marqué les esprits ce soir.


L’entrée en matière, tout entière dédiée à la Seconde Ecole de Vienne avec ses figures de proue que sont Alban Berg et Anton Webern, fut de très bon augure. Les Cinq Pièces opus 5 de Webern, dans leur version orchestrale (1909/1929), bénéficièrent d’une interprétation millimétrée et pleine de finesse. Les douze premiers violons (dirigés par le Konzertmeister Liviu Prunaru), douze seconds, huit altos, six violoncelles et quatre contrebasses requis donnèrent à cette partition tout le souffle qu’elle demande, de la violence de certains accents dans la première pièce à la brillance de la troisième, la deuxième bénéficiant du concours remarquable de l’inamovible Ken Hakii – entré dans l’orchestre en 1985, il en est l’altiste solo depuis 1992! – et de la non moins excellente Tatjana Vassiljeva, violoncelliste solo. Manfred Honeck dirige l’ensemble avec une précision chirurgicale, sa baguette ne laissant rien au hasard: sans nul doute, nous avons à faire à un technicien hors pair. On s’en rendit compte de nouveau dans les Altenberg-Lieder de Berg, œuvre composée en 1912 sur le texte de cinq cartes postales de Peter Altenberg (1859-1919), nom de plume de Richard Engländer. Si la création fut des plus houleuses (la chanteuse initialement prévue ayant refusé de les chanter, Schoenberg ayant assez vertement critiqué l’œuvre tout en en admirant l’orchestration, la fin du concert n’ayant même pas pu être donnée en ce 31 mai 1913 puisque le public en vint aux mains...), ces Lieder font désormais partie du «grand» répertoire. Mozartienne reconnue, Anett Fritsch en donna une interprétation très habitée, la voix passant du chant à la déclamation avec une aisance et une justesse remarquables (notamment dans le troisième Lied «Uber die Grenzen des All blickest du sinnend hinaus». La musique, ciselée par l’orchestre et le chef, fut plus un partenaire de la chanteuse qu’un simple arrière-plan sonore, le Concertgebouw se montrant à cette occasion sous son meilleur jour.


Mais le plus remarquable restait à venir avec la Troisième Symphonie de Bruckner, dans la version Nowak. Si Manfred Honeck passe notamment pour un très bon interprète de la musique de Tchaïkovski (voir ici et ici) ou de Richard Strauss, on ne connaissait guère ses affinités avec les symphonies du maître de Saint-Florian. Et pourtant, le résultat obtenu ce soir fut tout bonnement exceptionnel! Dès l’entrée en matière du premier mouvement, la pulsation sourde est bel et bien là: intangible, majestueuse, d’une formidable force sous-jacente. Honeck alterna avec une cohérence et une évidence dignes de tous les éloges ces phases contemplatives aux couleurs automnales et ces puissants tutti de cuivres (exceptionnels Omar Tomasoni à la trompette et Laurens Woudenberg au cor solo), concluant le tout par une coda à la puissance tellurique. Le deuxième mouvement (Adagio, bewegt, quasi Andante) permit aux cordes de l’orchestre de déployer tous leurs sortilèges – l’entrée en matière: quel moment! – au fil d’un discours qui avançait sans cesse, ne souffrant d’aucun temps mort, ni d’aucune baisse de tension comme souvent dans cette page assez complexe à interpréter. Le troisième mouvement, un classique Scherzo marqué Ziemlich schnell comportant en son sein un délicieux Trio (Langevin parle très justement à son sujet de «parfum champêtre»), fut parfait. Manfred Honeck, qui appartint au pupitre des premiers violons des Wiener Philharmoniker, s’est peut-être souvenu de la beauté gestuelle et interprétative de Carlos Kleiber avec lequel, à notre sens, il possède quelques affinités: ce Trio fut empli de grâce, sans jamais la moindre once de vulgarité, dansant de façon idoine avant que la reprise du début du mouvement ne mette en branle une splendide machine de guerre où brilla le pupitre des huit contrebasses. Le dernier mouvement fut également superbe, la coda ayant suscité une ovation du public qui salua un orchestre mais surtout un chef dont l’étoile ne va sans doute pas faiblir dans les années qui viennent.


Après une autre Troisième de Bruckner d’anthologie signée il y a quelques mois ici même par Herbert Blomstedt à la tête du Philharmonique de Berlin (dans la version originelle de l’œuvre), Manfred Honeck aura non moins mérité ses lauriers: quel brucknérien là encore!


Le site d’Anett Fritsch
Le site de l’Orchestre royal du Concertgebouw



Sébastien Gauthier

 

 

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