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Intimité et déploration

Le Mans
Sablé-sur-Sarthe (Eglise Notre-Dame)
08/22/2018 -  
Antonio Draghi : Il terremoto (Oratorio al Santissimo Sepolcro)
Léa Trommenschlager (La Vierge Marie), Claire Lefilliâtre (Marie-Madeleine), Zachary Wilder (Saint Jean), Riccardo Angelo Strano (Un scribe), Emmanuel Vistorsky (Un pharisien), Victor Sicard (Un centurion), Anna Zawisza (Lumière de la Foi), Helena Poczykowska (Lumière de la Science), Alexandra Rübner (récitante)
Le Poème Harmonique, Vincent Dumestre (direction)




Quarante ans! Voilà quarante ans que le Festival de musique baroque de Sablé-sur-Sarthe anime le département de la Sarthe pour le plus grand plaisir des amateurs du genre, qui peuvent ainsi bénéficier de concerts donnés aussi bien au Centre culturel ou en l’église Notre-Dame de Sablé que dans les villages environnants, qu’il s’agisse par exemple de Juigné-sur-Sarthe, de l’église Saint-Pierre et Saint-Paul de Brûlon ou de l’église du même nom de Meslay-du-Maine. Se déroulant sur un peu plus de quatre jours (du mardi après-midi 21 août jusqu’au samedi soir 25 août), le festival alterne comme à son habitude les concerts, aussi bien le matin que l’après-midi et le soir avec les rencontres entre le public et les artistes (autour de ce que l’on appelle les «Déjeuners sur l’herbe») et diverses animations associant artistes des productions de la saison avec quelques spectacles de danse. N’oublions pas non plus deux conférences (la première consacrée aux «Eléments» par Arianna Fabbricatore, historienne de la danse bénéficiant d’une double formation universitaire acquise à la fois à Florence et à la Sorbonne, et la seconde par Ivan A. Alexandre, journaliste bien connu, à Rinaldo de Händel, sans doute son compositeur de prédilection), l’ensemble des événements bénéficiant de l’apport sans faille de l’association L’Entracte, qui gère notamment le centre culturel de Sablé.


L’année dernière, la directrice artistique du festival, Alice Orange, avait choisi l’Orient. Cette année, ce sont «Les Eléments» qui sont à l’honneur! Thématique à la fois originale et classique, pourrait-on dire, pour un monde baroque féru de forces surnaturelles, de héros mythologiques où Zéphir, Eole, Apollon, Neptune, Méduse et quelques autres perturbent l’ordre dans lequel les humains doivent évoluer, et d’opéras dans lesquels les scènes requérant machines et magie pour illustrer les forces de la nature sont légion. Que l’on songe à la peinture du chaos dans l’ouverture de Zaïs de Rameau ou à la scène de l’éruption volcanique dans Les Indes galantes, que l’on se souvienne des tremblements de terre de Sémélé (Marin Marais) ou des tempêtes qui mettent en péril les héros aussi bien dans Thétis et Pélée de Pascal Colasse que dans Alcione de Marin Marais!


Outre l’opportunité d’entendre des extraits des Eléments de Jean-Féry Rebel (par Le Consort dirigé du clavecin par Justin Taylor, Patrick Cohën-Akenine dirigeant pour sa part à la fin du festival Les Caractères de la danse, l’autre grande œuvre de Rebel) ou l’œuvre du même titre d’André Cardinal Destouches et de Richard De Lalande (par l’ensemble Les Surprises dirigé là encore du clavecin par Louis-Noël Bestion de Camboulas), la programmation du Festival offre également cette année l’occasion d’écouter des concertos de Bach et Telemann (Héloïse Gaillard sera de nouveau de la partie tant à la flûte qu’au hautbois), Rinaldo de Händel, des pièces méconnues de Claude Gervaise, Salomone Rossi et Cipriano de Rore (par Les Sonadori sous l’archet d’Alain Gervreau) ou un concert qui devrait être haut en couleur, consacré à Lully et Philidor par Hugo Reyne et La Simphonie du Marais.



(© Sébastien Gauthier)


Méconnu, Antonio Draghi (1634-1700) fait partie de ces Italiens qui furent appelés en raison de leurs talents dans diverses capitales musicales allemandes au cours de la seconde moitié du XVIIe siècle (citons par exemple Carlo Pallavicino à Dresde ou Agostino Steffani à Munich et Hanovre) et qui contribuèrent ainsi à l’essor de l’opéra italien dans toute l’Europe. Ayant commencé sa carrière comme chanteur à Venise avant de se faire connaître aussi bien comme librettiste que comme compositeur d’opéras, Draghi accomplit l’essentiel de sa carrière à Vienne, où il devint notamment surintendant du théâtre de la Cour en 1673 et directeur de la Chapelle impériale en 1682. Son oratorio, Il terremoto (créé à Vienne pendant la semaine sainte de l’année 1682), caractérise parfaitement ce que l’on dénommait alors les sepolcri, c’est-à-dire des scènes apparentées à l’oratorio qui se déroulaient autour du Saint-Sépulcre, le genre remontant aux déplorations mariales du Moyen-Age. Au fil de huit scènes, l’action d’Il terremoto se déroule autour du tremblement de terre (qui n’intervient qu’au cours de la quatrième scène) consécutif à la crucifixion du Christ. Mettant tout d’abord en scène la Vierge, Marie-Madeleine et saint Jean qui se lamentent sur l’agonie du Christ avant d’être rejoints par un scribe et un pharisien moqueurs et malfaisants, l’oratorio fait alterner scènes de lamentation et de rédemption (le moment où le centurion, le scribe et le pharisien reconnaissent la divinité du Christ est particulièrement fort) aboutissant, une fois le Christ mort, à l’avertissement donné à tout être humain: «Homme, tremble encore, toi qui de terre es fait».


Donné en l’église Notre-Dame de Sablé, Il terremoto fait intervenir solistes, chanteurs et musiciens du Poème Harmonique à la lumière de seulement quelques bougies et projecteurs aux douces teintes qui confinent à la pénombre au fur et à mesure de l’avancement du spectacle, la chaleur de l’atmosphère accentuant idéalement la douleur de la narration. L’oratorio débute par un récit de la crucifixion déclamé en vieux français (le roi devient le rouère, «à boire» se dit à bouère, les r sont tous roulés, les s et les t concluant les mots tous prononcés...) avec beaucoup de théâtralité par Alexandra Rübner, placée sur le devant de la scène, la récitante évoluant sur une sorte d’avancée autour de laquelle avaient pris place les huit musiciens du petit orchestre.


Les solistes vocaux furent tous du plus haut niveau mais c’est sans doute Claire Lefilliâtre qui nous aura fait la plus forte impression dans le rôle de Marie-Madeleine. Sachant allier diverses émotions en un même souffle (à la première scène, le passage «Barbara? Spietata?»> renvoyait en un instant tout autant à la tristesse qu’à la colère), elle bénéficie d’une excellente tenue dans la voix, son registre avoisinant celui d’une mezzo et gagnant ainsi en chaleur dans le medium. Un des plus beaux passages qui lui était dévolu fut sans doute le duo avec la Vierge Marie «Sè la Terra trema l’huomo che farà?» à la scène 7: un moment absolument délicieux. Dans le rôle de la Vierge, Léa Trommenschlager fut très bonne sans être exceptionnelle; sachant elle aussi véhiculer un grand nombre d’émotions quand il le fallait, dotée d’une prononciation parfaitement intelligible (y compris dans ses plus petits murmures), elle nous livra quelques airs d’une grande finesse comme ce Da turbe rie ucciso tu» (fin de la scène 3) accompagné des seules cordes pincées de la harpe et d’une viole de gambe. Pour autant, de façon globale, son personnage aura semblé un peu trop lisse: peut-être était-ce finalement voulu par Draghi? Enfin, parmi les voix féminines, la blonde Anna Zawisza et la rousse Helena Poczykowska furent irréprochables, leurs voix se mêlant de façon extrêmement harmonieuse, notamment au début de la scène 6 qui leur est largement dévolue. Irréprochable, Zachary Wilder le fut également, incarnant un saint Jean tout en retenue et en sagesse, dont l’air «E la fede vera scienza», grâce il est vrai à un idéal accompagnement des cordes, fut un moment privilégié. On connaissait déjà Victor Sicard pour l’avoir croisé ici ou là avec William Christie: une fois encore, il aura brillé ce soir en incarnant un Centurion extrêmement touchant, dont les états d’âme le conduisent au fil du récit à douter puis à basculer du côté de la croyance. Son chant, bénéficiant d’une belle projection et d’un timbre des plus agréables, en fit l’un des protagonistes les plus remarquables de la soirée. Si le chant de Riccardo Angelo Strano ne fut pas des plus séduisants (mais, il faut dire que son personnage du scribe en faisait le «méchant de service», à la veine presque satirique), on soulignera enfin la très belle prestation d’Emmanuel Vistorsky dans le rôle du pharisien: doté de magnifiques couleurs, il fut convaincant aussi bien dans ses duos (avec le scribe notamment, l’alliance des voix étant parfaite) que dans ses interventions seul, notamment dans cette scène 6 décidément si féconde au sein de l’oratorio.


Bien que réduit à seulement huit, les musiciens du Poème Harmonique, dirigés par un Vincent Dumestre tout en retenue, prirent toute leur place dans la réussite du concert. Soutenant et caractérisant remarquablement chaque voix, cornet, harpe, violons, basse de violon, violes, orgue... tous surent, au détour de la partition, sublimer la simplicité d’une histoire et d’une œuvre dont la richesse méritait amplement cette redécouverte qui aura sans nul doute ému tout festivalier présent ce soir.


Le site du Festival de Sablé-sur-Sarthe
Le site du Poème Harmonique et de Vincent Dumestre
Le site de Zachary Wilder
Le site de Riccardo Angelo Strano
Le site de Victor Sicard
Le site d’Anna Zawisza
Le site de Helena Poczychowska



Sébastien Gauthier

 

 

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