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Herkulessaal
06/28/2018 -  et 29* juin 2018
Samuel Barber : Adagio pour cordes, opus 11
Igor Stravinsky : Chant funèbre, opus 5
Dimitri Chostakovitch : Symphonie n° 13 « Babi Yar », opus 113

Mikhail Petrenko (basse)
Männerchor des Bayerischen Rundfunks, Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks, John Axelrod (direction)


J. Axelrod, M. Petrenko


Original programme choral à l’affiche de la saison de l’Orchestre symphonique de la Radio bavaroise, avec comme pièce de résistance l’immense Treizième Symphonie de Chostakovitch, pour chœur d’hommes et orchestre, précédée avant l’entracte par les Litanies à la Vierge noire de Francis Poulenc, assurées cette fois par l’autre moitié, féminine, du Chœur de la Radio Bavaroise, et le Chant funèbre de Stravinsky en guise d’introduction. Un concert concocté sur mesure par Yannick Nézet-Séguin, lequel se voit malheureusement contraint de se désister pour raison de santé quelques jours avant le début des répétitions. On imagine bien qu’avec un tel programme, lui trouver un remplaçant n’a pas été facile...


Heureusement le chef américain John Axelrod a pu se libérer (en se désistant lui-même d’un concert programmé à Séville, qui a dû être assuré par un assistant), ce qui nous a valu une soirée presque intacte, aux Litanies de Poulenc près, qui du coup sont passée à la trappe, remplacées par un plus banal Adagio pour cordes de Barber. L’entrée en matière, même conventionnelle, reste belle, l’acoustique flatteuse de la Herkulessaal munichoise valorisant au maximum les magnifiques timbres de cordes de l’Orchestre de la Radio bavaroise. John Axelrod mène très professionnellement son monde, dans cette musique dont il est, ne serait-ce que comme ancien assistant de Leonard Bernstein, ataviquement proche. Le crescendo central de cette déploration chambriste enfle impeccablement, jusqu’à une fin apaisée d’une belle densité.


Enfin retrouvé au printemps 2015 dans le fonds de partitions du Conservatoire de Saint-Pétersbourg, à l’occasion de travaux de rénovation qui imposaient d’y faire un tri plus systématique que d’habitude, le matériel d’exécution complet du Chant funèbre, composé en 1908 par Stravinsky en hommage posthume à son maître Rimsky-Korsakov, a été une redécouverte de taille. Personne, y compris le compositeur lui-même (« Je ne me souviens plus de sa musique, mais je me rappelle très bien l’idée »), n’avait plus de notion bien précise de ce à quoi pouvait ressembler cette pièce d’orchestre d’une douzaine de minutes. La partition passait pour définitivement disparue, ce que d’ailleurs Stravinsky, qui en gardait le souvenir d’une œuvre plutôt réussie, a regretté à plus d’une reprise. A l’écoute, autant par sa riche orchestration que par une façon immédiatement typique de mener le travail thématique, ce Chant funèbre pourrait tout à fait facilement s’insérer dans L’Oiseau de feu sans paraître en quoi que ce soit étranger à cet univers stravinskien-là, très russe, sous la coupe de Rimsky-Korsakov, mais avec déjà des touches personnelles bien reconnaissables. Il s’agit vraiment d’un beau morceau d’orchestre, mais qu’il faut sans doute réécouter à plus d’une reprise pour mieux y identifier une série de courtes citations mélodiques, de la Shéhérazade de Rimsky voire, ce qui est moins attendu, du Ring wagnérien. Sous la direction de John Axelrod, l’Orchestre de la Radio bavaroise y met la même somptuosité qu’à ses exécutions habituelles de L’Oiseau de feu, ce qui place d’emblée la barre très haut.


John Axelrod a étudié la direction d’orchestre au Conservatoire de Moscou où il a pu longuement se familiariser avec notamment les symphonies de Chostakovitch, musique dont les terribles résonances humaines l’ont d’emblée particulièrement impressionné. A ce titre la Treizième Symphonie reste l’une des partitions les plus immenses du compositeur russe, la plus imprégnée tout à la fois d’un intense sentiment de révolte et d’une résignation douloureuse. Selon Axelrod, « Après les cinq mouvements de cette symphonie on a le même sentiment que l’on aurait après avoir lu un roman de mille pages : on lit la dernière phrase, on referme le livre et on dit : wow ! » Et effectivement, c’est bien l’exacte impression qu’Axelrod nous fait retirer de cette exécution orchestralement luxueuse, mais toujours maintenue à un degré de tension parfois presque insoutenable par une gestique précise, dont les gestes saccadés voire curieusement asynchrones entre les deux bras, nous rappellent souvent l’épure boulézienne. Mais il y a aussi la fantastique présence de la basse russe Mikhail Petrenko : prononciation tranchante, graves abyssaux, humour grinçant, prodigieux dons de comédien (cette symphonie dessine aussi les contours d’un véritable rôle de basse de théâtre, qui ne doit pas être bien moins long que celui de Boris Godounov tout entier). De volet en volet tout un monde passe : l’antisémitisme sous toutes ses formes, avec en exergue l’odieux massacre de 34000 juifs ukrainiens en 1941 dans le ravin de Babi Yar, mais aussi la résignation des femmes soviétiques qui vouent une bonne partie de leur vie à faire la queue devant des magasins vides (une sublime élégie, hommage à un dévouement quotidien sans fin), voire, dans le mouvement lapidairement intitulé « Peurs », l’angoisse latente entretenue par un régime totalitaire spécialisé dans les disparitions qui ne laissent aucune trace... Dommage qu’ici les contraintes techniques de la Herkulessaal ne permettent pas de faire défiler en surtitres une traduction des poèmes expressionnistes d’Evgueni Evtouchenko car l’exécution y gagnerait encore en impact. Il faut se contenter de rester hypnotisé par le magnétisme exceptionnel du chanteur, bien secondé par le chœur et par le chef, toujours attentif à la voix avant de déclencher le paroxysme orchestral suivant. On comprend l’accueil délirant réservé par le public au compositeur lors de la création, et l’ovation qui salue la fin de ce concert est probablement à la même échelle.



Laurent Barthel

 

 

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