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La passerelle des vanités

Zurich
Opernhaus
06/24/2018 -  et 27, 30* juin, 3, 5, 8, 12 juillet 2018
Claudio Monteverdi : L’incoronazione di Poppea
Jake Arditti (Amore, 1. Famigliare), Florie Valiquette (Fortuna, Damigella), Hamida Kristoffersen (La Virtù), David Hansen (Nerone), Stéphanie d’Oustrac (Ottavia), Julie Fuchs (Poppea), Delphine Galou (Ottone), Deanna Breiwick (Drusilla), Manuel Nunez Camelino (Nutrice), Emiliano Gonzalez Toro (Arnalta), Nahuel Di Pierro (Seneca), Gemma Ní Bhriain (Valletto), Thobela Ntshanyana (Lucano, Primo Soldato, 2. Famigliare), Michael Hauenstein (Littore , 3. Famigliare), Kristofer Lundin (Liberto, Secondo Soldato)
Orchestra La Scintilla, Ottavio Dantone (direction musicale)
Calixto Bieito (mise en scène), Rebecca Ringst (décors), Ingo Krügler (costumes), Franck Evin (lumières), Sarah Derendinger (vidéo), Beate Breidenbach (dramaturgie)


(© Monika Rittershaus)


Poppée frappe la poitrine nue de Néron avec le talon aiguille d’une de ses chaussures, jusqu’à lui faire mal ; l’empereur saisit les cheveux de sa nouvelle épouse pour l’attirer violemment à lui. Le magnifique duo final (« Pur ti miro, pur ti godo ») du Couronnement de Poppée de Monteverdi tel qu’imaginé par Calixto Bieito pour la dernière nouvelle production de la saison à Zurich résume, à lui seul, le spectacle : le metteur en scène catalan a choisi de décrire sans fard les turpitudes, les excès et la soif de pouvoir des membres d’une société hédoniste et décadente, où chacun ne pense qu’à soi et à son propre plaisir. Tout ici, même le sexe, est utilisé comme instrument pour parvenir à ses fins. La scène de l’Opernhaus est occupée par plusieurs rangées de spectateurs ; au milieu, un escalier lumineux mène à une passerelle circulaire installée au-dessus de la fosse et sur laquelle défilent les personnages. Les musiciens trouvent place au centre du dispositif. Les chanteurs sont ainsi très proches du public. Des deux côtés du plateau, des écrans géants montrent en gros plan leurs visages et leurs expressions. Nous sommes plongés dans une société qui célèbre le culte de l’image : tout se sait, chacun veut s’afficher et se montrer. La passerelle évoque les défilés de mode, mais elle peut aussi être vue comme une arène, lieu de combat et de pouvoir. Comme le montrent les vêtements modernes et élégants des solistes, pour le metteur en scène l’important n’est pas tant l’époque à laquelle se situe l’intrigue, mais plutôt les relations et les interactions entre les personnages. Jamais L’incoronazione di Poppea n’aura semblé si moderne, c’est le grand mérite de la production de Calixto Bieito.


Le plateau vocal, composé de chanteurs relativement jeunes, est très homogène et engagé. L’incarnation la plus réussie est l’Ottavia de Stéphanie d’Oustrac, qui interprète une impératrice déchue tantôt figeant sa tristesse dans des lamenti impressionnants d’émotion contenue, tantôt se muant en furie qui laisse éclater sa colère et fait frémir toute la salle. Malgré une voix à la projection limitée, Delphine Galou est un Ottone superbement digne et expressif et particulièrement investi scéniquement. Arrivé à Zurich à la dernière minute pour remplacer un collègue malade, le contre-ténor David Hanse campe un Néron hystérique et névrosé, n’hésitant pas à poursuivre de ses avances aussi bien les femmes que les hommes, ce qui vaut un duo avec Lucano plutôt osé. Si la voix de l’empereur romain n’est pas très puissante, elle finit par envoûter et sait se faire précise dans les vocalises. Julie Fuchs est une Poppée exubérante et virtuose mais un peu trop sage, son personnage manquant de perversité et de noirceur. Contrairement à ce qui s’est passé à Hambourg, la grossesse de la chanteuse ne l’a pas empêchée de fouler les planches zurichoises et a même été intégrée au spectacle puisque dans la célèbre scène finale, Poppée déboutonne son chemisier pour laisser apparaître son ventre rond, que Néron va caresser avec satisfaction. On retient également le Sénèque digne et sonore de Nahuel Di Pierro, la Drusilla peroxydée à la Marilyn Monroe de Deanna Breiwick ainsi que la nourrice maniérée et extravagante de Manuel Nunez Camelino. Les seuls à ne pas véritablement tirer leur épingle du jeu sont le chef Ottavio Dantone et les musiciens. Non que la qualité de leur prestation soit en cause - leur précision dans le jeu, le soyeux de leur son et leur sens des détails sont même remarquables -, mais comme les chanteurs et les écrans géants accaparent déjà pleinement les spectateurs, la musique est malheureusement reléguée au second plan. Il n’en demeure pas moins que cette production du Couronnement de Poppée fera date.



Claudio Poloni

 

 

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