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Cabaret lunaire

Strasbourg
Opéra national du Rhin
05/20/2018 -  et 22*, 24, 26, 28 mai (Strasbourg), 5 (Colmar), 13, 15 (Mulhouse) juin 2018
Kurt Weill : Mahagonny-Songspiel – Die sieben Todsünden
Arnold Schoenberg : Pierrot lunaire, opus 21

Roger Honeywell (Charlie, Père), Stefan Sbonnik (Billy, Frère), Antoine Foulon (Bobby, Frère), Patrick Blackwell (Jimmy, Mère), Lenneke Ruiten (Jessie, Pierrot 1, Anna 1), Lauren Michelle (Bessie, Pierrot 2, Anna 2)
Orchestre symphonique de Mulhouse, Roland Kluttig (direction)
David Pountney, Amir Hosseinpour (mise en scène), Amir Hosseinpour, Beate Vollack (chorégraphie), Marie-Jeanne Lecca (décors et costumes), Fabrice Kebour (lumières)


(© Klara Beck)


Enormément d’idées originales pour ce spectacle Weill/Schönberg imaginé par l’Opéra du Rhin, en partenariat avec le metteur en scène britannique David Pountney qui n’est jamais en reste quand il s’agit d’inventer des projets qui sortent des sentiers battus. Pour la circonstance, Pountney s’est assuré la collaboration de sa meilleure co-équipière, la costumière et décoratrice Marie-Jeanne Lecca, et de deux chorégraphes à l’inventivité très différente, l’Iranien Amir Hosseinpour et l’Allemande Beate Vollack. Tout cela en vue de laisser incuber un spectacle totalement bizarre, mi-concrétion intellectuelle, mi-cabaret subversif, reflet de l’ébullition novatrice particulière des années vingt du siècle dernier en Allemagne, période désormais éloignée de nous de près d’un siècle et sur laquelle nous devrions être maintenant en mesure de porter un regard plus objectif.


Le télescopage de deux compositeurs aussi radicalement différents, et qui au mieux s’ignoraient voire n’avait l’un pour l’autre qu’une piètre estime, est en soi déjà une audace. Le langage musical délibérément atonal de l’un, trivial au second degré de l’autre, voisinent en définitive assez bien, y compris même quand Pierrot lunaire se retrouve carrément imbriqué dans Mahagonny-Songspiel, comme une sorte d’intermezzo surréaliste et démesuré. Pour cette première partie on passe ainsi d’une ambiance très music-hall daté, à la façon des Comedian Harmonists, à un univers plus inquiétant et subtil, mais où l’on continue à retrouver des traces du comique assez lourd de ce qui précède. L’équilibre est difficile à trouver et à notre avis Amir Hosseinpour, auquel est dévolu plus précisément l’ensemble de cet insert schoenbergien ne parvient pas toujours à créer là quelque chose de suivi et de cohérent. La faute en particulier à une chorégraphie trop prévisible (toujours ces mêmes mouvements saccadés, d’un désordre méticuleusement désorganisé, que l’on a vus et revus jusqu’à satiété sous cette signature dans de nombreuses autres productions, et dont la nervosité ne fait plus qu’agacer). Plus fructueux : la recherche d’une ambiance particulière pour chacun des vingt et un poèmes de Pierrot lunaire, avec à chaque fois la création d’une petite anecdote qui doterait certainement les textes d’une intéressante vibration visuelle supplémentaire si toutefois on comprenait toujours lesdits textes. Or aucune des deux chanteuses qui se partagent ici le rôle de Pierrot n’a vraiment l’envergure nécessaire pour projeter correctement les mots vers la salle. On reste confronté à un chant d’opéra un rien scolaire là où il faudrait vraiment l’expressivité rauque de grandes théâtreuses. Le Sprechgesang, c’est à notre avis quand même bien autre chose que ce succédané curieusement tiède. Même impression de ressorts un rien détendus, de spectacle vif-argent mais qui englue trop ses réflexes, dans Mahagonny-Songspiel : les ambitions ludiques sont clairement perceptibles, mais le patronage n’est pas toujours bien loin non plus.


Après l’entracte l’orchestre, numériquement plus fourni, descend en fosse, alors que les musiciens de la première partie étaient disséminés sur le plateau (et malheureusement parfois à des endroits où ils peinaient à se faire entendre). Cette fois c’est Kurt Weill qui a seul la parole, pour son « ballet chanté » Les Sept Péchés capitaux. Un ouvrage particulier, situé juste à une période charnière de la vie du compositeur, entre Berlin et les Etats-Unis. Musicalement, l’inspiration ne nous y paraît pas des meilleures, avec une certaine tendance au ressassement de formules rythmiques et mélodiques déjà utilisées dans des ouvrages précédents. Cela dit, une indiscutable technicité, une intuition infaillible d’homme de spectacle, demeurent patents. Et on peut employer les mêmes termes flatteurs pour le travail de David Pountney et Beate Vollack : une suite de tableaux virtuoses, sur un ring de boxe où toutes les coups sont permis, y compris les débauches les plus variées. La lisibilité de l’ensemble reste problématique mais les images sont réussies, y compris pour une chorégraphie qui fonctionne bien : un emploi épuisant qui échoit à nouveau, comme dans Pierrot lunaire, à la danseuse Wendy Tadrous. Ce système de trio qui associe une danse très riche en affects à deux chanteuses chargées de se renvoyer en permanence des répliques en miroir (c’était déjà le principe de la première partie, mais en plus dispersé) acquiert ici davantage de pertinence.


Distribution compétente mais un peu sage, où on apprécie surtout l’abattage de Lauren Michelle, très en verve dans Weill mais plus déplacée dans Pierrot lunaire où on peut lui préférer la causticité perfide de sa partenaire Lenneke Ruiten. Que ce soit en fosse ou même sur le plateau, déguisé en Pierrot fardé de blanc pour la première partie, Roland Kluttig coordonne tout cela avec beaucoup d’efficacité. On passe une soirée intéressante, mais qui manque des tempéraments vocaux plus percutants qui pourraient faire passer le tout à un échelon supérieur.



Laurent Barthel

 

 

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