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Il est triste, Max

Berlin
Staatsoper Unter den Linden
10/06/2001 -  
C. M. von Weber : Le Freischütz


Opéra romantique en 3 actes sur un livret de Friedrich Kind.



Reiner Goldberg (Max), Carola Höhn (Agathe), Jaco Huipjen (Kaspar), Tina Schlenker (Ännchen), Gerd Wolf (Kuno), Gerlinde Kempendorff (Samiel), Klaus Häger (Ottokar), Siegfried Vogel (Un ermite), Bernd Riedel (Kilian), Minjou von Blomberg, Karin Rohde, Maria-Elisabeth Weiler et Konstanze Löwe (Demoiselles d’honneur).



Nikolaus Lehnhoff (Mise en scène), Tobias Hoheisel (Décors et costumes).



Staatskapelle Berlin, Sebastian Weigle (Direction). Choeur de la Staatsoper, Eberhard Friedrich (Chef de chœur).



Rentrée populaire au Staatsoper avec cette reprise d’un Freischütz créé en 1997, et qui continue d’attirer la foule des samedis soirs à Berlin, un peu comme le ferait Carmen en France.



Sebastian Weigle donne de cette partition une lecture très personnelle, pour nous tout à fait réussie. Son ouverture peut surprendre avec des tempi très lents au début, presque parsifaliens, puis toujours plus enlevés jusqu'à l’explosion en do majeur menée elle tambour battant dans un esprit proche de l’ouverture des Noces de Figaro. Ces choix un peu extrêmes sont bien sûr motivés pour une œuvre oscillant constamment entre Mozart et Wagner, entre classicisme et romantisme. Cependant, Weigle ne privilégie pas ces seules deux parentés et rend justice aux multiples influences de l’œuvre, en particulier françaises (Spontini) pour ce qui concerne l’orchestration. La Staatskapelle garde ainsi dans l’ensemble sa très belle sonorité sombre et allemande, mais ces couleurs sont ici rehaussées par des pupitres de vents très différenciés, et qui donnent à certains passages un caractère assez berliozien. À quand Les Troyens sur cette même scène ?



Ce qui se passe hors de la fosse est en revanche plus décevant. Malgré quelques bons moments, la mise en scène de Nikolaus Lehnhoff reste très inégale et n’arrive pas à décoller dans l’ensemble. Les scènes féminines sont sans doute les plus réussies : Lehnhoff semble en effet plus intéressé par le fort sentiment d’amitié qui unit Agathe et Ännchen que par leurs usuelles caractérisations respectives (l’une en oie blanche qui se languit, l’autre en camériste délurée). Les deux jeunes filles s’entretiennent ainsi sur un ton contemporain parfaitement juste, courtois, presque viennois, accompagné de surcroît, rappelons-le, par l’une des musiques les plus exquises qui soient (le duo Schelm, halt fest ! ou encore l’air dit « de la cousine » Einst träumte meiner sel’gen Base accompagné à l’alto). Le mélodrame de la Gorge aux Loups, autre grand moment de la partition, est aussi fort bien rendu avec un paganisme un peu sanguinolent mais toujours très intéressant du côté de Kaspar, et surtout une remarquable représentation du démon Samiel, féminine, à la voix blanche et bardée de cuir noir, apparition évoquant assez Maria Casarès dans Le testament d’Orphée et qui se multipliera par sept à la fin du tableau pour fondre autant de balles ensorcelées.



Tant dans les costumes que dans les décors, le reste de cette production joue en revanche surtout la carte du premier degré naïvisant, ce qui n’est d’ailleurs pas nécessairement un contresens pour cet opéra : dans une tonalité très analogue, la belle production d’André Engel en 1999 à Strasbourg trouvait le ton approprié et restait parfaitement crédible. Malheureusement, Lehnhoff donne souvent l’impression de ne pas croire à son premier degré et le contraint à des conventions peu naturelles qui donnent lieu, en particulier dans le rôle de Max, à une gestuelle guindée et caricaturale. Les scènes chorales sont les plus ratées : obligé de se déplacer suivant des mouvements géométriques assez idiots, le chœur se retrouve constamment en décalage par rapport à l’action. L’entrain sur lequel les paysans dansent la valse bohémienne paraît ainsi bien affecté (certes, pour citer Adorno, cette valse masque une réalité plus tragique qui se dévoilera dans l’air de Max, mais cette ambivalence est déjà présente dans la musique, et la doubler dans la mise en scène en détruit précisément tout l’effet). Le chœur des chasseurs, si beau et si justement populaire, est complètement défiguré par une stupide parade militaire (d’ailleurs passablement huée) où nos malheureux choristes doivent battre la mesure avec la crosse de leurs fusils. Ils finissent par en oublier de chanter, ce qui est un comble !



Le plateau vocal est dominé par la merveilleuse Ännchen de Tina Schlenker. Timbre fruité et multicolore, phrasés précis et nuancés, physique tout à fait gracieux, elle donne de son personnage une interprétation avant tout très intelligente, matinée d’un subtil érotisme. Elle est surtout la seule à être vraiment habitée par la mélodie weberienne, mélodie qu’elle rend avec un naturel tout à fait confondant et aussi une certaine audace dans le choix des couleurs, audace qui fait d’ailleurs chaque fois mouche et donne à son interprétation un caractère plus évident encore. D’un rôle un peu trop épais pour elle, Carola Höhn se sort une nouvelle fois remarquablement bien, et donne une composition convaincante, digne et juvénile à la fois. Toutefois, Agathe demande un sens de la langueur qui semble lui faire défaut, que contredit du moins son jeu peut-être un peu trop énergique. Dans Und ob die Wolke... Höhn trouve le juste abandon, aidée en cela par un magnifique violoncelle solo (Manfred Herzog) ; mais ce sublime et sensuel nocturne qu’aurait du être Wie nahte mir der Schlummer… nous laisse un peu sur notre faim. C’est dommage.



Le Kaspar de Jaco Huijpen reste de très bonne tenue vocale et dramatique, dans un registre plus conventionnel cependant. Déjà pourvu du vrai physique de l’emploi (crâne chauve et barbe en collier façon Henri Pescarolo ou encore Docteur Müller dans Tintin au pays de l’Or noir) et d’une voix noire à souhait, on est en droit d’attendre de lui une composition plus variée, avec moins d’invective et de serrements de poings. Il montrera cependant plus d’originalité dans les passages parlés, avec des accents de vrai connard à la Jean Yanne tout à fait plaisants. Rainer Goldberg est lui complètement perdu dans Max, distribution qui nous semble de toutes manières une erreur au départ. Son timbre, d’une laideur assez windgassenienne, peut être en effet intéressant dans des rôles de caractère ou dans un répertoire plus contemporain, mais ne convient aucunement à ce personnage de jeune premier qui requiert une voix beaucoup plus chaude, et plus lyrique que dramatique finalement. On regrette d’ailleurs que certains tenors de format plus français, voire italien, ne s’aventurent pas dans ce rôle certes pré-wagnérien, mais qui comprend dans maints passages (notamment dans le grand air) des inflexions franchement latines. Enfin dans la dernière scène on a plaisir à réentendre Siegfried Vogel, toujours en pleine forme et qui donne à son personnage de Alt-Klausner une rondeur et une bonhomie bien émouvante, malgré (depuis le 11ème rang) une certaine ressemblance physique avec le bien-nommé Alt-Kanzler, dont la rondeur et la bonhomie sont peut-être un peu plus douteuses !




Thomas Simon

 

 

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