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Mahler experience

Paris
Cité de la musique
09/29/2001 -  & 30* septembre 2001


Samedi 29 septembre, 16 heures 30 : Concert-atelier (Amphithéâtre du musée)
Gustav Mahler : Mouvement pour quatuor avec piano - Quatre lieder extraits de « Des Knaben Wunderhorn »

Samedi 29 septembre, 20 heures (Grande salle)
Richard Wagner : Wesendonck-Lieder
Anton Bruckner : Symphonie n° 6

Dimanche 30 septembre, 16 heures 30 (Grande salle)
Gustav Mahler : Blumine - Lieder eines fahrenden Gesellen - Symphonie n° 1 « Titan »


Bernarda Fink (mezzo), Christopher Maltman (baryton), Marieke Blankestijn (violon), Martin Kelly (alto), Sebastian Comberti (violoncelle), Michael Dussek (piano)
Orchestre de l’Age des Lumières, Sir Roger Norrington (direction)


Comme voici plus de trois ans avec Tchaïkovski, Sir Roger est venu à la Cité de la musique, le temps d’un week-end, pour une Mahler experience en quatre temps:
« concert-atelier » (en fait une causerie avec Brigitte Marger, autour d’un mini-concert de musique de chambre et d’un mini-récital), deux concerts symphoniques et une conférence d’Henry-Louis de La Grange sur « Les paradoxes de Mahler ». Succès public indéniable, notamment pour le dernier concert, donné à guichets fermés.


Pour Oscar Wilde, « L’expérience [est le] nom dont les hommes baptisent leurs erreurs ». S’il faut, bien entendu, ne pas s’en tenir au littéral du mot, cette Mahler experience - en anglais dans le texte - n’en comporte pas moins une part d’expérimentation, et c’est sans doute aussi ce qui lui confère un côté attractif et stimulant. D’autant qu’au cours des concerts successifs, Norrington, dans un français très personnel, prend manifestement plaisir, non sans ironie pince-sans-rire, à expliquer le sens de sa démarche et le choix des œuvres.


L’objectif principal de cette « experience » semble être de rendre à l’interprétation mahlérienne une certaine
« innocence » - Norrington reprendra le mot à plusieurs reprises. Tout en rappelant l’apostrophe de Mahler à Mengelberg (« S’il vous plaît, continuez à changer après ma mort »), il concède bien volontiers que le travail que demande son approche est à la fois moins important et sans doute plus facile que celui qu’il a précédemment accompli sur Monteverdi, Mozart ou Beethoven. Mais s’il y a moins à recréer dans Mahler, Norrington n’en identifie pas moins un certain nombre de facteurs propres à ôter à cette musique les excès de « maquillage » que, selon ses propres termes, on lui a fait porter au fil des années: considérer Mahler comme un successeur de Bach, Beethoven, Schumann, Berlioz, Liszt, Wagner et Bruckner - Norrington s’amuse lui-même de la longueur - plutôt que comme le père de la musique moderne.


Parmi les options interprétatives qui découlent de cette remise en perspective, Norrington estime ainsi que le vibrato doit être limité au maximum, sur la foi de ce qu’il a entendu - au disque - du jeu d’Arnold Rosé, premier violon de la Philharmonie de Vienne de 1888 à 1938. Les instruments et leur disposition ont également leur importance: les bois... sont en bois, les cordes en boyau, les violons se faisant face de chaque côté du chef et encadrant, de gauche à droite, les violoncelles et les altos, avec les contrebasses formant une ligne au fond de l’orchestre, où les cors sont séparés des trompettes par les bois. Disposition qui est encore typiquement viennoise de nos jours.


Pour les tempi, Norrington se fonde sur un indice que l’on est en droit de juger assez mince, à savoir les quelques rouleaux gravés par Mahler, desquels il déduit que le compositeur souhaitait que l’opposition entre les mouvements lents et rapides ne fût point rendue de manière extrême. En tout état de cause, Sir Roger a au moins le mérite de poser des questions intéressantes, auxquelles il ne prétend d’ailleurs pas donner de réponses définitives: « Il n’existe pas une manière d’interpréter sa musique, mais plusieurs ». Cela va mieux en le disant.


Puisqu’il s’agit d’éclairer son ascendance plutôt que sa descendance, le programme de ces deux journées se concentre sur les premières années de Mahler.


Mahler compositeur, d’abord: encore étudiant avec le Mouvement de quatuor (donné par les solistes de l’Orchestre de l’Age des Lumières). Puis autour de la Première Symphonie, avec le bref Blumine, qui lui servait initialement de deuxième mouvement, et les Chants d’un compagnon errant (chantés avec beaucoup de retenue par Christopher Maltman), dont les thèmes irriguent ladite symphonie. Rappelant le canevas narratif qui fonde les quatre mouvements de cette symphonie, Norrington en fait même une sorte de Vie de héros... dix ans avant celle de Richard Strauss.


Mais le week-end laissait aussi une place aux influences qui s’exercèrent sur le jeune Mahler: la tradition populaire (avec Le Cor merveilleux de l’enfant), Wagner (dont Bernarda Fink chante les Wesendonck-Lieder avec soin et musicalité) et Bruckner (avec, choix habile, la Sixième Symphonie, dont Mahler donna, en 1899, la première audition intégrale).


Le résultat n’est ni farfelu, ni déplacé, loin s’en faut, car la réussite est souvent au rendez-vous: dans les mouvements centraux de la Première Symphonie de Mahler et, de façon plus inattendue, dans l’Adagio de la Sixième Symphonie de Bruckner. Norrington a une façon de faire de la musique qui est, au fond, nettement plus intuitive que guidée par des considérations purement musicologiques. En témoignent par exemple la finesse et la délicatesse qu’il obtient souvent de l’excellent Orchestre de l’Age des Lumières. En témoigne également son attitude souple vis-à-vis des quelques reprises que proposent ces partitions (intégralement observées dans Mahler, omise dans le Scherzo de Bruckner). Conformément aux souhaits du compositeur, les deux derniers mouvements de la Symphonie « Titan » sont enchaînés sans interruption, ce qui ménage l’effet de surprise recherché.


A son actif, des couleurs à la fois plus vertes et plus fruitées qu’à l’ordinaire, émanant notamment de la petite harmonie, mais aussi, par exemple, des trompettes dans le passage grotesque du mouvement lent de la Première Symphonie de Mahler. Les tempi fort peu iconoclastes, dans l’ensemble (à l’exception d’un final brucknérien étonnamment véloce), qui offre, dans Bruckner, une très belle respiration dans le mouvement lent: la symphonie de Bruckner dure 53 minutes, celle de Mahler, 50 minutes, durées tout à fait comparables à celles des interprétations « traditionnelles ». Au demeurant, lorsqu’on se reporte aux partitions, on constate qu’y pullulent les indications du type « Nicht schleppen » (« ne pas traîner ») ou même « Schlicht! Nicht sentimental! » (« simple! pas sentimental! »).


Outre une tendance à la confusion dans les tutti polyphoniques et quelques menues imperfections instrumentales, certains mettront toutefois au passif une certaine manière de se concentrer sur des détails de phrasé (les liaisons, conformément à un standard d’interprétation effectivement passé de mode depuis 1945, tiennent parfois du portamento, pour ne pas dire du glissando), ou de privilégier des voix secondaires, qui, pour respecter la lettre de la partition, est parfois trop soulignée. Tel est le cas de l’accent rageur placé sur le premier temps dans le Scherzo de Bruckner, qui, du coup, est scandé comme celui... de la Sixième Symphonie de Mahler. De même, certains auront pu ressentir un manque de pathos et un certain prosaïsme, ou auront déploré une tendance à retenir le chant et l’expression. De fait, Im Treibhaus (dans les Wesendonck-Lieder) est inhabituellement décanté, et l’on recherche en vain la solennité pourtant prescrite dans la marche funèbre de la Première Symphonie. Mais quels que soient les reproches qu’elle encourt peut-être, cette conception n’en conserve pas moins une qualité déjà remarquable: sa cohérence.



Simon Corley

 

 

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