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Modernité japonaise

Strasbourg
Opéra national du Rhin
03/21/2018 -  et 24, 27, 29* mars, 3 (Strasbourg), 13, 15 (Mulhouse) avril 2018
Toshiro Mayuzumi : Le Pavillon d’or
Simon Bailey (Mizoguchi), Dominic Grosse (Tsurukawa), Paul Kaufman (Kashiwagi), Yves Saelens (Le Père), Michaela Schneider (La Mère), Fumihiko Shimura (Abbé Dosen), Fanny Lustaud (Uiko), François Almuzara (Le Jeune homme), Makiko Yoshime (La Jeune fille), Pavel Danko (Le jeune Mizoguchi)
Chœur de l’Opéra national du Rhin, Orchestre philharmonique de Strasbourg, Paul Daniel (direction)
Amon Miyamoto (mise en scène), Boris Kudlicka (décors), Kaspar Glarner (costumes), Felice Ross (lumières), Bartek Macias (vidéo)


(© K. Beck)


Toshiro Mayuzumi (1929-1997) ? Ceux qui se sont intéressés aux avant-gardes musicales au siècle dernier gardent peut-être encore quelques traces de ce compositeur en mémoire : par exemple une œuvre brève pour quatuor popularisée en son temps par le Quatuor LaSalle, ou encore une modeste et timide littérature pour piano préparé, complémentaire de celle de John Cage. Les cinéphiles ont pu lire aussi ce nom sur de nombreux génériques de film, et pas seulement pour le cinéma japonais (La Bible de John Huston notamment). En musique symphonique, on notera la volumineuse Nirvana-Symphony, bizarre Turangalîla japonaise qui fait intervenir des emprunts directs aux chants liturgiques bouddhiques, chantés par un chœur d’hommes. Un compositeur au carrefour de multiples cultures, certes apprécié par ses pairs occidentaux pour ces tentatives de cristallisation syncrétique, mais à vrai dire sans estime véritable et durable. D’où sans doute un certain oubli aujourd’hui.


Le Pavillon d’or, opéra ressuscité cette saison par l’Opéra national du Rhin était à l’origine une commande du Deutsche Oper de Berlin, qui en a assuré la création en 1976. Que Berlin ait pu faire appel à l’époque à Mayuzumi s’explique très bien par le contexte exposé plus haut. Et que le compositeur japonais ait pu bénéficier de l’importante collaboration de Claus Henneberg, pour la rédaction d’un livret qui tentait la périlleuse adaptation du plus célèbre (du moins en Occident) roman de Yukio Mishima, est dû à un heureux concours de circonstances, puisque Henneberg était à l’époque le dramaturge du Deutsche Oper Berlin. Une plume brillante et surtout un excellent spécialiste de l’opéra contemporain : le librettiste de Mélusine et Lear d’Aribert Reimann c’est lui, celui de l’Enrico de Manfred Trojahn c’est lui aussi, celui des Trois sœurs de Peter Eötvös, c’est encore lui... Donc pour Mayuzumi une très bonne pioche. Et pourtant, après le succès d’estime de cette création (donnée en allemand, comme il se doit, et donc sous un autre tire : Der Tempelbrand), la carrière de ce Pavillon d’or est restée modeste en occident, hormis une reprise au New York City Opera vingt ans plus tard, en anglais cette fois. En revanche, au Japon l’œuvre est entrée au répertoire : Tokyo, Osaka, Yokohama... les occasions d’écouter cette œuvre s’y présentent assez régulièrement. Pour la première édition du Festival Arsmondo voulu par Eva Kleinitz, directrice de l’Opéra national du Rhin, une programmation pluridisciplinaire très riche consacrée cette année au Japon, cet opéra tombait tout à fait bien à propos.


En collaboration avec le metteur en scène japonais Amon Miyamoto, le chef d’orchestre Paul Daniel a notablement remanié la partition, avec d’assez fréquentes coupures voire un ordre des scènes parfois modifié. Ce qu’il en reste demeure néanmoins de proportions conséquentes, à tel point qu’on a cru bon d’y ménager un entracte, ce qui nuit à la tension de l’ensemble. Le langage musical de Mayuzumi ne paraît plus vraiment en mesure d’effaroucher grand monde aujourd’hui, relativement ordonné dans son débit grâce à de fréquents ostinati, avec comme des effluves stravinskiens parfois, qui ne donnent pas beaucoup de saveur supplémentaire à de longues séquences de remplissage assez peu intéressantes orchestralement, encore que d’une efficacité dramatique certaine. De fréquentes zébrures de percussions métalliques et une écriture chorale en masses gutturales sonnent assez japonaises, sans même parler d’un inévitable passage à la flûte traditionnelle shakuhachi... un syncrétisme de bon aloi, effectivement. Le point fort de l’écriture de Mayuzumi reste la gestion des lignes vocales, d’une belle sensibilité (certains ne manqueront pas d’y retrouver un avatar d’Alban Berg parmi d’autres, mais comment y échapper?). Indiscutablement Le Pavillon d’or est un opéra qui fonctionne bien sur scène, même si l’adaptation du roman de Mishima, qui s’efforce d’en restituer la progression tortueuse, entre le destin personnel d’un protagoniste psychiquement instable et une histoire japonaise moderne pas moins complexe, peut y sembler parfois un peu simpliste ou du moins réduite à une succession de saynètes trop cursives.


Pour cette résurrection, l’Opéra du Rhin a vu grand. L’excellent scénographe Boris Kudlicka a mis à contribution son sens habituel des grands espaces en mouvement, avec un magnifique décor changeant, sorte de cube aux multiples coulisses latérales qui font apparaître à vue des intérieurs japonais, typiques jusqu’au plus petit détail. Le Pavillon d’or (certainement le temple de Kyoto le plus photographié par les touristes occidentaux, encore que de loin ni le plus intéressant ni le plus beau) apparaît parfois de façon cursive en projection, mais c’est plutôt sa couleur même qui s’étale sur un large fond de scène entièrement doré, abstrait, hommage implicite à la riche esthétique des paravents de l’Ecole Kano. Les costumes de Kaspar Glarner sont d’un goût non moins parfait. On notera au passage qu’à part le metteur en scène, l’équipe scénographique de cette production n’est pas du tout japonaise, ce qui rend ce dialogue des cultures voulu par le Festival Arsmondo encore plus stimulant.


Brillamment interprété par le baryton britannique Simon Bailey, le rôle principal de Mizoguchi pourrait être plus écrasant. Mayuzumi l’a conçu davantage par petites incises psychologiques successives, et ici l’idée de compléter les vides laissés par ce traitement un peu lacunaire, en complétant le personnage par un double chorégraphique, incarné par l’excellent danseur Pavel Danko, est assez magique. Le reste de la distribution se disperse en une série de petits rôles, tous impeccablement tenus, mais où il est difficile, faute de temps, de laisser une empreinte marquante. On retiendra bien davantage la prestation du Chœur de l’Opéra du Rhin, qui charpente vraiment tout l’opéra en lui donnant une cohésion et une force de frappe impressionnants. De même pour l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, efficacement coordonné par Paul Daniel, même si tout ce qui sort isolément de la fosse ne paraît pas toujours bien captivant.


A défaut de nous faire découvrir un chef-d’œuvre, certainement une soirée courageuse et même brillante, qui reflète bien toutes les ambiguïtés et les aspirations divergentes de la culture japonaise d’aujourd’hui : entre tradition et modernités de tous ordres, un équilibre qui ne sera jamais idéal, et en même temps un empirisme toujours passionnant.



Laurent Barthel

 

 

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