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Grand chahut sur les alpages

Baden-Baden
Festspielhaus
03/26/2018 -  et 1er, 2, 3 mars 2018 (Berlin)
Franz Schubert : Prometheus, D. 674 – An die Musik, D. 547 (orchestrations Max Reger) – Erlkönig, D. 328 (orchestration Hector Berlioz) – Memnon, D. 541 – An Schwager Kronos, D. 369 (orchestrations Johannes Brahms) – Lazarus, oder: Die Feier der Auferstehung, D. 689: Récitatif et air «Wo bin ich? O könnt’ ich, Allgewaltiger»
Richard Strauss : Eine Alpensinfonie, opus 64

Gerald Finley (baryton)
Berliner Philharmoniker, Daniel Harding (direction)


G. Finley, D. Harding (© Monika Rittershaus)


Festspielhaus de Baden-Baden assez pauvrement garni ce soir, pour ce second concert des Berliner Philharmoniker. Certains festivaliers du week-end juste précédent sont repartis, d’autres profitent peut-être de cette soirée pour souffler un peu, et apparemment le programme de ce concert-là a moins réussi à séduire que les autres. Mais peut-être faudrait-il aussi incriminer un horaire de programmation aberrant. Débuter un concert à 18 heures en semaine est concevable pour un festivalier oisif sur son lieu de vacances. En revanche, si l’on tient à mobiliser aussi un public plus local, il faudrait quand même lui laisser un peu plus de temps pour boucler sa journée de travail auparavant, faute de quoi il fera l’impasse.


En première partie, on retrouve Gerald Finley, l’Amfortas de la production de Parsifal dirigée par Simon Rattle qui constitue la principale attraction de ce Festival de Pâques 2017. En concert, la voix du baryton canadien paraît plus chaleureuse mais sa projection reste sinon confidentielle du moins sans véritable mordant, ce qui nuit aussi à la clarté de la diction allemande et ne contribue pas à nous convaincre tant que cela de la validité des orchestrations des Lieder de Schubert au programme, du moins par rapport aux originaux pianistiques. Le travail d’instrumentation sonne parfois relativement pâteux et collant chez Reger (Prometheus jauge assez lourd, en revanche An die Musik est plus simple et agréable). L’approche paraît plus ductile chez Brahms, dont on reconnaît bien certains tics caractéristiques dans le maniement de l’orchestre (Memnon et An Schwager Kronos). Mais surtout l’air circule infiniment mieux dans l’Erlkönig orchestré par Berlioz, ce qui permet aussi au chanteur de faire passer davantage d’affects voire d’oser une certaine caractérisation des différents personnages (encore que bien plus timidement qu’il ne pourrait le faire accompagné seulement d’un piano). Du Bist du Ruh, finement soutenu par l’orchestration économe de Webern, est l’autre jolie trouvaille de ce petit parcours, où l’on aura surtout vu Daniel Harding constamment affairé à tempérer les ardeurs d’un orchestre pourtant numériquement assez peu fourni. L’apport de ces orchestrations s’en trouve encore davantage minimisé, réduit à des touches de couleur instrumentales pas forcément très distinctes. On n’en apprécie que mieux l’air extrait de l’oratorio Lazarus, où l’orchestre prend de belles couleurs sombres et où le rapport avec la voix sonne en définitive beaucoup plus équilibré. Pour l’anecdote on notera que l’orchestration de l’Erlkönig de Schubert par Berlioz a été jouée pour la première fois... ici-même, à Baden-Baden, en 1860.


C’est évidemment l’énorme Symphonie alpestre de Richard Strauss qui constitue le cœur de la soirée. Et même si on ne nourrit pas une affection sans bornes pour cette partition quelque peu boursouflée, force est de constater que pour nous présenter un grand orchestre en majesté elle a peu d’équivalents. Ici les Berliner Philharmoniker se déploient comme une impressionnante machine, avec une force de frappe sidérante. A gauche, les huit contrebasses ronflent déjà comme des tuyères, mais la rangée de cuivres, d’une sûreté imperturbable (pas le moindre couac à déplorer, ni la plus petite bavure), peut produire vraiment un raffut homérique. Il est vrai qu’avec huit cors, cinq trompettes, quatre trombones et deux tubas, il y a de quoi faire, sans compter quelques cors supplémentaires en coulisse pour la scène de la forêt. Et puis, vu de haut, tout brille comme si les instrumentistes avaient passé leur après-midi à astiquer leurs cuivres : l’analogie avec les pare-chocs d’un énorme cylindrée de luxe n’en fonctionne que mieux. Mention particulière pour le premier cor, Stefan Dohr : colossal, d’un souffle inépuisable. Et en plein cœur de l’orchestre il fallait bien un Emmanuel Pahud, avec sa flûte surpuissante, pour tenir le choc, pas du tout intimidé d’ailleurs, voire un peu dissipé quand il s’agit d’imiter les oiseaux de la forêt avec quelques fantaisies amusantes.


Sur le podium, la petite silhouette de Daniel Harding semble bien frêle pour réussir à contrôler une telle armada, et pourtant... En définitive, cette gestique ample et coulée, très peu dramatisée au point d’en paraître parfois insignifiante, n’en exerce pas moins un contrôle efficace. Incontestablement, le chef joue ici tout à fait bien son rôle de pilote, du moins au sens où il gère correctement l’avancée : c’est bien lui qui coordonne et à aucun moment le projet ne lui échappe. En revanche, la gestion des plans sonores n’existe pas vraiment, le volume global paraissant davantage conditionné par le nombre arithmétique d’instruments impliqués dans la mêlée que par un réel interventionnisme sur les nuances. Pour reprendre ici une analogie touristique, ces photographies de promenade en montagne ont des couleurs souvent surexposées. Le résultat manque de modelé, voire de piqué sur l’ensemble de la profondeur de champ. Et puis toute la seconde partie, cette redescente progressive des sommets, qui est aussi la métaphore du déclin d’une vie humaine, de l’apogée au crépuscule et enfin à la mort, paraît relativement déficitaire en arrière-plans psychologiques. On en reste à un étalage de luxe orchestral, certes à un tel niveau de grandeur (la longue Elégie finale, de proportions vraiment cyclopéennes) qu’on aurait sans doute mauvaise grâce de trouver la mariée trop belle. Cela dit cette Alpensinfonie par les Wiener Philharmoniker et Andris Nelsons en 2014, entendue dans le même Festspielhaus de Baden-Baden et sensiblement depuis la même place, nous laissait un souvenir beaucoup plus riche encore, parce que fondamentalement plus nuancée, plus organiquement souple. Vibrant tapis de cordes pour finir, lente extinction d’un choral de cuivres majestueux et retour définitif au silence, avant l’explosion d’applaudissements d’une salle qui trépigne longuement d’enthousiasme, au point de faire totalement oublier qu’elle est peu remplie.



Laurent Barthel

 

 

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