About us / Contact

The Classical Music Network

Madrid

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

La mort en scène

Madrid
Teatro Real
01/26/2018 -  et 29, 31 janvier, 3, 6, 9* février 2018
Jake Heggie: Dead Man Walking
Joyce DiDonato (Sister Helen Prejean), Michael Mayes (Joseph De Rocher), Maria Zifchak (Mrs. Patrick De Rocher), Measha Brueggergosman (Sister Rose), Damián del Castillo (George Benton), Roger Padullés (Father Grenville), María Hinojosa (Kitty Hart), Toni Marsol (Owen Hart), Marta de Castro (Jade Boucher), Vicenç Esteve (Howard Boucher), Enric Martínez-Castignani (A motor cop, First prison guard), Celia Alcedo (Sister Catherine), Marifé Nogales (Sister Lillianne), Tomeu Bibiloni (Second prison guard)
Coro titular del Teatro Real (Coro Intermezzo), Andrés Máspero (chef de chœur), Pequenos Cantores de la ORCAM, Ana González (chef de chœur), Orquesta titular del Teatro Real (Orquesta Sinfónica de Madrid), Mark Wigglesworth (direction musicale)
Leonard Foglia (mise en scène), Michel McGarty (décors), Jess Goldstein (costumes), Elaine J. McCarthy (vidéo), Brian Nason (lumières)


J. DiDonato, M. Brueggergosman (© Javier del Real/Teatro Real)


Le lecteur voudra bien nous le pardonner, mais on n’écrira pas aujourd’hui sur les valeurs morales et sociales de Dead Man Walking (2000) de Jake Heggie (né en 1961). Dès la première à Chicago, on a suffisamment discuté des questions posées par Heggie et son librettiste, Terrence McNally: l’illégitimité de la peine de mort, la rédemption (rien à voir avec Wagner), le mal à peine caché dans l’âme du condamné (il commence à avoir des rapports avec Sœur Helen par opportunisme; et son crime est épouvantable), la personnalité de Sœur Helen même.


Cet opéra est fondé sur le livre éponyme de Sœur Helen, qui a inspiré immédiatement après sa sortie le film de Tim Robbins (La Dernière Marche, 1995), un succès et un motif de raillerie pour la férocité conservatrice américaine: «Ah, ces libéraux» (aux Etats-Unis, «libéral» signifie à peu près «gauchiste»). Il a été enregistré au moins à deux reprises (Susan Graham et Joyce DiDonato).


Heggie a commencé sa carrière comme auteur de petits ou grands opéras (par exemple, le petit Radio Hour ou le grand Moby Dick) et de chansons (comme The Deepest Desire, pour Joyce DiDonato): il déploie une grande maîtrise de l’écriture pour la voix). Il y a chez lui un équilibre entre expérimentation et réception de la part du public. Il recourt d’habitude à plusieurs sources et références, comme la tradition du folk opera, peut-être commencée avec Porgy and Bess (1935). Il utilise le folk à l’américaine pour certains discours ou tirades individuels ou d’ensemble, comme dans l’opéra de Gershwin, mais la base tout à fait vocale est un récitatif arioso permanent devenant parfois hymne, blues, gospel, ballade, voire tentatives de rock juste au moment où Elvis est évoqué.


L’orchestre n’est jamais accablant, mais très souvent de chambre, et souligne la situation dramatique avec sa trame non enveloppante mais très efficace; parfois il est absent avec des silences très expressifs ou des points d’orgue. Le très long silence de l’exécution de Joseph est un moment bouleversant, spécialement après, avec le gospel a capella de Sœur Helen. La proximité de l’icône et de l’événement est importante: aux Etats-Unis l’actualité et l’imaginaire pop entrent dans les nouveaux opéras, pas toujours avec des résultats aussi heureux que chez Heggie: on pense à des titres importants comme Nixon in China (John Adams) ou Harvey Milk (Henry Wallace).


La critique a été divisée; le public pas tant que cela. La critique en forme de récriminations des contraires: les intégrés contre les vieux avant-gardistes; les modernes contre les amateurs du «trop facile». Mais l’émotion vraie provoquée par certaines situations de cet opéra est là, est avérée. En tout cas, l’unanimité s’est faite quant à la qualité du spectacle. Il s’agit d’une production de l’Opéra lyrique de Chicago, et les quatre voix principales proviennent d’Amérique. Joyce DiDonato, formidable mezzo depuis longtemps associée artistiquement à Heggie, incarne de façon inoubliable Sœur Helen, un rôle toujours présent sur scène. Elle est l’âme du drame, son chant et son «théâtre» marquent le sens de tout l’opéra.


Le baryton Michael Mayes, avec sa beauté vocale, sa force dramatique et son émission puissante, nous a troublés à plusieurs moments de son interprétation impressionnante de Joseph De Rocher. La mezzo Maria Zifchak est formidable dans le rôle de sa mère, Mme De Rocher, d’un grand naturel en mère malheureuse d’un malheureux criminel – le naturel, dans l’opéra, est extrêmement difficile à réussir, dans la mesure où il s’agit du moins naturel des genres (à supposer qu’il y ait des genres artistiques naturels). Toujours éclatante, la soprano Measha Brueggergosman, dans le rôle de Sœur Rose, offre un contrepoint de vitalité et apporte quelque goût local, très southern.


Parmi les voix espagnoles, plusieurs présentent un intérêt particulier. Par l’opportunité de ses rôles et l’importance de leur situations, on peut faire remarquer Toni Marsol (formidable en Hart, le père de la fille assassinée) et Roger Padullés (dans le rôle du Père Grenville). Le chœur d’enfants et le Chœur du Teatro Real, très investis dans les situations dramatiques, ont frôlé l’excellence.


La mise en scène de Leonard Foglia est soignée dans le détail, avec une véritable direction d’acteurs et une frappante utilisation du décor polyvalent de Michael McGarty, lui-même fondu dans la vidéo d’Elaine J. McCarthy (des séquences cinématographiques, mais parfois aussi des moments fidèles à la tradition opératique, tirant parti des formidables ensembles de Heggie). La direction de Mark Wigglesworth, mesurée et stimulante, toujours au service des voix et du théâtre, domine le sens dramatique de toute l’œuvre.



Santiago Martín Bermúdez

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com