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Que peut-on faire aujourd’hui avec La Bohème ?

Madrid
Teatro Real
12/11/2017 -  et 12, 14, 15, 17, 18, 19, 20, 23*, 25, 26, 27, 29, 30 décembre 2017, 2, 3, 4, 7, 8 janvier 2018
Giacomo Puccini: La bohème
Anita Hartig*/Yolanda Auyanet (Mimì), Stephen Costello*/Piero Pretti (Rodolfo), Joyce El-Khoury*/Carmen Romeu (Musetta), Etienne Dupuis*/Alessandro Luongo (Marcello), Joan Martín-Royo*/Manel Esteve (Schaunard), José Manuel Zapata (Benoît), Mika Kares*/Fernando Radó (Colline), Roberto Accurso (Alcindoro)
Pequenos Cantores de la ORCAM, Ana González (chef de chœur), Coro titular del Teatro Real (Coro Intermezzo), Andrés Máspero (chef de chœur), Orquesta titular del Teatro Real (Orquesta Sinfónica de Madrid), Paolo Carignani (direction musicale)
Richard Jones (mise en scène), Elaine Kidd (metteur en scène associée), Stewart Laing (décors et costumes), Mimi Jordan Sherin (lumières), Sarah Fahie (chorégraphie)


(© Javier del Real/Teatro Real)


Ce n’est pas maintenant qu’on va découvrir La Bohème, opéra incontestable du répertoire – quelle audace ce serait que de prétendre le contraire! Mais on n’a peut-être pas le courage de contester un titre aussi solidement ancré dans la conscience du public depuis plus d’un siècle.


Les beautés intimes sont l’apanage le plus incontestable de cet opéra dépourvu de conflit, où l’on n’assiste pas à une crise et où l’on se dirige d’emblée vers une catastrophe provoquée par un destin qui n’est pas tragique mais étranger aux situations et aux personnages, la maladie, dont la plus que probable dimension sociale n’est pas suggérée. D’ailleurs, les personnages sont ingénus, naïfs, trop jeunes, trop bons, même Musette, le personnage en apparence le plus réel de cet histoire. On peut dire que ce n’est pas un drame, mais des tableaux de la vie de jeunes aspirants artistes et de leurs fiancées (la bohème bon enfant imaginée) transfigurés par la dramaturgie sublime de la musique.


La banalité du texte devient, entre les mains de Puccini, une suite d’occasions dont le musicien a su tirer profit. Pas toujours, dans la mesure où les scènes humoristiques de la mansarde (les jeunes bohèmes affamés ou morts de froid) sont des tableaux de remplissage un peu énervants. Mais écrire des musiques aussi belles et aussi puissantes pour des séquences telles que la coquetterie de deux jeunes gens en train de flirter («je suis un poète, le saviez-vous?», «J’adore la poésie, justement, et je suis mignonne comme tout»...) est le grand secret d’un compositeur comme Puccini, et il n’est pas le premier. Et le grand tableau du deuxième acte, qui culmine au restaurant avec le beau «thème de Musette»? Et le quatuor de l’acte III? Et la mort de Mimi? – ou, plus exactement, la prise de conscience de la mort de Mimi par chaque membre du groupe, puisque seul un des amis a compris que la quiétude de la jeune fille est le premier déguisement de la mort.


Mais l’ensemble forme un parcours dont le lien est assez ténu. Or, si l’on veut bien prendre tout cela comme des tableaux et si l’on accepte l’émotion proposée par le compositeur, légèrement aidée par le livret, on se trouve déjà dans la peau d’un public ayant ses raisons valables pour installer La Bohème comme un des titres préférés du répertoire. Le cœur a ses raisons... et Puccini s’adresse surtout au cœur.


Ces limites théâtrales de la partition sont autant de défis pour le chef dans la fosse et aussi pour le metteur en scène. Paolo Carignani est un puccinien qui a fait ses armes dans des opéras du maestro de Lucca qui ont «plus de chair», comme Tosca, La fanciulla ou Turandot. Et il a résolu dans la fosse du Teatro Real les temps morts avec la complicité de Richard Jones; il a donné du nerf, du contenu et de la vivacité aux points culminants ou dramatiques que Jones a utilisés ou bien suscités – dans les rapports direction/mise en scène, on ne sait jamais ce qui tient à l’une ou l’autre, et il faut donc considérer le résultat. La mise en scène est belle; on dit que c’est une vision «traditionnelle» – peut-être dans la mesure où il ne s’agit pas d’une mise en scène «moderne» (comme dans une production récente trop exagérée où les peintres et le poètes ne sont pas peintres ou poètes, mais des amateurs de vidéos, hélas!). La mise en scène de Jones n’est pas traditionnelle, mais agile, bien gérée, avec une direction d’acteurs qui manque presque toujours habituellement dans La Bohème. Avec des moments spectaculaires bien réussis, comme le deuxième acte (la scène changeante de Stewart Laing est irrésistible), malgré une tendance un peu «automatique», résolue honorablement grâce aux solistes, spécialement Joyce El-Khoury (Musette), mais aussi le chœur. La vérité et la délicatesse des moments intimes, comme le duo (plutôt, deux airs) de Rodolfo et Mimi, portent aussi le sceau de la meilleure théâtralité.


Richard Jones est l’auteur de productions aussi différentes et aussi transcendantes que Lohengrin et Les Contes d’Hoffmann à Munich, Gloriana à Covent Garden, Peter Grimes à la Scala, Ariodante à Aix et la mise en scène pop et agitée d’ Anna Nicole de Turnage. Sans compter son Wagner. Il semble que Jones n’a pas un système, mais qu’il cherche le code, la clef juste pour chaque pièce, chaque titre. Et il a réussi avec cette Bohème, assez éloignée de sa Bohème pour Bregenz à l’été 2006. Il y a des scènes traîtresses, très souvent parce qu’il ne s’agit pas de vraies scènes, comme le lac et le festival de Bregenz; mais la scène du Teatro Real permet que cette production venue de Covent Garden soit vraiment chez elle.


Le quatuor des rôles principaux a atteint un niveau très élevé. Stephen Costello a un beau lyrisme mais une émission un peu faible, comme s’il s’était réservé pour la fin – une habitude des rôles principaux. Mais s’il l’a fait, il a réussi à construire un personnage dont les forces sont un peu timides. Anita Hartig a été une Mimi modèle, lyrisme et dramatisme en une seule et riche voix limpide – semble-t-il la voix qui a géré et dirigé la distribution. Imposante, la belle voix d’Etienne Dupuis en Marcello. Joyce El-Khoury est une Musette ravissante, un rôle pas facile mais gratifiant si l’on a le sens de la comédie tout comme celui des «tournures» et facéties de la voix. Des deux autres bohèmes, il ne faut pas oublier le sens de la farce et la voix vigoureuse de Joan Martín-Royo. Formidables, les deux chœurs, celui du Teatro Real dirigé par Andrés Máspero, et les enfants de l’ORCAM, de très jeunes chanteurs dirigés par Ana González, qui ont connu leur heure de gloire à l’acte II.



Santiago Martín Bermúdez

 

 

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