About us / Contact

The Classical Music Network

Moscou

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Les canons de la liturgie sous les fleurs de la réjouissance

Moscou
Théâtre Musical Stanislavski
12/01/1999 -  

Théâtre Musical Stanislavski
1er décembre 1999
Quatre-vingtième anniversaire du Théâtre musical Stanislavski.
Prix Casta Diva:
Irina Arkhipova, Olga Gouriakova, Nicolaï Poutilin
Orchestre du Théâtre Stanislavski, Volf Gorelik (direction)

Salle Tchaïkovski
2 décembre 1999
Quatre-vingtième anniversaire de l'Orchestre d'instruments populaires russes Nicolaï Ossipov.
Alexandra Ctrelchenko, Ekaterina Molodsova , Nadejda Koctikova, Nadejda Krigina, Anna Litvinenko, Nelli Lochak, Lilia Mouzaliova, Lioudmila Nicolaïeva, Anatoli Lochak, Viatcheslav Kobzev, Vassili Pianov, Marina Azarenko, Svetlana Botchkova, Valentina , Voronina, Tamara Kortchagina, Veronika Kostikova, Donna Mikhaïolova, Svetlana Tarovitaïa, Olga Tchetoïeva, Oleg Ockolkov, Lolita Italieva, Elena Kozlova, Tamara ; , Kouliabina, Alfia Korotaïeva, Victor Zamockovtsev, Irina Egorova, Ensembles: Babe Leto, Rouskaïa Doucha, Trio Lada, Koupina, Moscovia.
Nicolaï Kalinin (direction)

Pour nous qui cédons parfois à la tentation et aux obligations de la réjouissance ponctuelle en hommage aux événements marquants de notre histoire politique ou culturelle, du Quatorze Juillet au Bicentenaire, du 11 novembre au 8 mai , de Balzac à Chopin en passant par la fête de la musique, rassurons nous et cessons de nous plaindre, nous sommes la discrétion même au regard de la Russie. Encore que nous aurions fort à faire pour démontrer en pleine connaissance de cause l'inutilité de valoriser la notion de patrimoine sous cet aspect parmi d'autres. Une année Pouchkine ayant débuté par une nuit entière retransmise sur la première chaîne de télévision, où, par séquences de quelques secondes attribuées à chacun , passants, ouvriers, militaires, policiers, musiciens, acteurs, vendeurs de légumes, couturières, clochards, conducteurs d'autobus , de métro ou de train ont enchaîné - de Moscou à Vladivostok - des strophes de ses poésies d'un bout à l'autre de son œuvre, voilà qui laisse rêveur tout en laissant imaginer le nombre de manifestations qui se sont déroulées en son honneur dans son pays.

Ce préambule afin de relativiser les bienfaits d'une tradition d'utilité publique héritée du siècle qui touche à sa fin qui consiste à fêter en toutes occasions et en tous lieux les dates anniversaires. Aussi, la musique n'échappe pas à la règle comme en témoignent les programmes de cette semaine à Moscou. Deux cent cinquantième anniversaire de la mort de J.S.Bach, suivie à quelque distance par celle de Mozart, cent soixantième de la naissance de Tchaïkovski, cent quatre-vingt-dixième de celle de Schumann et de Chopin, cent cinquantième de la mort de ce dernier, soixante quinzième de la naissance de Léonid Kogan, sans oublier les quarante ans de la chaire de créativité culturelle de l'Université, et les deux soirées auxquelles j'ai choisi d'assister.

Outre la simultanéité fortuite de leur durée d'existence, ces deux structures ont en commun de pouvoir signifier l'étendue des ressources vocales d'un pays aussi vaste, difficilement perceptibles pour un étranger n'ayant pas l'opportunité ou la volonté d'établir un rapprochement entre la confidence des sentiments sous forme d'expression populaire extrêmement diversifiée suivant les régions et ceux là même dont s'inspire largement la musique savante russe. L'essentiel de cette générosité est conservé dans l'approche du répertoire français ou italien dont les données stylistiques divergent parfois au point de nous donner à ressentir ici et là des exagérations superflues ou véritablement déplacées dans le contexte, mais également des moments de sublimation que trop de pudeur sinon de froideur atténuent.

A l'occasion de la remise d'un prix institué par la ville d'Ekaterinbourg, du genre Oscar du meilleur chanteur d'opéra russe, intitulé "Casta Diva", Irina Arkhipova , l'une des plus éminentes représentantes de l'école russe, a littéralement été canonisée de son vivant par le public auquel elle s'est adressé avec connivence pour lui dire combien elle appréciait son enthousiasme et sa persévérance, en lui précisant au passage que l'argent n'avait jamais compté pour elle, l'ayant toujours distribué, mais que la statue dorée représenterait pour toujours davantage à ses yeux . Après quoi, une simple et tendre interprétation de la Romance de Mignon en guise d'adieu sur la pointe des pieds, en déphasage avec la stature impressionnante de cette grande dame.

La soirée s'est déroulée ensuite à un rythme endiablé, Volf Gorelik se saisissant des extraits d'opéra dans l'élan du déroulement de l'œuvre comme si à chaque fois il la dirigeait en entier, entraînant dans son sillage les deux lauréats des années précédentes : Olga Gouriakova et Nicolaï Poutilin, interprétant en solo ou en duo des airs de Tosca, de la Force du destin, de Mazeppa, d'Othello, de Rigoletto, du Trouvère, de Faust, et de Madame Butterfly. L'enjeu était de taille et permettait de démontrer les qualités respectives de grands professionnels disposés à se rendre d'une scène à l'autre et du jour au lendemain pour incarner des personnages aussi divers. Nicolaï Poutilin, artiste du peuple du Tatarstan et soliste du Metropolitan Opera, avait pris le parti d'assumer tous les risques d'une basse qui se rend sur le territoire des barytons lyriques sans chercher à se ménager le moins du monde, au point d'être parfois à la limite de la tessiture, mais avec l'évident plaisir de donner à entendre et à comprendre à l'aide d'une diction et d'une précision rythmique irréprochables. Quant à sa partenaire, Olga Gouriakova, 28 ans, en dangereuse et rapide ascension due à un ensemble de qualités parfaitement exceptionnelles, habitée par la grâce de l'émotion et éclatante de beauté fragile, qui osera lui conseiller, lorsqu'il en est peut être encore temps, de prêter davantage attention à la conduite de sons qui, sous prétexte d'expressivité, ne doivent pas subir obligatoirement de telles distorsions d'intensité avec les suivants, le plus souvent hors de la battue, au point de perdre le sens du phrasé et de l'intelligibilité, surtout en français.

Etant donné l'ensemble des dons réunis pour atteindre les sommets, il conviendrait qu'elle convienne de s'imposer en ce domaine de très sérieux efforts en dépit des succès prévisibles.
Pour conclure joyeusement ce rendez vous d'airs d'opéras, la troupe du Théâtre Stanislavski au grand complet a tenu à manifester son attachement au metteur en scène Alexandre Titel qui fêtait lui aussi un anniversaire, celui de ses cinquante ans, en superposant, entre autres clins d'œil, des thèmes de Glenn Miller sur les chœurs extraits des contes du Tsar Saltan de Rimsky Korsakov.

Salle Tchaïkovski, le lendemain, le plaisir fut sans mélange car rien ne peut remplacer l'innocence du talent à l'état pur. Venu des plus lointaines des républiques de la Fédération de Russie, Bachkirie, Yakoutie, Komi, et des villes du bord de la Volga, Samara, Oulianovsk, Kostroma, ou encore d'Obninsk et de Voronej, chacun des solistes invités dans la capitale avait préparé de longue date l'unique chanson présentée en compagnie de l'Orchestre National . Voix de flûtiaux acides et puissantes, émotion des choses simples exprimées avec dévotion, catalogue de timbres en pleine adéquation avec la plastique des mots et l'attitude en scène, voilà bien d'où vient la sève dont se nourrissent les plus grands. Quel bonheur, dans ces conditions, d'associer à l'esprit de la fête le rite qui couvre de fleurs chacun des participants à l'issue de sa prestation, à l'opéra comme ailleurs.

Le chef d'orchestre, Nicolas Kalinin, tout de blanc vêtu comme un maître de cérémonie à l'américaine, jouait son rôle fédérateur à la tête d'un orchestre totalement voué à sa mission. Attitude exemplaire qui conduit ses musiciens à rivaliser avec les meilleurs dans d'extraordinaires transcriptions de partitions de musique classique pour ensemble de balalaïkas. Mais ceci est une autre histoire...




Edmond Rosenfeld

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com