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Les alchimies de timbres de György Kurtág

Paris
Cité de la musique
10/17/2017 -  
György Kurtág: ...quasi una fantasia..., opus 27 n° 1 – Poslanija pokojnoj R. V. Trusovoj, opus 17
Salvatore Sciarrino : Gesualdo senza parole – Omaggio a Burri – Il sogno di Stradella

Natalia Zagorinskaya (soprano), Sébastien Vichard (piano)
Ensemble intercontemporain, Matthias Pintscher (direction)


N. Zagorinskaya


«György Kurtág et Salvatore Sciarrino partagent un même sens, profond, de la forme. A l’un, la concentration tenant l’existence en un souffle; à l’autre, la suspension et l’attente inquiète du son», nous dit le programme en avant-propos de ce concert de l’Ensemble intercontemporain (EIC) donné dans le cadre du Festival d’Automne.


Cette «attente inquiète», Omaggio a Burri (1995) la tisonne à un rare degré d’intensité: 11 minutes d’une musique sans concession, confinée dans les textures les plus raréfiées, qu’une flûte alto (Sophie Cherrier), une clarinette basse (Martin Adámek, nouveau membre prometteur de l’EIC) et un violon (Jeanne-Marie Conquer) auscultent avec une précision d’entomologiste. A ce voyage dans l’infiniment petit du son répondent la lumière tamisée de la salle... et un public sous hypnose. Une œuvre qui aurait trouvé sa place dans la programmation du Festival Manifeste 2016 centrée sur l’arte povera, courant dans lequel s’inscrit l’artiste plasticien Alberto Burri (1915-1995).


On sera plus circonspect sur les autres œuvres de Salvatore Sciarrino (né en 1947) données en création française. On ne blâmera pas l’auteur de Lohengrin d’avoir cédé aux blandices d’une muse plus légère; mais on épinglera une certaine paresse dans la réalisation qui se complaît sinon dans le maniérisme («substituer la stylisation au style» disait André Malraux), du moins dans les effets faciles. Ainsi de Gesualdo senza parole pour ensemble (2013), réplique des intermèdes instrumentaux de l’opéra Luci mie traditrici (1998), à cette nuance près qu’il s’agit ici de véritables transcriptions (auxquelles la percussion ajoute sa touche d’incongruité) de madrigaux du compositeur-assassin; ainsi de l’énigmatique Rêve de Stradella (2017) pour piano et instruments, qui convoque davantage Chopin qu’Alessandro Stradella dans cette séquence où, sur les frictions délivrées par l’ensemble instrumental, le piano entonne une danse dont les contours mélodiques rappellent fortement la Mazurka opus 33 n° 4, tonalité de si mineur incluse. Une allusion au demeurant parfaitement intégrée dans le jeu séducteur de Sébastien Vichard.


Avec ses quarante-sept opus, le nonagénaire György Kurtág est à la tête d’un catalogue nettement moins fourni que celui de son cadet italien; mais sans doute peut-il s’enorgueillir de n’y compter aucun déchet. Messages de feu Demoiselle R. V. Troussova, qui fit connaître le nom de Kurtág en Europe occidentale, permet à la soprano Natalia Zagorinskaya – familière de l’œuvre pour l’avoir enregistrée récemment aux côtés de Reinbert de Leeuw (coffret de trois disques ECM) – de déployer toute une palette d’émotions, au diapason des poèmes autobiographiques signés de la poétesse russe Rimma Dalos. De son côté, l’orchestre de chambre agit comme un miroir tour à tour bienveillant ou contrariant de sa psyché, dans un esprit proche du Pierrot lunaire. Le geste très incisif et opulent (dans la première partie) de Matthias Pintscher s’assouplit en cours de route, ménageant quelques superbes échappées solistes, à commencer par le cor impérial de Jens McManama.


Il faut être placé au cœur du parterre afin de goûter pleinement ...quasi una fantasia... pour piano et groupes d’instruments (1988) disséminés autour du public; il faut surtout une écoute concentrée pour percevoir la lente introduction du piano ppppp, une virginale gamme de do majeur descendante d’un relief inédit, où Kurtág donne ici «un sens plus pur aux notes de la tribu». Fin magique, avec percussions, flûtes à bec et harmonicas, alchimie de timbres que seule une oreille hors norme était à même de concevoir.



Jérémie Bigorie

 

 

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