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Gaëlle, sois gentille, au moins répond-nous !

Madrid
Teatro Real
10/11/2017 -  et 12, 14, 15*, 18, 19, 21, 22, 24, 25, 27, 28, 30 octobre 2017, 3, 4, 10, 14, 17 novembre
Georges Bizet: Carmen
Gaëlle Arquez*/Anna Goryachova/Stéphanie d’Oustrac (Carmen). Olga Busuioc*/Eleonora Buratto (Micaëla). Andrea Carè*/Francesco Meli/Leonard Caimi (Don José), Vito Priante*/Kyle Ketelsen/César San Martín (Escamillo), Lidia Vinyes Curtis (Mercédès), Olivia Doray (Frasquita), Jean Teitgen (Zuniga), Isaac Galán (Moralès), Borja Quiza (Le Dancaïre), Mikeldi Atxalandabaso (Le Remendado), Alain Azérot (Lilas Pastia)
Pequenos Cantores de la ORCAM, Ana González (chef de chœur), Coro del Teatro Real, Andrés Máspero (chef de chœur), Orquesta del Teatro Real, Marc Piollet (direction musicale)
Calixto Bieito (mise en scène), Yves Lenoir (reprise de la mise en scène), Alfons Flores (décors), Mercè Paloma (costumes), Alberto Rodríguez Vega (lumières)


On ne peut pas – on ne doit pas – découvrir maintenant ce classique, la Carmen de Bieito. Cela fait dix-huit ans que cette mise en scène, toujours révisée, voyage de par le monde. Finalement, elle est arrivée au Teatro Real de Madrid, au moment où est célébré le vingtième anniversaire de sa réouverture comme théâtre lyrique. Pas trop tôt!


Carmen et son humble blouse; Don José et son uniforme représentant le pouvoir sur la populace de cette ville frontalière. A la fin, le contraire: Carmen habillée avec une sorte d’élégance populaire, un peu trop minette de banlieue, en attendant son toréador; Don José déjà effondré, ayant perdu la position sociale qui attirait Carmen. Bieito dessine très bien un des aspects bien connus de Carmen, la chute, l’avilissement de Don José. Mais il motive pendant toute la pièce ce qui nous semble, très souvent, quelque chose d’abrupt, l’assassinat de Carmen, tuée par un José détrôné. La mort de Carmen, nous l’avons acceptée dans notre inconscient collectif de mélomanes comme quelque chose de naturel, parce que nous l’avons toujours vue mourir des mains de ce bourreau-victime. Mais revoir les classiques signifie les remettre en question. Le drame final est très bien justifié dans cette mise en scène: la violence, la petite et grande corruption des grossiers camarades d’armes, la brutalité de la bande du Dancaïre et du Remendado sont là dès le début, et se prolongent pendant toute la représentation; c’est là qu’on trouve le sens du crime de José, c’est là qu’on nous a préparés pour mieux comprendre la survenance du meurtre dans une communauté où les femmes ne sont que des outils, malgré les protestations de liberté de femmes comme Carmen. Toute la mise en scène de Bieito dépeint un milieu populaire, voire marginal, avec une scénographie minimale et très efficace, et des costumes clairement inspirés de l’imaginaire «mauvais goût» des classes populaires à une époque pas si lointaine: ah, les robes et les shorts de Mercédès et Frasquita! Mais Carmen admet ce côté canaille, tout comme, par exemple, la Manon de Massenet.


Il y avait aussi la question du drapeau. Il faut signaler que, pendant quarante ans, en Espagne montrer le drapeau national en dehors des événements officiels – et encore – était considéré comme déplacé, dans la mesure où le drapeau national, devenu symbole d’exclusion et de répression, avait été avili par l’usage abusif qu’en faisait un dictateur survivant de l’Axe. Mais ces derniers temps, une autre forme abus, celle des nationalistes périphériques, a réveillé ce qui était endormi, enseveli, et les questions relatives au drapeau ont pris un tour un peu trop délicat. Et les représentations de Carmen ont coïncidé avec un moment de crise nationale sans précédent durant les quarante ans de démocratie en Espagne. C’est pourquoi la mise en scène de Bieito, reprise par Yves Lenoir, a renoncé aux quelques moments où le drapeau était maltraité par ceux qui ne respectent rien, même pas le drapeau qu’ils doivent servir. Ce n’est pas Bieito qui est contre le drapeau, mais le drapeau avili a été quelque chose de normal pendant quarante ans de franquisme, un avilissement déguisé en hommage, un drapeau bon pour servir des intérêts bâtards. On connait la version de cette production «sans autocensure» et les changements ne sont pas excessifs – mais peut-être n’était-ce pas le moment.


Enfin, la théâtralité de la mise en scène de Bieito place cette production parmi ses meilleures réussites. On sait que Bieito est un animal de théâtre et que, parfois, il est arbitraire, malpoli, voyou, voire mal à-propos (en tant que metteur en scène, bien entendu). Mais dans cette mise en scène bien connue, et dans d’autres comme son Boris Godounov de Munich, il montre sa véritable qualité d’artiste de la scène. Le soin du détail et le déroulement sans répit sont d’une théâtralité où l’action se déroule sans le moindre vide, et il est impossible de s’y ennuyer une seconde.


Pour la quatrième des dix-huit représentations prévues, il semble qu’on ait eu la chance d’entendre un chef plus à l’aise, un orchestre ayant plus travaillé, des tempi pas trop contrariés, des nuances plus colorées... Il paraît parfois opportun de rater la première, où il y a souvent un public qui découvre, maintenant, presque vingt ans après, le caractère intolérable de la proposition de cette Carmen. Et qui proteste. Mais en ce 15 octobre, le public avait semble-t-il mieux compris.


En outre, si l’on n’a pas vu deux des trois Carmen à l’affiche, on a assisté aux débuts de Gaëlle Arquez dans ce théâtre, dans ce rôle. Ella l’avait chanté à Bregenz, mais maintenant elle l’a fait dans un théâtre – pas entourée d’une grande piscine. Et le résultat a été un succès par la construction du personnage d’un point de vue vocal et théâtral; une voix claire, souvent comme une soprano, mais sombre dans le bas de la tessiture. La voix de Gaëlle Arquez, dont on aurait dit il n’y a pas si longtemps qu’elle était faite pour le baroque (son Monteverdi, son Haendel), pour le classicisme (son Mozart), voire le belcantisme tardif (son Rossini), brille dans le rôle beau et convoité de la gitane hardie, enjôleuse, dévastatrice, sympathique, suicidaire... Grand succès pour Gaëlle Arquez pour ses débuts au Teatro Real!


Autre chanteuse spécialement remarquable, la soprano moldave Olga Busuioc, une des deux Micaëla à l’affiche pour cette fête de dix-huit représentations. Certes, dans la vision de Bieito, ce n’est pas tout à fait la Micaëla prude et un peu mièvre qu’on connaît, mais pas non plus l’opposé (une erreur dont le rôle est parfois victime ici ou là). Cette Micaëla est une femme courageuse, tout comme l’action nous permettrait de le voir si nous n’étions pas aveuglés par la tradition: une femme qui vient de Navarre à Séville au XIXe siècle! Et toute seule! Une femme qui arrive dans le gouffre des contrebandiers – ici, on a supprimé le dialogue et on va directement à l’air, peut-être pour des besoins de cohérence avec l’action théâtrale de cette production. La voix claire et douce de Busuioc, son lyrisme, sa finesse, ses nuances belcantistes, tout cela nous a donné une Micaëla d’exception.


Andrea Carè est un Don José théâtralement réussi, et en plus il résout les difficultés – les pièges – du rôle d’une façon habile et appropriée, comme dans le cas de «La fleur que tu m’avais jetée», un air dont certains passages sont d’une extrême difficulté. Vito Priante, qui a joué le même rôle dans la même production à Venise en avril dernier, est un Escamillo plus «populaire» que d’habitude, un peu plus canaille, et sa voix n’est pas privilégiée, mais elle est très bien gérée pour cette vision du rôle, que Priante domine largement. Olivia Doray, Lidia Vinyes Curtis, Borja Quiza et Mikeldi Atxalandabaso sont les quatre de la bande – sympas, escrocs, frôlant la prostituée et le maquereau, bien en voix, d’une théâtralité agile, fougueuse. Ils ont ici un renfort: le rôle muet de la fille de Mercédès, une gamine engagée par Bieito comme image de l’innocence dont l’avenir n’est pas très heureux, et qui partage déjà le témoignage des abus, du comportement déviant du groupe auquel elle appartient indéfectiblement.


Jean Teitgen en Zuniga et Isaac Galán en Moralès complètent une distribution d’un très bon niveau. Et il ne faut pas oublier le Lilas Pastia – quel nom pour un tavernier de Séville, ma foi! – conçu par Bieito comme une sorte de maître du théâtre des pantins, ici interprété par Alain Azérot, tout en séduction et sympathie. Marc Piollet et l’orchestre ont passé l’examen avec succès après les critiques de la première. Les deux chœurs ont été formidables: le chœur titulaire du Teatro Real, dirigé par Andrés Máspero et le Chœur d’enfants de l’ORCAM, dirigé (de mieux en mieux) par Ana González.



Santiago Martín Bermúdez

 

 

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