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Pianiste pour pianistes

Gijon
Teatro Jovellanos
08/17/2017 -  
Ernesto Lecuona : La Comparsa – Danza Lucumi
Ignacio Cervantes : Los tres Golpes – Amistad – Tiene que ser – La Carcajada
Franz Schubert : Sonate n° 23 en do mineur, D. 958
Ludwig van Beethoven : Sonate n° 6 en fa majeur, opus 10 n° 2
Serge Rachmaninov : Prélude en si mineur, opus 32 n° 10 – Etude-Tableau en la mineur, opus 33 n° 6
Claude Debussy : Préludes (Premier Livre): «La Sérénade interrompue» – «Les Collines d’Anacapri»
Alexandre Scriabine : Sonate n° 4 en fa dièse majeur, opus 30

Misha Namirovsky (piano)


(© Stéphane Guy)


Le festival de piano de Gijón n’est pas vraiment un festival au sens où nous l’entendons en France. Il s’agit plutôt de cours d’interprétation permettant, en marge de leur formation dans un cadre agréable et accueillant, à de jeunes pianistes du monde entier de se produire en divers lieux de la ville. Les professeurs ont de leur côté l’occasion de s’exprimer lors de concerts au théâtre de la ville de Gijón comme ConcertoNet a déjà eu l’occasion de le constater en 2011, 2012 et 2013.


Le dix-huitième festival ne déroge pas cette année au schéma traditionnel. On a ainsi pu écouter, le 14 août, une demi-douzaine de jeunes pianistes sur la cinquantaine présente à Gijón lors du «marathon» offert de dix heures à vingt-deux heures devant le théâtre, à l’air libre, devant quelques chaises plus ou moins occupées et des passants plus ou moins attentifs. Œuvres et interprètes, souvent d’origine asiatique, étaient très rapidement présentés par la directrice exécutive du festival, Amy Elisabeth Gustafson, elle-même pianiste et enseignante américaine. Du point de vue musical, c’était évidemment plutôt désastreux: piano-casserole sonorisé, clochard probablement imbibé de cidre hurlant à côté, véhicule de nettoyage loupant de peu le piano, gosses mal élevés jouant alentour, vieilles dames poursuivant leur conversation chemin faisant, comme gênées par le piano situé sur leur parcours... Il y avait de quoi fermer brutalement le piano et fuir. Pourtant, on a pu apprécier la disponibilité et l’extrême concentration de ces jeunes, jouant un ou deux morceaux de mémoire, dans un tel contexte. C’est sans doute très formateur... Et leur niveau technique est apparu souvent remarquable. Une très jeune Espagnole, petite de taille de surcroît, a par exemple pu impressionner dans Liszt et une étude de Chopin. A l’évidence, il y a parmi ces jeunes de forts potentiels. C’est réconfortant.


La plupart de ces élèves se retrouvaient naturellement dans la salle du Théâtre Jovellanos pour le concert d’un de leurs professeurs, Misha Namirovsky, pianiste américain d’origine russe. Ici, comme souvent aux Asturies, il était difficile avant le concert de prendre connaissance des œuvres programmées: aucun programme n’était diffusé auparavant; aucune affiche ne les précisait; le Théâtre Jovellanos les ignorait; le jour du «marathon», il était impossible de les connaître; la presse elle-même (La Nueva Espana ou El Comercio) n’en disait mot. Il fallait donc être singulièrement curieux... au prix de vingt euros la place.


On ne s’étonnera donc pas que le concert ait été donné dans une salle fort peu remplie, hormis bien entendu les élèves du festival, la ville d’Oviedo, à moins de trente kilomètres, organisant de surcroît au même moment un concert du Nacht Trio au Musée archéologique, la non-coordination entre les programmations musicales des deux grandes villes des Asturies étant de rigueur. Le pianiste, jouant donc essentiellement pour d’autres pianistes, vagabonda néanmoins de façon assez remarquable entre plusieurs univers sonores, sans aucune partition sous les yeux. Le public disposait enfin quant à lui pour le suivre d’une liste d’œuvres, malheureusement non exempte d’erreurs...


Le pianiste débuta tout d’abord par un apéritif des plus plaisants: quelques danses cubaines, finalement bienvenues dans une ville où l’émigration vers Cuba fut assez importante. Misha Namirovsky se garde bien d’en faire trop dans ces pages aux déhanchements charmants où l’insouciance n’est pas loin d’une certaine ironie. On apprécie notamment l’articulation du pianiste dans les pièces d’Ignacio Cervantes (1847-1905) et son énergie dans la Danza Lucumi d’Ernesto Lecuona (1895-1963).


Le changement de climat est total avec l’imposante Sonate D. 958 (1828) de Franz Schubert (1797-1828). La perfection technique est d’emblée évidente. Misha Namirovsky ne frappe jamais et la variété de son toucher permet d’obtenir de superbes couleurs, notamment dans le deuxième mouvement, Adagio, où il déploie un chant magnifique, de plus en plus dense au demeurant, avec de belles notes piquées à la main gauche. Dans l’Allegro final, il est toujours aussi sûr malgré les nombreux croisements de mains et l’on termine sur une note d’optimisme communicatif, imaginant un enfant plein de joie de vivre sautillant. Tout au plus, pourra-t-on regretter que la main droite de l’artiste, si aérienne, ait été parfois évanescente.


Dans la Sixième Sonate (1798) de Ludwig van Beethoven (1770-1827), Misha Namirovsky manque peut-être de fermeté, notamment dans les aigus mais sa virtuosité parfaitement maîtrisée est éclatante dans le Presto final. Il est encore plus à son aise avec le Prélude en si mineur (1910) de Serguei Rachmaninov (1873-1943), joué sobrement tout en n’empêchant pas les cloches de sonner à toute volée, et l’Etude-Tableau en la mineur (1911) du même compositeur, où il se joue sans problème des difficultés techniques.


Curieus-ement, il embraye sans aucune pause toutes les pièces suivantes. Les Préludes (1910) de Claude Debussy (1862-1918) paraissent alors d’une singulière modernité alors qu’ils datent de la même époque que les pages précédentes. Le pianiste a tendance à écraser un peu les graves dans la «La Sérénade interrompue» mais «Les Collines d’Anacapri» sont de toute beauté. Il achève son récital, décidément très copieux, par une excellente interprétation de la Quatrième sonate (1903) d’Alexandre Scriabine (1872-1915), pleine de couleurs et d’étrangeté. Le Prestissimo est vraiment remarquable et le pianiste semble s’y lâcher un peu.


Après quelques applaudissements, trop peu nourris à notre sens, le pianiste dit simplement: «Rachmaninov» et offre immédiatement en sus de son programme le Cinquième des Préludes de son Opus 32, déjà entendu deux fois dans le même théâtre et le même cadre. La musique russe semble bien être son domaine de prédilection et il la joue admirablement bien. Le retour des lumières annonce ensuite malheureusement brutalement le signal du départ. C’était bien un récital à ne pas manquer et il est donc très regrettable de ne pas en avoir assuré un plus grand écho médiatique et un plus grand succès public.


Prochains concerts d’artistes invités, sans évidemment de précisions sur les programmes: Soyeon Kate Lee le 23 août et Frederic Chiu le 24 août, ce dernier pour, selon les propos du directeur artistique du festival au début du concert, une «joute» – idée parfaitement saugrenue – entre Prokofiev et Debussy (qualifié de «caramel mou» par Prokofiev) au terme de laquelle le public devrait être amené à désigner un vainqueur... Parions sur la victoire des chars (soviétiques).


Le site du festival de Gijón



Stéphane Guy

 

 

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