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Sur les traces de Carlo Maria Giulini

Monaco
Monte-Carlo (Opéra)
04/21/2017 -  et 24, 27, 30* avril 2017
Giuseppe Verdi : Il trovatore
Maria Agresta (Leonora), Francesco Meli (Manrico), Marina Prudenskaja (Azucena), Nicola Alaimo (Il conte di Luna), José Antonio García (Ferrando), Karine Ohanyan (Ines), Christophe Berry (Ruiz)
Chœurs de l’Opéra de Monte-Carlo, Stefano Visconti (chef des chœurs), Orchestre philharmonique de Monte-Carlo, Daniel Harding (direction musicale).
Francisco Negrin (mise en scène), Louis Désiré (décors et costumes), Bruno Poet (lumières)


(© Alain Hanel)


On connaît la boutade prêtée à Caruso: «Pour Il trovatore, tout ce qu’il faut, ce sont les quatre meilleurs chanteurs du monde». Et force est d’admettre que Daniel Harding lui a donné tort tant la qualité de sa direction orchestrale, essentielle dans ce répertoire, lui a permis de «mener le bal» en imposant une lecture mélancolique du chef-d’œuvre de Verdi. Adieu, donc, le roman de cape et d’épée et vive une battue assez lente aux accents crépusculaires visant à souligner le moindre contrechant et les clairs-obscurs de la partition dans la lignée de ce que fit, jadis, Carlo Maria Giulini.


Et ce fut tout à l’honneur des chanteurs d’avoir su trouver des trésors de souffle pour habiter ces tempi inhabituellement larges même si le vainqueur à l’applaudimètre fut, sans conteste, le Luna très incarné de Nicola Alaimo qui déchaîna les passions en tenant vaillamment des aigus meurtriers sans pour autant négliger son art de la mezza voce. Face à lui, le Manrico de Francesco Meli, qui avait déjà donné la réplique à Anna Netrebko dans Le Trouvère de Salzbourg en 2014, multiplia les nuances en voix mixte tout en déployant un mordant idéal dans les passages plus dramatiques. Seule petite réserve: un «Di quella pira» sans reprise et à l’aigu final défaillant.


En revanche, la Leonora de Maria Agresta laissera un sentiment plus mitigé dans la mesure où cette belle artiste ne maîtrise pas idéalement les codes belcantistes de sa partition. C’est ainsi que les vocalises et les trilles meurtriers du célèbre «D’amor sull’ali rosee» furent souvent approximatifs et nul doute que sa prochaine Desdémone, face au premier Othello très attendu de Jonas Kaufmann à la ROH, conviendra mieux à son profil de soprano lyrique. Mention spéciale enfin pour l’Azucena très stylée de Marina Prudenskaja dont l’homogénéité des registres et la science du legato firent merveille.


Le reste de la distribution, à l’exception du Ferrando un peu engorgé de José Antonio García, n’appelle que des éloges avec l’Inès, très belle de timbre, de Karine Ohanyan et le Ruiz élégant de Christophe Berry. Quant aux chœurs de Stefano Visconti, ils firent preuve de leur netteté d’articulation habituelle en dépit de décalages furtifs dans la cavatine de Luna.


Enfin, la mise en scène très dépouillée de Francisco Negrin oppose intelligemment le radicalisme religieux de l’Espagne moyenâgeuse, symbolisé par une croix chrétienne au néon aveuglant, à la lutte contre le fanatisme, incarnée par l’apparition épisodique d’une croix de Lorraine, jadis emblème de la «France libre» contre la folie nazie. Dans ce contexte, le décor unique de Louis Désiré, représentant une immense arène inclinée à la couleur gris-anthracite sur laquelle vient se poser occasionnellement un immense cône destiné à couper les héros d’un monde extérieur hostile, joue parfaitement son rôle oppressant. Et ce d’autant plus que les multiples niches encerclant ce dispositif ingénieux permettent de mieux cerner les expressions terrorisées des choristes, tantôt tsiganes, tantôt soldats, autant de marionnettes impuissantes devant la violence d’un spectacle digne d’une tauromachie. Obsession de la mort renforcée d’ailleurs par l’omniprésence de la «grande faux» brandie par le squelette rougeoyant de la mère d’Azucena ou la silhouette innocente d’un enfant endoctriné.


A cette double obsession de l’intolérance et de la mort se superpose, ici, celle de la mémoire empêchant les protagonistes de conjuguer leur vie au présent, à l’image de cette scène finale montrant Azucena, encordée au spectre de sa mère comme à un cordon ombilical qu’elle serait incapable de couper. Autant d’éléments synthétisés dans une interview récente que Francisco Negrin conclut en ces termes: «Les erreurs que nous commettons en refusant de vivre notre présent librement, se répètent comme les refrains des ballades des trouvères».


Refrains qui furent, à quelques réserves près, magnifiquement interprétés par des chanteurs et, plus encore, un chef de premier ordre.



Eric Forveille

 

 

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