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Musiques d’affects

Baden-Baden
Festspielhaus
04/15/2017 -  et 9, 10, 11 mars 2017 (Berlin)
Sir Edward Elgar : Concerto pour violon en si mineur, opus 61
Piotr Ilyitch Tchaïkovski : Symphonie n° 5 en mi mineur, opus 64

Pinchas Zukerman (violon)
Berliner Philharmoniker, Zubin Mehta (direction)


Z. Mehta, P. Zukerman (© Monika Rittershaus)


A tout juste 24 heures d’intervalle, les différences de sonorité de l’Orchestre philharmonique de Berlin sous les baguettes respectives de Zubin Mehta et Simon Rattle est vraiment frappante. Avec une battue précise mais plus enveloppante, qui privilégie davantage des respirations harmonieuses, Mehta paraît moins continuellement interventionniste que son collègue britannique, volontiers enclin à forcer le trait en écrasant les nuances. Le résultat est peut-être un peu moins précis mais la musicalité de l’ensemble nettement plus agréable : réapparaissent des sonorités soyeuses et même capiteuses, une aération entre les pupitres, voire un art de jouer en s’écoutant mutuellement, qui auparavant nous avaient assez souvent manqué au cours de ce Festival de Pâques. Aucune frustration ce soir, mais l’impression de vivre continuellement des moments d’orchestre magiques : un caractère festif qu’une luxueuse manifestation de ce type se devrait pourtant de ne jamais perdre de vue.


L’interprétation du Concerto pour violon d’Elgar, choix de programme tout sauf évident, au moins en terre non britannique, bénéficie beaucoup de l’impression de complicité amicale que dégage le binôme Pinchas Zukerman/Zubin Mehta. Un compagnonnage de près de 50 ans unit ces deux musiciens, dont les carrières se sont croisées à d’innombrables reprises, y compris pour ce Concerto d’Elgar, partition tellement bien maîtrisée conjointement que chacun des deux semble connaître par cœur, voire pouvoir anticiper les gestes de l’autre. La sonorité du violoniste israélien a conservé l’essentiel de sa fermeté et sa finesse : un timbre moins nourri que celui d’Itzhak Perlman, autre complice de toujours, mais une noblesse altière qui reste intacte malgré les années qui passent. Et l’élan de Zubin Mehta, d’une juvénilité étonnante pour un à présent octogénaire, soutient magnifiquement les phrases exaltées de ce concerto mystérieux, probable déclaration d’amour du compositeur à une égérie dont l’identité exacte reste hypothétique. Elgar aurait dit de cette œuvre “It’s good! Awfully emotional – too emotional! But I love it!”. Une émotion transmise ce soir avec une intensité particulière, sans aucune sensation de longueur malgré une durée hors normes pour un concerto (près de 50 minutes).


En seconde partie, un autre massif bien difficile à maîtriser: l’hétérogène Cinquième Symphonie de Tchaïkovski, curieux mélange d’épanchements sentimentaux et de thèmes de ballet, structuré par la récurrence d’un thème cyclique qui reste pour nous l’une des inspirations mélodiques les plus prosaïques du compositeur russe. Jusqu’ici on n’entrevoyait qu’une seule solution pour réussir ce parcours : limiter la guimauve au strict minimum en privilégiant l’avancée inexorable, noirceur et dramatisme finissant en ce cas par structurer l’ensemble avec une certaine cohérence. Les grandes versions russes de cet acabit, signées Mravinsky, Svetlanov ou aujourd’hui Gergiev, nous semblent en effet magnifier tout ce que cette symphonie comporte de tensions effrayantes, en éludant prudemment les passages où le soufflé risque de retomber dans les flonflons. C’est dire qu’avec Mehta, connu pour une approche de Tchaïkovski très différente, voire d’un goût assez difficilement défendable par le passé, on ne s’attendait pas forcément à être convaincu. A tort, car cette interprétation, même plus détendue, voire un peu vagabonde, joue d’autres cartes : une sorte de riche kaléidoscope d’émotions et d’affects, baignant dans une emphase cyclothymique en définitive typiquement russe. La splendeur des pupitres berlinois suffit dès lors à rendre passionnantes chacune des étapes de ce périple hyperémotif, alternance de passages d’exaltation et de prostration. Inoubliable en particulier l’Andante cantabile, avec son tapis crépusculaire de cordes puis le tendre rayon de lune de son long solo de cor, interprété par un Stefan Dohr en état de grâce. Des moments de temps suspendu, où l’art de l’orchestre symphonique confine à une irréelle perfection.



Laurent Barthel

 

 

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