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Au marteau et à la truelle

Baden-Baden
Festspielhaus
04/09/2017 -  et 12 avril 2017 (Salzburg)
Gustav Mahler : Symphonie n° 6 en la mineur « Tragique »
Berliner Philharmoniker, Sir Simon Rattle (direction)


(© Monika Rittershaus)


Mahlérien passionné de longue date, Simon Rattle dirige volontiers l’intimidante Sixième Symphonie, dont la démesure et les multiples défis semblent le motiver particulièrement. Le chef britannique a par exemple programmé cette symphonie-fleuve lors de son tout premier concert avec les Berliner Philharmoniker, en 1987. Plus récemment on le retrouve encore aux prises avec cette même Sixième à Philadelphie en 2016, puis en tournée avec le London Symphony l’hiver dernier... Comme si la confrontation entre Rattle et un grand orchestre devait forcément passer à un moment donné sur ce terrain-là, champ de toutes les gageures.


Avec les Berliner Philharmoniker, Rattle paraît en tout cas considérer que le challenge ne pose aucun problème, au point d’y lancer l’orchestre sans guère de répétition détaillée préalable. En l’occurrence ce concert du Festival de Pâques de Baden-Baden vit essentiellement sur les acquis d’une résidence des berlinois dans la Ruhr en février dernier, où cette Sixième était déjà au programme. Une confiance imprudente, car les musiciens berlinois sont loin de posséder la réactivité immédiate et la souplesse de leurs homologues londoniens. Avec pour résultat, en cette fin d'après-midi printanière, un premier mouvement qui se cherche, des premiers violons au timbre désagréablement acide et qui ne parviennent pas à jouer leurs traits parfaitement ensemble, de fréquents défauts de simultanéité d’attaque aussi dans la petite harmonie... Rattle semble surtout préoccupé d’obtenir un impact maximal pour chaque entrée instrumentale, mais il est frappant de constater à tel point pendant que le chef se tourne d’un côté pour stimuler isolément un groupe de pupitres, l’édifice vacille immédiatement de l’autre côté. A l’issue de cet inquiétant Allegro energico, on se demande si on ne va pas de nouveau assister à un concert indigne de la réputation, et des berlinois et de leur festival badois, comme l’était leur Neuvième Symphonie de Beethoven l’an dernier.


Heureusement survient la pause relative de l’Andante, que Rattle préfère placer en seconde position dans cette symphonie (Mahler lui-même a longuement hésité sur l’ordre, avant d’opter pour la succession inverse, Scherzo puis Andante). Un moment de détente où davantage d’air circule et les timbres s’individualisent mieux, mais malheureusement le répit est de courte durée, puisqu’il faut ensuite s’exposer à l’enchaînement du Scherzo et du très long Final, surcharge indigeste et à notre avis inappropriée (Mahler avait vraisemblablement raison), surtout dans une conception qui va aussi peu dans les détails au profit d’une constante et simpliste exigence d’avancée inexorable. Avec un effectif aussi lourd (tous les bois par cinq, donc un niveau entier pour flûtes et hautbois, un autre pour clarinettes et bassons, un énorme arc de cercle de cuivres, dont huit cors parfaitement astiqués...), la machine berlinoise écrase tout sur son passage, les variations de dynamique possibles semblant exclusivement dépendre du nombre d’étages impliqués simultanément dans la mêlée. Que tout cela soit (surtout du côté des cuivres, car le reste est souvent noyé), d’une imperturbable perfection instrumentale, jamais prise en défaut, à l’image d’une trompette et d’un cor solo d’anthologie, rend encore plus frustrante cette impression d’exécution agglomérée à la truelle.


Que la gesticulation du chef semble aussi rarement préoccupée de modérer l’ardeur de ses troupes, au point qu’à la fin, après 80 minutes d’exposition à ce chaudron sonore, on sort du concert en souffrant d’une véritable fatigue auditive (et de loin pas seulement à cause des deux coups de marteau du dernier mouvement, assénés ici par le percussionniste avec un engin d’une taille colossale), ne laisse pas d’étonner. Mais on ne peut sans doute pas mieux faire dans une œuvre pareille sans avoir plus longuement et surtout plus fraîchement répété. Même des musiciens d’élite ne peuvent pas tout contrôler en même temps, surtout s’ils restent le nez dans leur partition, trop absorbés par leur déchiffrage pour écouter ce que font leurs voisins. Avec quatre représentations de Tosca, et quatre programmes de concert différents, plus toute une galaxie de concerts de musique de chambre, se pose à nouveau pour ce Festival de Pâques 2017 la question d’une évidente surcharge, pour des être humains qui ne peuvent pas compter indéfiniment sur leurs seuls réflexes. Et comme si cela ne suffisait pas, on note que cette année, les Philharmoniker ont trouvé le moyen d’organiser en plus... une petite visite au Festival de Pâques de Salzbourg (!) entre deux représentations de Tosca, histoire d’alourdir encore davantage un agenda démentiel. Mais espérons qu’au moins la Sixième de Mahler donnée là-bas puisse bénéficier de l’expérience tonitruante de ce concert de Baden-Baden, à considérer en ce cas plutôt comme une répétition générale...



E. Nikitin, K. Opolais (© Monika Rittershaus)


Le contraste est net avec les représentations de Tosca, qui ont bénéficié quant à elles d’un minutieux travail musical. Pour ses premières armes dans un ouvrage qu’il n’avait jamais dirigé, Simon Rattle adopte un parti pris ouvertement symphonique, ancré sur des basses particulièrement pugnaces (les fabuleuses contrebasses berlinoises sont à l’œuvre), mais sans renoncer pour autant à la mise en valeur de multiples détails. Ne manque encore à cette lecture qu’un peu plus d’efficacité dramatique, en particulier dans l’accompagnement des voix, qui devraient se trouver davantage portées par le mouvement d’ensemble. De ce côté-là le plateau est de toute façon anormalement faible, hormis le Cavaradossi solaire de Marcelo Alvarez, prototype de grande voix italienne à laquelle aucune prouesse n’est impossible. Le Scarpia d’Evgeny Nikitin, trop raide, ne parvient à terminer le second acte qu’au prix d’une fatigue patente. Et si Kristine Opolais, d’une élégance phénoménale dans ses deux costumes rouge vif, possède un physique idéal pour le rôle de Tosca, sa voix un peu émaciée dans le médium et ses aigus justes mais sans charisme ne lui permettent pas d’exprimer grand chose des affres du personnage. Philipp Himmelmann, qui avait déjà en grande partie raté une production de Tosca sur la Seebühne de Bregenz, ne se rachète guère dix ans plus tard, malgré quelques visions originales. L’idée de faire se dérouler toute l’action sous un régime totalitaire de notre temps, surveillé par une armée de clones du personnage de Scarpia, est intéressante, a fortiori dans l’inquiétant contexte politique international actuel, mais à part quelques moments choc (le tableau glaçant du Te Deum, ou le début du II, devant un mur d’images où se projettent toutes les caméras de surveillance du pays), la mise en scène tourne court faute de renouvellement. Là encore sans doute par manque de travail, le degré de maturation du projet ayant été jugé suffisant alors qu’il reste à l’état d’ébauche. Rien d’indécent, mais à ce niveau de festival international on a le droit de trouver la proposition trop congrue.



Laurent Barthel

 

 

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