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De la question des emplois fictifs dans les théâtres lyriques

Paris
Théâtre des Champs-Elysées
06/18/2001 -  et 20, 21 juin 2001
G.F Haendel : Tamerlano


Monica Bacelli (Tamerlano), Thomas Randle (Bajazet), Elizabeth Norberg-Schulz (Asteria), Graham Pushee (Andronico), Anna Bonitatibus (Irene), Antonio Abete (Leone)
Jonathan Miller (mise en scène), Judy Levin (costumes)
The English Concert, Trevor Pinnock (dir.)

Un bonheur : un opéra de Haendel (on ne comprendra jamais pourquoi, encore aujourd’hui, il est aussi peu estimé), c’est-à-dire quelques trois heures de musique enthousiasmante.
Une question : qui rejaillit sur la musique, en tout cas sur son essence dramatique, puisqu’il s’agit quand même ici de scène : où est le metteur en scène ? Virtuellement absent. Peut-être à cause du calcul des décalages horaires. Il ne s’agit plus de minutes, voire de quelques heures. Non : quelques centaines d’années. Tant pour la non-mise en scène que pour le « décor » - ah bon c’est un décor ? Et Bibiena, qu’est-ce que c’est alors, de la science-fiction ? Une fois de plus non ! Ca ne passe pas et ça ne passera pas. Le public est pris pour un idiot - ce qu’il était peut-être, d’ailleurs, ce soir là : applaudissement irritants et systématiques après chaque air. Nous disions donc, non-mise en scène. Mais comment est-il possible d’évacuer encore plus la mise en scène que dans une version de concert ? Le concepteur de cette soirée en a le secret. Les participants sont pourtant contents d’être là, ils y mettent du leur : mais justement, il n’y a pas de place pour le soi. Non seulement la direction des acteurs-chanteurs et la mise en scène sont inexistantes, mais en plus néfastes, elles coupent toute velléité de drame, et même de scène, tout simplement. L’essence du théâtre, enfin ! Quand l’ascèse est supposée coller à Haendel … Alors pour Tamerlano, on repassera, car la révolution quasi « copernicienne » provoquée, dans le domaine de l’opéra du XVII° - XVIII°, par des chefs tels Marc Minkowski est restée lettre morte pour cette production. Il n’y a pas de Tamerlano, et pas plus du côté de la voix elle-même de Monica Bacelli : faible, peu de projection, aucune hargne dans le « A dispetto », tout au plus une ritournelle de chien dressé. Car on essaye de le dresser, cet opéra. Pour qu’il rentre dans l’absence, et sorte de la scène. Drame en chambre aseptisée. Peut-être qu’on pourrait attraper un encéphalite dramatiforme ? Alors, s’il vous plaît, pas trop de sensations, juste ce qu’il faut pour une petite soirée huppée et « charmante ». Tamerlano n’est donc plus un valeureux et terrifiant prince guerrier, mais une petite icône virtuelle et musicale qui réconforte, comme celle des téléphones portables. Surtout pas de vent, celui de la tempête Haendel. Pas de violence, pas de méchanceté. On s’excuserait presque de traduire et surtitrer un opéra qui parle de tyran, de viol, de masochisme, de tentative assassinat, d’humiliation, de mort violente (suicide). Exit les jouissances noires de cette pièce strictement contemporaine du Giulio Cesare in Egitto. Le metteur en scène est-il fictif ? Efficacité fictive pour mise en opéra fictive. Un comble pour un lieu de théâtre … Un Tamerlano gentillet, un Bajazet piètre comédien, un Bajazet qui n’est pas fou dans sa magnifique et inouïe scène de folie, inspirée à Haendel par Borosini, le Bajazet de la création londonienne. Ecoutez Nigel Robson dans la version « live » de John Eliot Gardiner ! (captée à Cologne, en juin 1985 et éditée chez Erato). Avec Miller, et les chanteurs, pas plus de Bajazet que de Tamerlano. Voyons la suite. Andronico était un rôle tenu (lors de la création) et écrit pour Francesco Bernardi, célèbre encore aujourd’hui sous le nom de Senesino, un des plus grands castrats européens. Toute la première partie lui est presque consacrée. On se souvient toujours de Senesino, mais on a déjà oublié Graham Pushee au timbre instable, ingrat et au legato douteux. Dans cette production, on a les deux moyens pour pallier le défaut de castrat : une femme, mezzo (Tamerlano), un countertenor (Andronico). Mais on a aussi deux échecs : une femme sans puissance, et un countertenor moyen. Résultat pour les deux grands rôles : néant ! On pense en vain à ce que pourraient faire de grande contraltos ou mezzos. Les aléas de la distribution … au moins ils sont là - pas d’emploi fictif . Si les grands ne brillent pas (ils sont pourtant, aussi fait pour cela), les « seconds » rôles sont excellemment tenus par une Elizabeth Norberg-Schulz au timbre royal et à l’interprétation nuancée, une Anna Bonitatibus qui campe avec énergie et aplomb une Irène comme on aimerait en voir souvent. Encore faut-il signaler la relative unité du plateau quand au projet musical, unité que l’on retrouve dans l’orchestre, et qui est une des spécialités reconnues de Trevor Pinnock qui sauve presque l’absence de drame par l’interprétation plus qu’honorable de la partition : même si l’orchestre ne sert pas toujours le drame, il est parfait de son et de finesse d’un bout à l’autre. Autre point à noter, important : chaque reprise des airs da capo fait l’objet d’ornementations - pratique pas si courante malgré sa célébrité. Cette logique musicale n’a en aucun cas influencé une logique de représentation puisque toute les scènes se passent dans une cour royale dont les seuls acteurs sont les chanteurs. L’ascétisme va même jusqu’à attaquer le cerveau … Mais non ! c’est du minimalisme. Pardon, de l’Art. Pas celui de 1724, du King’s Theatre, mais on s’en moque après tout. C’est nous qui sommes importants, pas le style, pas l’histoire, rien. Nous. A quand un Bollack de la mise en scène ? Ca suffit, cette idiotie là qu’on veut nous faire prendre pour de l’art. Elle nous tue, cette démocratie de la médiocrité. Elle nous fatigue et c’est dommage pour certains chanteurs, pour Trevor Pinnock, qui ne méritent pas forcément cela. Dommage surtout pour l’immense Tamerlano de Haendel. Opéra sur l’honneur. On lui en a manqué.






Frédéric Gabriel

 

 

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