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Così fa De Keersmaeker

Paris
Palais Garnier
01/26/2017 -  et 28*, 31 janvier, 4, 7, 10, 13, 16, 19 février 2017
Wolfgang Amadeus Mozart : Così fan tutte, K. 588
Jacquelyn Wagner*/Ida Falk-Winland (Fiordiligi), Michèle Losier*/Stephanie Lauricella (Dorabella), Frédéric Antoun*/Cyrille Dubois (Ferrando), Philippe Sly*/Edwin Crossley-Mercer (Guglielmo), Paulo Szot/Simone Del Savio (Don Alfonso), Ginger Costa-Jackson*/Maria Celeng (Despina), danseurs de la Compagnie Rosas: Cynthia Loemij (Fiordiligi), Samantha van Wissen (Dorabella), Michael Pomero (Guglielmo), Julien Monty (Ferrando), Marie Goudot (Despina), Bostjan Antoncic (Don Alfonso)
Chœurs de l’Opéra national de Paris, Alessandro Di Stefano (chef des chœurs), Orchestre de l’Opéra national de Paris, Philippe Jordan (direction musicale)
Anne Teresa De Keersmaeker (mise en scène et chorégraphie), Jan Versweyveld (décors et lumières), An D’Huys (costumes), Jan Vandenhouwe (dramaturgie)


G. Costa-Jackson, P. Szot, B. Antoncic, M. Goudot
(© Ann Van Aerschot/Opéra national de Paris)



Quand la danse se mêle à l’opéra sans y être conviée par la musique, on a un défi à relever. Qu’allait donc faire de Così fan tutte Anne Teresa De Keersmaeker ? Une sorte d’opéra ballet ? Plutôt un ballet chanté, dans un décor glacial, blanc et nu, avec des panneaux de plexiglas sur les côtés. Au début, les personnages et leurs doubles apparaissent ensemble, exécutent des gestes lents, pivotent sur eux-mêmes. Le mouvement naîtra ensuite, se figeant ou allant jusqu’à une sorte d’affolement, celui des prisonniers d’un labyrinthe, écho de l’égarement des esprits, des cœurs et des corps. Le lieto fine obligé se mue ainsi en course poursuite, comme si tout se détraquait.


L’affolement est pensé et maîtrisé à la perfection. Reste à savoir si ce constructivisme conçu à partir d’un « matériel chorégraphique abstrait » a servi la partition de Mozart. On peut en douter : Anne Teresa De Keersmaeker a superposé son univers à celui de l’opéra sans qu’ils fusionnent toujours – de toute façon, s’il est un opéra où les symétries sont fausses, c’est bien Così. Heureusement, ils peuvent se rencontrer, comme pour le duo de Guglielmo et Dorabella, d’une finesse teintée de mélancolie, chanté dos à dos, ou, ensuite, pour l’air de la jeune fille, d’une coquinerie sans vulgarité. Bref, quand Mozart revient au premier plan, quand la chorégraphe devient vraiment metteur en scène, ça marche. Mais l’ensemble paraît vite répétitif, systématique, engendrant un sentiment d’irrépressible ennui et dissipant, surtout, les subtils parfums de l’opéra – dont l’histoire perd toute lisibilité. A-t-on vu Così ou un ballet d’après Così ? Non qu’on ait la nostalgie de la convention : un Claus Guth, un Michael Haneke nous ont offert des lectures bien plus stimulantes.


Les chanteurs ont du mérite : il leur faut s’intégrer à la chorégraphie comme s’ils étaient des danseurs... ou se cantonner à un statisme qui contredit totalement la musique, notamment dans le premier finale, comme s’ils se faisaient figurants. Ils se prêtent magnifiquement au jeu – ou, parfois, au hors-jeu. Si bien qu’on retiendra d’abord de ce Così, outre la beauté de certains costumes, l’homogénéité d’une distribution presque sans faille, composée de jeunes chanteurs qui, plus que la production, savent rendre leurs personnages crédibles. Don Alfonso, par exemple, grâce un Paulo Szot au timbre magnifique, portant très beau vocalement, n’est plus un philosophe chenu mais un ami aux airs de Méphisto, de noir vêtu, dupant la Despina très générique, pétulante et citronnée, de Ginger Costa-Jackson. Guglielmo et Dorabella, quand ils sont drôles, ne sacrifient jamais la beauté du chant : Philippe Sly et Michèle Losier, lui plus svelte et elle plus plantureuse de timbre, phrasent leurs airs sans les débrailler. Frédéric Antoun, voix mâle aux nuances de velours, incarne un très beau Ferrando, nullement crispé par les tensions de « Tradito, schernito ». A Jacquelyn Wagner ne manquent qu’un grave plus consistant et une colorature plus agile : sa Fiordiligi est aussi noble que stylée, avec un « Per pietà » très émouvant.


Dans la fosse, l’Ouverture donne le ton : lignes souples, sonorités soyeuses, vivacité sans précipitation, clarté sans sécheresse – seule la brutalité des percussions suscite quelques craintes, très vite dissipées. Philippe Jordan parvient surtout à un parfait dosage entre le buffa et le seria, entre la poésie (celle de la Sérénade, par exemple) et le trivial. Et il maîtrise remarquablement les deux finales – la pierre d’achoppement du buffa mozartien, là où l’on voit les vrais chefs. Cela dit, le choix de cors naturels, toujours risqué, laisse sceptique : le « Per pietà » en fait les frais. La fosse nous a donc donné ce dont la chorégraphe nous a frustré. Il est vrai que Philippe Jordan porte en lui Così depuis des années : nous l’y avions repéré, à Genève, en 2000 – il avait tout juste 26 ans.



Didier van Moere

 

 

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