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La scène comme un rituel démythifié

Lyon
Opéra
01/21/2017 -  et 23, 25, 27, 29, 31 janvier, 2, 3 février 2017
Arthur Honegger : Jeanne d’Arc au bûcher, H. 99
Audrey Bonnet (Jeanne d’Arc), Denis Podalydès (Frère Dominique), Louka Petit-Taborelli (Premier récitant: Troisième Héraut, L’Ane, Bedford, Jean de Luxembourg), Didier Laval (Second récitant: L’Appariteur, Regnault de Chartres, Guillaume de Flavy, Perrot, Un prêtre), Ilse Eerens (soprano solo: La Vierge), Valentine Lemercier (Marguerite), Marie Karall (Catherine), Jean-Nöel Briend (ténor solo: Une voix, Porcus, Premier Héraut, Le Clerc), Sophie Lou (Pécus), Maki Nakanishi (soprano solo chœur), Brian Bruce (ténor solo chœur), Kwang Soun Kim (baryton-basse solo chœur), Paolo Stupenengo (Une voix, baryton-basse chœur), Paul-Henry Vila (Second Héraut, baryton-basse chœur), Enfants de la Maîtrise (une voix d’enfant)
Maîtrise de l’Opéra de Lyon, Karine Locatelli (chef de chœur), Chœurs de l’Opéra de Lyon, Philip White (chef des chœurs), Orchestre de l’Opéra de Lyon, Kazushi Ono (direction musicale)
Romeo Castellucci (mise en scène, décors, costumes et lumières), Piersandra Di Matteo (dramaturgie), Silvia Costa (collaboration artistique)




Dans la lignée d’une thématique engagée avec L’Ange de feu en octobre dernier, Jeanne d’Arc au bûcher se veut comme un autre jalon dans l’exploration de la folie. En confiant l’oratorio de Honegger à Romeo Castellucci, Serge Dorny entendait souligner la vulnérabilité humaine de la jeune condamnée à mort plutôt que les sédimentations mythologiques que le personnage de la Pucelle d’Orléans a suscitées. Ainsi qu’il l’explicite dans ses notes propédeutiques, le metteur en scène italien «sert» le compositeur suisse au détriment de Claudel.


Le mysticisme catho-nationaliste du poète français a de quoi verser dans une indigestion aisément récupérable, que le Prologue, écrit dans la tourmente de la débâcle de 1940, peut dangereusement lubrifier. C’est en quelque sorte pour «casser» cette entrée en matière pastichant la Genèse que le spectacle s’ouvre sur une longue introduction muette de plus de quinze minutes – complétant de la sorte le spectacle jusqu’à une durée plus syndicale que l’heure et quart originelle de l’œuvre – , où, après la classe, une physionomie vaguement masculine vient nettoyer puis vider la salle de ses meubles d’apprentissage, cartes et tableau noir compris. Au-delà de l’écho apocalyptique, on comprend que le technicien de surface n’est autre que Jeanne, qui s’est, à l’aube de son jugement, enfermée dans la geôle de ses souvenirs. Frère Dominique, dont Denis Podalydès restitue l’ambivalente bienveillance de la voix, prend l’allure d’une figure paternelle qui semble encourager sa fille à sortir de ses barricades, levées lorsque la victime expiatoire aura rejoint la tombe de terre qu’elle aura soigneusement creusée de ses mains sous le dallage de l’école.


Pour autant, le propos du texte n’en sort pas liquidé par cette première strate psychologique où le vestiaire se calque sur la mode des années quarante, maréchaussée comprise. Le délire eschatologique de Jeanne s’épanouit dans sa dimension mémorielle autant qu’illuminée au fil de la récapitulation du procès, pendant laquelle elle exhume les oripeaux de sa gloire guerrière, de la bure au drapeau blanc à croix dont elle recouvre son corps dévêtu, à peine plus sexué que l’apparence d’indifférenciation de genre initiale. Décapée de son aura mythologique, l’icône historique se dévoile dans sa nudité humaine et son extrême déréliction, que révèle le rituel scandé par Romeo Castellucci, en même temps que ce dernier se donne aussi comme interrogation du contexte de la création de l’ouvrage.


Seule sur le plateau, la Jeanne d’Arc incarnée par Audrey Bonnet émerge de raucités indistinctes, dans un râle parfois un rien redondant, que transsubstantie une évidente présence scénique. Reléguant, pour mieux troubler la perception du spectateur, les autres voix dans les coulisses, ou au mieux, au pas de la porte pour l’appel dominicain, la comédienne capture littéralement l’attention du public, dans un puissant crescendo de violence qui va jusqu’à traîner un cheval empaillé, l’ancien compagnon de lutte d’une guerrière saisie par la Nature.


Les autres interventions vocales de cet opus qui défie les règles usuelles du répertoire lyrique – qu’Arthur Honegger croyait obsolètes – rassemblent le registre parlé avec les deux récitants, Louka Petit-Taborelli et Didier Laval, et le chant, avec la diaphane Vierge d’Ilse Eerens qui contraste avec la trivialité de Jean-Noël Briend en Porcus, également Clerc et Premier Héraut, sans oublier Valentine Lemercier et Marie Karall, auxquelles sont dévolues les deux saintes, Marguerite et Catherine. Indiquons par ailleurs, que, dans un souci d’homogénéité qui renforce la facture déconcertante de la pièce, l’ensemble des voix sont sonorisées, accentuant leur effet d’étrangeté, sinon d’irréel, et pour le moins, un refus ostensible d’un certain genre opératique.


Fortement sollicités, les Chœurs, préparés par Philip White, ainsi que la Maîtrise, conduite par Karine Locatelli, étoffent le drame d’apparitions secondaires qui creusent encore la détresse expiatoire de l’héroïne. A la tête de son Orchestre de l’Opéra de Lyon, Kazushi Ono souligne l’inventivité des timbres et la mosaïque stylistique de la partition, où l’on reconnaît les ondes Martenot, quand bien même le bronze moelleux des cuivres semble exiger d’un peu de temps pour s’ajuster aux notes. La satisfaction hébétée qui saisit l’audience après cette expérience particulière renvoie peut-être, quant à elle, à une soif d’absolu que, paradoxalement, la dramaturgie tente de déconstruire, ou du moins de ramener à son humaine grammaire – un artifice pour mieux galvaniser les foules? La dimension extrêmement problématique de l’ouvrage, et celle de sa programmation, n’en deviennent que plus saillantes.



Gilles Charlassier

 

 

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