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Un lutin aux commandes

Paris
Maison de la radio
01/13/2017 -  
Carl Nielsen : Ouverture «Helios», opus 17
Dimitri Chostakovitch : Concerto pour violon n° 1 en la mineur, opus 77/99 – Symphonie n° 6 en si mineur, opus 54

Guy Braunstein (violon)
Orchestre philharmonique de Radio France, Santtu-Matias Rouvali (direction)


S.-M. Rouvali


L’annonce de la défection de Veronika Eberle, souffrante, n’est tombée que le jour du concert. Remplacement in extremis, donc, qui nous vaut de voir arriver sur la scène de l’Auditorium de la Maison de la radio la robuste silhouette de Guy Braunstein, violoniste dont certains se souviendront pour l’avoir vu longtemps officier au poste de Konzertmeister de l’Orchestre philharmonique de Berlin, position qu’il n’a quittée que récemment, pour se consacrer à une carrière de soliste à part entière. L’allure de l’interprète est un peu fruste, avec une curieuse façon de se rééquilibrer en tapant du pied droit pendant les instants de plus grande exaltation. Et son instrument n’est peut-être pas le plus somptueux du moment, ou du moins sonne-t-il avec une identité sonore particulière (un rare Francesco Roggieri, de1679). Mais qu’importe, tant ce Premier Concerto pour violon de Chostakovitch, négocié de bout en bout avec assurance, paraît dépourvu de longueurs. Un jeu peut-être déficitaire en brillant mais d’une intensité contenue qui fait merveille, en particulier dans les sinueux mouvements impairs. Plus naturellement spectaculaires, Scherzo et Burlesque sont pourtant traités de la même façon, sans éclats trop tapageurs, toujours avec un empattement qui en souligne le côté terrien, empreint d’un folklore âprement ressassé. La virtuosité impressionne, mais elle n’est plus au centre du débat, c’est surtout un ton qui s’impose : sombre, tendu, dépressif, obsessionnel... Pas follement glamour tout cela, mais pertinent. Même densité dans la Sarabande de Bach qui suit, en bis : couleurs sombres de vieux bois, expressivité austère, presque sans grâce mais creusée d'un archet puissant.


L’accompagnement de l’Orchestre philharmonique de Radio France est tout aussi remarquable : un superbe écrin sonore pour un soliste qui n’est jamais couvert. Tout au long du concert, on peut apprécier la richesse de timbres et la cohésion d’une formation constamment impliquée et attentive. Quelques accidents de cuivres ne brouillent en rien l’impression d’avoir affaire à une phalange très vivante, d’une appréciable musicalité. Un confort encore augmenté par la fine acoustique de l’Auditorium de la Maison de la radio, dont les pièges, en particulier en matière de volume sonore, paraissent de mieux en mieux maîtrisés. On ne le répétera jamais assez, et pourtant des chefs de l’envergure internationale de Mariss Jansons ou Simon Rattle ne cessent d’enfoncer le clou : la valeur d’une formation orchestrale ne s’apprécie pas isolément. Elle devient indissociable aujourd’hui de la salle dans laquelle on lui permet de travailler et de progresser. A cet égard, le couplage actuel de l’Orchestre philharmonique de Radio France avec ce nouvel auditorium nous paraît particulièrement réussi, l’absence d’empressement du public parisien à venir se blottir ici, dans une ambiance pourtant chaleureuse et très proche des musiciens, alors même qu’il se presse en masse dans le chaudron bizarre de la Philharmonie, continuant à s’expliquer assez mal.


Vous ne connaissiez pas encore Santtu-Matias Rouvali ? Moi non plus, du moins jusqu’à ce concert. Lacune excusable, au vu de la carrière pour l’instant surtout nordique de cette étoile montante. Trente et un ans mais l’air d’en avoir vingt, silhouette dégingandée vêtue de noir ajusté, paraissant encore plus grêle du fait de l’énorme boule de cheveux ébouriffés qui a poussé dessus : le premier contact visuel surprend, et la gestique encore plus. L’œil du spectateur se retrouve irrésistiblement capté par un curieux ballet des bras et des jambes. L’ensemble de la surface du podium est utilisé (combien de kilomètres parcourus pendant ce concert, en pas cumulés ?), et ce jusqu’aux rebords (attention à ne pas tomber un jour dans l’orchestre, quand même !). L’usage symétrique des bras est très particulier, battue avec baguette assez classique à droite mais énormément de mouvements ascensionnels à gauche, étreintes figurées qui semblent en permanence dynamiser les musiciens en le prenant littéralement à bras-le-corps.


Le résultat pourrait être ridicule, entre chorégraphie béjartienne, brasse coulée et parfois crawl, et pourtant il ne l’est jamais, car le couplage avec l’orchestre est extraordinaire. Tout paraît contrôlé en même temps, musiciens tenus grâce à des signaux parfaitement clairs et fédérateurs, impulsions puissantes prodiguées partout : en haut, en bas, à gauche, à droite... C’est tout bonnement époustouflant, et assister à cette démonstration de jeu d’orchestre (comme d’autres joueraient du piano) n’a rien de lassant ni même d’agaçant. Les longueurs du Largo initial de la Sixième Symphonie passent comme un rêve, les deux mouvements suivants rebondissent sans lourdeur, même quand Chostakovitch en rajoute. On a l’impression d’un lutin à l’œuvre, doté de pouvoirs magiques et de recettes connues de lui seul, mais génialement efficaces.


Dans un autre registre, on note le galbe des phrases de l’Ouverture «Helios» de Nielsen, et l’autorité naturelle avec laquelle le chef contient les applaudissements jusqu’à l’extinction complète du son, et même après, ce qui démontre à quel point toute la salle garde constamment les yeux rivés sur lui. On peut s’interroger sur ce que peut provoquer autant de juvénilité explosive dans des œuvres nécessitant un sens architectural plus prémédité (Mozart, Beethoven, Brahms...) mais assurément on a envie de suivre de près un talent pareil. L’Orchestre symphonique de Göteborg, qui vient d’engager Santtu-Matias Rouvali comme prochain directeur musical, à partir de la saison 2017-2018, ne s’y est d’ailleurs pas trompé.



Laurent Barthel

 

 

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