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Au bord de la folie

Paris
Théâtre de la Ville-Espace Pierre Cardin
12/15/2016 -  et 16, 17, 19, 20, 21, 22*, 23, 26, 27, 28, 29, 30, 31 décembre 2016, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 17, 18, 19, 20, 21 janvier 2017
Letter to a Man
Robert Wilson (mise en scène, décors, conception lumières), Christian Dumais-Lvowski (texte), Darryl Pinckney (dramaturgie), Hal Willner (musique), Jacques Reynaud (costumes), Lucinda Childs (collaboration aux mouvements et texte parlé), A.J. Weissbard (lumières)
Mikhaïl Barychnikov


M. Barychnikov (© Lucie Jansch)


Pour la deuxième fois après The Old Woman de Daniil Kharms avec Willem Dafoe en 2013, le metteur en scène américain Robert Wilson utilise les talents de comédien du danseur américain d’origine russe Mikhaïl Barychnikov. Cette fois dans la salle élégante de l’Espace Cardin, où le Théâtre de la Ville s’est en partie retranché pendant ses travaux, c’est la figure légendaire de Nijinski qu’incarne cet immense artiste dans un superbe spectacle à l’esthétique glacée dont Wilson a le secret.


Pour les spectateurs qui auraient pris le train Robert Wilson en marche (son premier spectacle phare, Le Regard du sourd, date de 1970 et ses débuts au Théâtre de la Ville de 1983 avec The Civil Wars), notamment lors des sept dernières années où, installé à la direction artistique du Berliner Ensemble, la troupe théâtrale de Bertolt Brecht, s’est établi un partenariat avec le Théâtre de la Ville, ce spectacle sera certainement déroutant car il ne repose pas sur un substrat théâtral comme les récents Faust, L’Opéra de quat’sous, Lulu, et même Peter Pan. Letter to a Man illustre de façon très wilsonienne la lecture que lui et Mikhaïl Barychnikov ont faite des fameux Cahiers de Vaclav Nijinski (1889-1950), écrits au seuil de la folie dans le temps très court de six semaines par le danseur le plus emblématique de la période du renouveau de la danse russe. L’adjectif «wilsonien» implique une perfection et un contrôle absolu de tous les éléments du spectacle comme le savent bien les amateurs d’opéras qui ont vu sa Flûte enchantée mais surtout Madame Butterfly à l’Opéra de Paris: éclairages, maquillages, accessoires, costumes, scénographie, tout porte la marque inimitable d’un des metteurs en scène les plus doués et prolifiques du dernier demi-siècle. Pour ce spectacle dans lequel le danseur s’exprime tour à tour en anglais, russe et français avec la complicité vocale de Wilson et de la chorégraphe Lucinda Childs, qui a participé à l’élaboration de mouvements (Barychnikov n’y danse pour ainsi dire pas), la scénographie est minimale mais spectaculaire – une chaise, un petit théâtre, quelques personnages animés –, tout repose sur le texte, ce journal dont ont été tirés quelques extraits qui illustrent parfaitement les obsessions et la pré-folie de Nijinski: la religion, la guerre, le père, le sexe, et aussi ses rapports conflictuels avec son mentor Serge de Diaghilev. La musique aussi est primordiale et les choix de Wilson épatent par leur éclectisme et leur à-propos. Mais la performance de Mikhail Barychnikov, 68 ans, ancien danseur-étoile du Kirov, est encore plus ahurissante. Grimé comme un clown blanc, avec le mime comme mode principal d’expression (celui des mains gantées de blanc est ahurissant), confronté à des situations scéniques extrêmes, à l’absurdité de la situation, ce grand artiste fascine autant que quand il interprétait les grands classiques du répertoire russe ou bien les chorégraphes américains contemporains qu’il a presque tous abordés.


Un spectacle dense (une heure dix d’un seul jet) comme on en voit peu au théâtre, et qui, après Berkeley en Californie, Spoleto, Monte-Carlo et Madrid, trouve naturellement sa place dans le mythique Espace Cardin dans lequel, il y a quarante-cinq ans, un microscopique public parisien élitiste et curieux découvrait, fraîchement présenté au festival de Nancy, un jeune metteur en scène dont le Prologue au Regard du sourd allait changer radicalement les rapports entre la musique, le théâtre et la danse.



Olivier Brunel

 

 

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