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Swing de fin d’année

Strasbourg
Palais de la Musique
12/15/2016 -  
Niccolò Paganini : Concerto pour violon et orchestre n° 1 en ré majeur, opus 6
Duke Ellington : «Nutcracker Suite», d’après Tchaïkovski (arrangement Jeff Tyzik)
George Gershwin : An American in Paris

Ning Feng (violon)
Orchestre philharmonique de Strasbourg, Marko Letonja (direction)


Ning F. (© Felix Broede)


Ning Feng ou Feng Ning ? Les Chinois nous posent souvent ce petit problème d’identification, l’usage étant pour eux de se présenter avec leur nom d’abord et leur prénom ensuite. En l’occurrence nous faisons bien connaissance ici avec le violoniste Feng NING, 35 ans, né dans la province du Sechuan, résidant aujourd’hui à Berlin, et qui consolide depuis quelques années déjà une carrière internationale où les pièces les plus brillantes du répertoire semblent privilégiées.


Le Premier Concerto de Paganini fait assurément partie de ces moments de grand spectacle violonistique où l’on attend une maîtrise du geste proche de celle d’un artiste de cirque, mais Ning Feng nous démontre vite qu’il est capable de nous offrir davantage. Une fois négociés à la perfection tous les pièges accumulés, et il y en a à chaque page, il lui reste encore de confortables réserves pour faire, véritablement, de la musique. L’archet, dont l’exceptionnelle légèreté autorise tous les prodiges, se fait alors plus appuyé, en phrases longues où un véritable plaisir mélodique peut s’installer, dans la ligne d’un opéra italien qui n’est jamais bien loin des concertos de cette époque, qu’ils soient écrits pour le violon (le Concerto «In modo di scena cantante» de Spohr, imitation délibérée du chant d’une prima donna, date de la même année 1816) voire le piano (Hummel, et plus tard Chopin). Sous la direction prévenante de Marko Letonja, l’Orchestre philharmonique de Strasbourg en grande formation (l’œuvre est assez richement instrumentée) dépasse son simple rôle de faire-valoir, et parvient même à rendre intéressantes les premières pages de ce concerto, ce qui n’est pas un mince exploit. Cela dit, pendant cette demi-heure de haute école technique, c’est bien le violon qui reste le point de mire de tous les regards. Et il est d’ailleurs amusant de s’attarder sur les visages mi-réjouis mi-médusés des musiciens de l’orchestre, en train d’assister de près à cette surenchère sans fin de démanchés impossibles, vigoureux pizzicati de la main gauche, sons harmoniques glissés dans tous les sens...


Deux bis, dont un Paganini hérissé d’exploits techniques, mais aussi un plus déconcertant Largo de la Troisième Sonate de Bach où l’archet, à nouveau très peu appuyé, semble ne vouloir souligner la ligne mélodique que par instants, en laissant le reste dans un flou mystérieux.


Pour ce concert proche des fêtes de fin d’année, l’ambiance demeure ludique dans une seconde partie américaine qui s’essaye au swing, exercice délicat pour une phalange symphonique. Les appropriations de Tchaïkovski et Grieg auxquelles s’est livré tardivement Duke Ellington, avec la complicité de son arrangeur et alter ego Billy Strayhorn, méritent effectivement d’être mieux connues, parce que la distance prise avec les musiques originales y est considérable. Bien davantage que d’un simple rhabillage, il s’agit bien d’une refonte complète où les thèmes les plus connus ne ressurgissent que par moments, distendus par des tics de jazzmen qui les rendent singuliers, à la fois familiers et bizarrement agités. Marko Letonja a choisi pour ce concert les moments les plus marquants de la Nutcracker Suite, « d’après » Tchaïkovski, mais malheureusement dans un arrangement très postérieur, pour grand orchestre symphonique, signé par le trompettiste Jeff Tyzik. Mettre tous les pupitres à contribution, au lieu du seul jazz-band avec section rythmique prévu à l’origine, permet certes à l’orchestre entier de s’amuser, mais alourdit beaucoup la perception globale en multipliant des doublures pas toujours utiles (jusqu’à voir parfois bouger des archets que l’on n’entend absolument pas). Tout en haut de la pyramide, saxophone, trompette, trombone et clarinette se couvrent de gloire dans leurs solos successifs (dûment applaudis, en pleine exécution, par une frange du public qui peut-être se croit au Cotton Club...) mais, en dessous, la compacité de la chose laisse perplexe, avec à la clé une surenchère en décibels dont il aurait fallu se méfier davantage.


Ce déséquilibre continue dans Un Américain à Paris, comme une ombre portée dont les musiciens peineraient à se débarrasser. Pourtant, cette fois, il ne s’agit plus d’un arrangement de cross-over mais bien d’un poème symphonique à part entière, où Gershwin déploie toute sa science nouvellement acquise de compositeur « savant » et même d’orchestrateur indépendant. A ce titre, et même si l’empreinte du jazz reste omniprésente dans cette pièce de bravoure, il faut l’aborder aussi comme une émulation des fresques narratives straussiennes ou ravéliennes, aspect relégué ici sous des dehors souvent tapageurs. Il faut attendre quelques beaux moments d’accalmie, dont l’ensorcelant blues chanté à la trompette par Vincent Gillig, pour que cette musique retrouve sa magie. On continue à admirer l’aisance nouvellement acquise de l’orchestre, ainsi que sa réactivité immédiate qui lui fait nettement creuser l’écart, par exemple avec ses phalanges homologues d’outre-Rhin, beaucoup plus balourdes aux entournures dans ce répertoire. Mais un peu plus de vigilance quant aux dosages dynamiques aurait été souhaitable, au moins pour conserver à cette musique toute son élégance première.



Laurent Barthel

 

 

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