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Un chef qui écoute son orchestre

Geneva
Victoria Hall
12/07/2016 -  et 8 (Lausanne), 9 (Genève) décembre 2016
Wolfgang Amadeus Mozart: Concerto pour violon n° 5, K. 219
Jean-Luc Darbellay: ANGES, L’univers mystérieux de Paul Klee, Œuvre Suisse #32 (Création)
Bohuslav Martinů: Památník Lidicím, H. 296
Ludwig van Beethoven: Symphonie n° 5, opus 67

Daniel Lozakovitj (violon)
Orchestre de la Suisse Romande, Hartmut Haenchen (direction)


La plus grande révolution stylistique musicale de notre génération a été de redécouvrir les pratiques des compositeurs baroques : des textures allégées qui privilégient souvent les instruments à vent, des tempi animés et variés pour chercher une forte théâtralité. Les jeunes chefs d’orchestre n’ont plus comme modèle et référence des Klemperer, Walter, Böhm ou Karajan mais plutôt Harnoncourt, Jacobs ou Gardiner. Si ce style est parti de la pratique de compositeurs antérieurs à Bach, la surprise a été de les voir appliquer à des compositeurs comme Haydn et Mozart, voire Beethoven et Schubert.


Il existe cependant des chefs qui sont d’une école moins récente et qui cherchent à établir et garder une pulsation régulière, qui se soucient de laisser les musiciens articuler et de ne pas perdre de la couleur. C’est nettement le style retenu par Hartmut Haenchen. En dépit du choix d’un effectif réduit, les bois sortent peu de l’accompagnement du Cinquième Concerto pour violon de Mozart. Les tempi sont modérés et varient peu. Il y a une certaine recherche d’un legato. Tout cela est fait avec attention un certain bon goût.


Il y avait une grande curiosité du public de par la présence du jeune violoniste de 16 ans Daniel Lozakovitj. Ce violoniste, qui s’est déjà produit au festival de Verbier, a déjà un contrat en poche avec une prestigieuse maison de disques allemande. Sa sonorité est pleine et on remarque un vibrato de qualité. Son Mozart est classique et sobre, signe d’une harmonie entre chef et soliste. S’il domine la partie technique de ce concert, il ne faut pas s’étonner que les changements de tonalité de l’Adagio qui demandent une certaine profondeur, manquent un peu d’expression et soient un peu sages. Le Rondo final est plus animé et correspond mieux à une œuvre dans laquelle on attend un jeune musicien. Il se libère en bis avec un Capriccio de Kreisler assez brillant où l’on peut apprécier sa dynamique et son aisance. Voici un talent qui a du potentiel mais ne le dérangeons pas trop et laissons-le se développer tranquillement.


Jouée juste avant la Cinquième Symphonie de Beethoven, Haenchen dirigeait le poème symphonique de Martinů Mémorial pour Lidice, une œuvre poignante qui évoque le souvenir de cette ville martyre décimée par la barbarie nazie. On retrouve dans cette pièce les mêmes qualités du chef allemand. La musique avance. Il n’y a pas de sentimentalité mais un soin porté à l’expression. Les équilibres entre pupitres sont très soignés et permettent d’apprécier la qualité de l’orchestration de Martinů.


Après un long développement plein de souffrance et d’angoisse, Martinů cite au cor à la fin de l’œuvre le thème du premier mouvement de la Cinquième Symphonie de Beethoven. L’effet obtenu est aussi saisissant que la citation de la «Marche funèbre» de la Symphonie «Héroïque» dans les Métamorphoses de Richard Strauss mais ici, l’esthétique et la perspective historique sont tout autres et bien plus terribles. Et sans laisser le temps que l’atmosphère retombe, Haenchen enchaîne de suite la Symphonie de Beethoven.


Il ne faut pas chercher dans sa lecture la théâtralité qu’avait trouvée un David Greilsammer avec sa Camerata Geneva dans cette même salle. Cette exécution est 70% apollinienne et 30% dionysiaque. L’OSR avait joué cette même symphonie avec son futur directeur musical Jonathan Nott lors de traditionnel concert pour les Nations Unies il y a deux ans. Ce dernier avait choisi des tempi qui étaient intermédiaires entre ceux de Haenchen et des conceptions baroques. Une conséquence était qu’il y avait un dramatisme réel mais que les musiciens ne pouvaient suivre toujours les exigences de leur chef : sous la pression, la couleur des cordes se perdait et une certaine fatigue se sentait dans le Presto final. Ce n’est pas le cas ici. Les tempi ne sont pas lents mais ne sont pas rapides non plus. Le chef choisit un équilibre entre tension et musicalité. Il ne fait pas prendre de risques exagérés aux musiciens et l’orchestre sonne avec un équilibre et une certaine plénitude toute musicale et qui n’est pas «désagréable».


L’autre originalité de ce programme était la création de ANGES, L’univers mystérieux de Paul Klee de Jean-Luc Darbellay. Le musicien suisse n’est pas le seul compositeur a être inspiré des peintures d’anges de Paul Klee, nous rappelant qu’il y a quelques années on pouvait entendre dans cette même salle une approche similaire mais chez le compositeur chinois Tan Dun. Cette œuvre est une pièce d’une grande subtilité sonore. Il faut y apprécier la qualité de l’orchestration qui fait souvent dialoguer des groupes d’instruments de façon inattendue. Contrairement à de nombreuses œuvres de notre temps, le son de l’orchestre ne sature pas. Les sonorités sont modernes mas pas agressives, à nouveau, on serait tenté de redire musicales et «pas désagréables». Il est possible de regretter un manque de développement mais le propos de cette pièce est plutôt de retranscrire une suite d’impressions ressenties devant les anges de Klee, une sorte de Tableaux d’une exposition des anges de Paul Klee en somme.


Le succès de cette première revient aussi à Hartmut Haenchen. Il a déjà dirigé l’OSR l’an dernier dans Iphigénie en Tauride de Gluck. C’est à ma connaissance la première fois qu’il joue dans la salle du Victoria Hall dont l’acoustique est délicate à appréhender. Il y a eu dans les saisons passées tant de grands chefs qui n’ont tout juste pas réussi à la maîtriser. Ce n’est pas le cas ici. Le chef écoute son orchestre avec soin, ne cherche pas à imposer une conception qu’il aurait du mal à exécuter et sait le faire sonner juste que ce soit dans Mozart, Beethoven, Martinů ou Darbellay. C’est très rare et mérite d’être mentionné.


Harmut Haenchen sera de nouveau à Genève en avril à l’Opéra des Nations pour Così fan tutte dans une production de David Bösch. On se réjouit d’avance.



Antoine Lévy-Leboyer

 

 

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