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Saint-Céré

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Violetta et son double

Saint-Céré
Prudhomat (Château de Castelnau-Bretenoux)
07/31/2016 -  et 3, 5, 7, 11, 13* août 2016 (Prudhomat), 24 février (Le Chesnay), 4 (Ettelbruck), 18, 19 (Yerres) mars, 1er (Miramas), 26 (Narbonne) avril 2017, 2, 4 février (Clermont-Ferrand), 15 (Cahors), 16 (Figeac), 27 (Colombes), 29 (Mende) mars, 20 octobre (Montmorillon) 2018, 25 janvier (Montauban), 7 février (Maisons-Alfort), 4 mars (Herblay) 2020
Giuseppe Verdi : La traviata
Burcu Uyar (Violetta Valéry), Julien Dran (Alfredo Germont), Christophe Lacassagne (Giorgio Germont), Sarah Lazerges (Flora Bervoix), Eric Vignau (Gastone, visconte di Létorières), Matthieu Toulouse (Il dottor Grenvil), Laurent Arcaro (Il barone Douphol), Yassine Benameur (Il marchese d’Obigny), Fanny Aguado (La Traviata muette)
Chœur et Orchestre Opéra éclaté, Gaspard Brécourt (direction musicale)
Olivier Desbordes (mise en scène), Benjamin Moreau (collaborateur à la mise en scène), Patrice Gouron (décors, costumes), Joël Fabing (lumières), Clément Chébli (vidéo)


F. Aguado, J. Dran, B. Uyar (© Nelly Blaya)


On ne pourra pas dire que le public de Saint-Céré est conservateur, car ce n’est certainement pas par seules fidélité et reconnaissance à Olivier Desbordes qu’il a réservé une ovation à sa nouvelle mise en scène de La Traviata (1853), avec la collaboration de Benjamin Moreau. On reconnaît certes quelques éléments de la précédente production de 2007, reprise en 2009: les habits de soirée modernes, les pas de danse d’Eric Vignau (qui a réendossé le rôle de Gaston), les invités assis, prostrés ou indifférents, pour les derniers instants de l’héroïne, enroulée dans le manteau de Germont, et, plus généralement, l’accent mis sur la solitude affective et sociale de Violetta et sur la décomposition d’un monde.


Mais cette fois-ci, le directeur artistique du festival est allé beaucoup plus loin pour défendre sa thèse. D’abord en modifiant le déroulement de l’action et, du même coup, de la partition: après le Prélude du premier acte, le spectacle débute avec la brève visite du docteur, au troisième acte, ouvrant ensuite, avec le retour à l’ordre usuel depuis le début du premier acte, sur un très long flash-back. Dès lors, jusqu’à ce que ce regard rétrospectif prenne fin, Violetta est presque toujours cantonnée à son lit blanc et son oreiller pourpre, en contrebas de la scène, côté cour. Mais aucun de ses gestes ou expressions n’échappe à une vidéo en temps réel, projetée (en noir et blanc) sur un grand écran placé légèrement en biais au fond de la cour du château de Castelnau. Le plus souvent assise ou même allongée, Burcu Uyar chante donc sa partie un peu comme le fait une doublure depuis les coulisses lorsque le titulaire d’un rôle est vocalement contraint de déclarer forfait mais continue de l’incarner sur scène: il y a donc face aux autres chanteurs une seconde Violetta, la danseuse et chorégraphe Fanny Aguado.


L’une comme l’autre ont un immense mérite à assumer ce personnage partagé presque durant toute la représentation – et c’est aussi sans doute cette double performance que les spectateurs ont saluée. Car si le double n’agit pas comme un strict miroir – les mouvements sont rarement parallèles, les costumes ne sont pas identiques (fort logiquement, puisque l’une fait vivre le passé de l’autre) et il arrive qu’elles se rejoignent au centre du plateau – le défi n’en reste pas moins considérable: la chanteuse doit faire vivre la partition quasiment sans un mouvement ni même un regard à l’attention de ses partenaires, tout en extériorisant des sentiments, en particulier sur son visage; la figurante muette, quant à elle, doit user de son corps sans le vecteur primordial, surtout chez Verdi, de la voix. Quels que soient le talent et les efforts de l’une et de l’autre – sans oublier de rendre justice au caméraman, sollicité durant toute la soirée – et quelle que soit la cohérence – forte et indéniable – du concept, on ne dira pas qu’il fonctionne parfaitement, ne serait-ce que parce que les autres protagonistes semblent avoir quelque mal à jouer et parfois même simplement à chanter face à une femme qui n’est pas celle dont le visage apparaît au même moment sur l’écran. Les duos et ensembles s’en ressentent, non seulement en raideur artificielle, mais aussi en défaut de fusion vocale, avec une Traviata toujours éloignée de plusieurs mètres d’Alfredo ou de Germont – et plus encore du chef d’orchestre, les musiciens étant positionnés à l’opposé, côté jardin. Accessoirement, le surtitrage – innovation au demeurant récente à Castelnau – a été abandonné pour l’occasion: l’attention, déjà fortement sollicitée par la duplication de l’action, n’est ainsi pas davantage distraite, mais c’est au risque de laisser au bord du chemin ceux qui seraient peu familiers du livret.


Même si, comme de coutume, Desbordes sait créer des visions fortes – par exemple celle du «double» se rapprochant lentement de l’écran –, le moins que l’on puisse dire est qu’il casse ce que le livret et la musique peuvent avoir de mélodramatique: le tragique est ici à l’os, donnant à voir une agonie, celle de Violetta, bien sûr, mais également celle d’une société dont les cauchemars sont, eux aussi, projetés sur l’écran, furtivement, au travers de très courts extraits se succédant à vive allure, comme subliminaux, de films d’actualités ou de chanteurs en gros plan, toujours en noir et blanc. Loin de ce qui ressemble – sans que cela en ait évidemment été l’objectif – à un inventaire des procédés à la mode dans la mise en scène actuelle d’opéra (flash-back, projections, vidéo en temps réel), on retrouve en revanche le génie théâtral du lieu dans la soirée chez Flora à la fin du deuxième acte, avec ses invités inquiétants, presque clownesques, et leurs couvre-chefs d’une magnifique fantaisie carnavalesque.


La distribution tient son rang, à commencer par Burcu Uyar, déjà à l’affiche en 2009, solide et puissante, mais aussi sensible et musicienne, même si elle ne possède pas un timbre inoubliable. Alfredo – un rôle de prédilection, à la fin du XIXe siècle à l’Opéra-Comique, pour le ténor Jean Mouliérat (1853-1932), ancien propriétaire de Castelnau, qu’il légua à l’Etat – trouve en Julien Dran une juvénilité tout à fait en situation, phrasant avec soin et élégance, à l’aise sur l’ensemble de la tessiture hormis quelques aigus un peu verts. On a en revanche connu Christophe Lacassagne mieux en voix et en scène que dans ce Germont père, par exemple l’an dernier dans Falstaff – peut-être une fatigue de fin de festival. En format réduit comme c’est l’usage au festival – bois et cuivres réduits à une partie (hormis les deux cors), timbales, huit cordes) – l’orchestre ne brille pas toujours mais réagit fidèlement à la direction alerte de Gaspard Brécourt.


Le site de Christophe Lacassagne



Simon Corley

 

 

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